La Corée du Nord a de nouveau agité mardi le spectre d'une guerre "thermonucléaire" et a appelé les étrangers en Corée du Sud à considérer leur départ du pays, après avoir mis à exécution sa menace de retirer ses 53 000 employés du site intercoréen de Kaesong. "La péninsule coréenne se dirige vers une guerre thermonucléaire", a estimé le Comité nord-coréen pour la paix en Asie-Pacifique dans un communiqué diffusé par l'agence officielle KCNA.
"En cas de guerre, nous ne voulons pas que les étrangers vivant en Corée du Sud soient exposés", ajoute ce comité, rouage de la propagande du régime communiste, en exhortant "toutes les organisations étrangères, les entreprises et les touristes" à "mettre au point des mesures d'évacuation".
Pyongyang, qui a récemment installé deux missiles de moyenne portée sur sa côte est, avait annoncé vendredi qu'elle ne pourrait plus garantir la sécurité des missions diplomatiques dans la capitale Pyongyang à compter du 10 avril, suggérant l'imminence d'un tir de missile ou d'un essai nucléaire. Aucun des pays possédant une mission diplomatique à Pyongyang n'a cependant estimé nécessaire pour l'heure d'évacuer son personnel, rejetant les menaces du régime nord-coréen comme des gesticulations et des diatribes purement rhétoriques.
Missiles d'une portée de 3 000 km
La péninsule coréenne connaît un regain de tension depuis le lancement réussi d'une fusée nord-coréenne en décembre dernier, considéré par les Occidentaux, Séoul et Tokyo comme un test de missile balistique. La situation s'est encore aggravée après un troisième essai nucléaire en février et des manoeuvres militaires conjointes en cours entre les États-Unis et la Corée du Sud.
La Corée du Nord a transporté en train, en début de semaine dernière, deux missiles Musudan et les a installés sur des véhicules équipés d'un dispositif de tir, selon Séoul. Le Musudan aurait une portée théorique de 3 000 kilomètres, soit la capacité d'atteindre la Corée du Sud ou le Japon. L'engin pourrait même toucher des cibles à 4 000 kilomètres en n'emportant qu'une charge légère, et donc théoriquement frapper Guam, île du Pacifique située à 3 380 kilomètres de la Corée du Nord et où se trouvent 6 000 soldats américains.
Le Japon a indiqué mardi avoir déployé des missiles Patriot dans le centre de Tokyo pour faire face à tout tir qui menacerait l'archipel, et des batteries d'intercepteurs seront installées sur l'île d'Okinawa (sud). L'armée a reçu l'ordre formel d'intercepter d'éventuels missiles. Le puissant allié chinois de la Corée du Nord, qui, agacé de n'être pas entendu, avait voté les dernières sanctions à l'ONU, lui a enjoint d'apaiser les tensions à plusieurs reprises ces derniers jours. "Personne ne devrait être autorisé à précipiter dans le chaos une région, et à plus forte raison le monde entier, par égoïsme", a lancé dimanche le président chinois Xi Jinping.
La Maison-Blanche a salué les efforts de la Chine et de la Russie dans ce dossier. "Nous continuerons à oeuvrer avec nos partenaires chinois, russes et d'autres (pays) pour obtenir de la Corée du Nord qu'elle respecte ses obligations internationales", a déclaré le porte-parole de la présidence américaine lors de son point de presse quotidien lundi soir. Le numéro deux du Pentagone, Ash Carter, a toutefois dit penser que la Chine "pourrait jouer un rôle plus important pour influer sur la Corée du Nord". En fin de semaine dernière, Washington a joué l'apaisement en annonçant le report d'un essai de missile en Californie (ouest) afin d'éviter de jeter de l'huile sur le feu.
Surenchère militaire
Engagée depuis le début de l'année dans une surenchère verbale et militaire dont nul ne semble savoir où elle s'arrêtera, la Corée du Nord a par ailleurs mis à exécution mardi sa menace de retirer ses 53 000 employés du site industriel intercoréen de Kaesong, situé sur son sol. Souvent présenté comme une expérience modèle de rapprochement intercoréen, la "région administrative spéciale de Corée du Nord" créée en 2004 à Kaesong est devenue une pièce stratégique sur l'échiquier coréen où se joue une partie à haut risque. Depuis mercredi dernier, le Nord y interdit l'accès au personnel sud-coréen et aux camions de livraison.
Pour l'heure, 13 des 123 entreprises sud-coréennes présentes sur le site ont interrompu leur production faute de matières premières, mais le retrait des ouvriers nord-coréens devrait paralyser très vite l'ensemble du site. Précieuse source de devises étrangères dont la Corée du Nord a grand besoin, Kaesong est né dans le sillage de "la diplomatie du rayon de soleil", menée par la Corée du Sud de 1998 à 2008.
La présidente Park Geun-hye s'est déclarée mardi "très déçue" et le ministère de l'Unification s'est engagé à "garantir la sécurité de ses citoyens et la protection de sa propriété". Washington a de son côté jugé la mesure "regrettable". "Ça ne va pas aider (la Corée du Nord) à atteindre son objectif affiché d'améliorer l'économie et la vie de sa population", a déclaré le porte-parole du département d'État, Patrick Ventrell.