Le chouchou de Vladimir Poutine était devenu son plus farouche adversaire. Son décès mystérieux en Grande-Bretagne éveille beaucoup de soupçons.
Boris Berezovski, ancienne éminence grise de Poutine, est mort samedi à 67 ans. © Andrew Cowie / AFP
"Les circonstances de sa mort ne sont pas connues." C'est par cette phrase que tous les médias britanniques commencent leurs commentaires et analyses sur la mort inattendue de l'oligarque. Rien à voir avec le banal et conventionnel début d'un compte rendu prestement écrit de la vie ordinaire d'un riche et pourtant nostalgique exilé sous la pluie londonienne. Ces mots prudents ne font en fait que mieux souligner à l'encre rouge à quel point les enquêteurs chargés de vérifier les conditions de la mort de Boris Berezovski vont avancer à pas de loup. C'est que l'oligarque de 67 ans, réfugié derrière les vitres pare-balles, détecteurs de mouvement, portes blindées et innombrables caméras de vidéosurveillance de sa maison à 10 millions de livres dans le très chic Surrey au sud de Londres, avait de quoi s'inquiéter. Victime de nombreuses tentatives d'assassinat, dont un attentat à la bombe en 1994 qui avait décapité son chauffeur, l'ancien intime de Boris Eltsine était devenu un ennemi juré de Vladimir Poutine. Un ennemi à abattre, clamait le tycoon déchu la main sur le coeur.
Il était entré en guerre contre Poutine
Cet homme aux mille vies, de mathématicien à vendeur de voitures à succès (Berezovski a récolté ses premiers millions en important des Mercedes dans la Russie des années 90), ce faiseur de rois surnommé "Raspoutine" à Moscou, n'a longtemps jamais vu de terme à ses ambitions. Fortune faite et influence acquise sur les décombres de l'URSS, pourquoi ne pas faire de la politique au grand jour ? C'est Vladimir Poutine, qu'il avait pourtant aidé à conquérir le pouvoir, qui l'a fait fuir en 2000. Mais le parrain du Kremlin, comme l'avait surnommé le magazine Forbes, avait refusé de finir sa vie comme un paria qui a définitivement perdu la partie.
Du sol britannique, Boris Berezovski était alors entré en guerre contre le président russe, finançant largement les partis d'opposition au maître du Kremlin, accusant Vladimir Poutine de dérive dictatoriale et sanglante. C'est l'homme fort de la Russie qui aurait été derrière une série d'attentats contre des immeubles de Moscou en 19999, pavant la voie à une seconde guerre en Tchétchénie, avait ainsi affirmé l'homme d'affaires.
Une guerre de communication au grand jour, mais aussi une guerre de l'ombre, pleine de chausse-trapes et de mystères dignes de l'un des meilleurs romans d'espionnage de John le Carré. C'est ainsi Berezovski que les services de Poutine ont accusé d'être à l'origine de l'assassinat le plus abracadabrantesque et le plus incroyable des dernières années : celui de l'ex-agent du KGB Alexandre Litvinenko mort en 2006 dans un hôpital londonien d'un empoisonnement au polonium.
Le milliardaire était criblé de dettes
Le dernier coup d'éclat du magnat décédé s'est encore déroulé sur le territoire britannique, mais cette fois devant les tribunaux, avec le plus grand conflit privé de l'histoire judiciaire de la Grande-Bretagne, rebaptisé "oligarque contre oligarque" par la presse. Boris Berezovski y accusait son compatriote Roman Abramovitch, réfugié comme lui et propriétaire du célèbre club de football de Chelsea, de l'avoir intimidé pour qu'il vende à bas prix ses actions dans le géant pétrolier russe Sibneft. L'ex-Raspoutine a été débouté de sa gigantesque demande d'indemnisation : 3 milliards de livres. Plus qu'un mauvais procès, un geste démesurément désespéré pour certains proches du dossier : l'homme d'affaires était, semble-t-il, criblé de dettes. Au point qu'il aurait, selon le Times, tenté il y a quelques jours de se séparer de l'un de ses tableaux préférés : l'ancien dirigeant soviétique Lénine peint par Andy Warhol.
Des experts scientifiques enquêtent sur sa mort
«Des officiers spécialement formés, y compris des enquêteurs spécialisés en nucléaire, radiologique, biologique et chimique sont actuellement sur place pour mener des investigations», selon un communiqué de la police de la région de Thames Valley, près de Londres.
«Ceci doit permettre aux officiers de mener l'enquête sur les causes de la mort. Le corps est encore en ce moment dans la propriété», ajoute le texte.
Anissa El Jabri