L'autopsie du corps de l'oligarque et opposant à Vladimir Poutine conclut à la mort par pendaison. Une annonce qui ne lève pas tous les doutes, loin de là.
Même la police britannique n'a pas officiellement prononcé le mot. Les enquêteurs, toujours extrêmement prudents, parlent de "mort par pendaison", mais pas de "suicide"... Bien sûr, ils ajoutent aussi n'avoir trouvé aucune preuve "qu'une tierce personne aurait été impliquée dans l'affaire Boris Berezovski, mais beaucoup de proches de l'oligarque russe retrouvé mort samedi refusent encore de croire au suicide. Y compris la veuve d'Alexandre Litvinenko, cet ancien espion du KGB mort en novembre 2006 dans un hôpital londonien d'un empoisonnement au polonium et dont Berezovski était l'ami. Pour elle, l'oligarque, ruiné, souffrait certes d'une très forte dépression, mais il était bien soigné et suivi après son hospitalisation dans une clinique privée. À 67 ans, Berezovski restait en forme et s'était remis à se déplacer à Londres régulièrement pour des déjeuners et des rencontres.
Une écharpe près du corps ?
Aucune lettre expliquant la possibilité d'un suicide n'a été retrouvée, ni près du corps de l'oligarque ni dans sa maison fouillée au peigne fin par la police. Mais, selon des confidences de ses amis à la presse, son ex-femme, arrivée sur les lieux pendant qu'une équipe médicale était encore sur place, aurait vu une écharpe près de son corps. Pour elle, l'arme potentielle d'un crime : son ancien mari aurait pu avoir été étranglé.
Les doutes de ses proches sont aussi alimentés par le fait que l'ennemi numéro un du Kremlin en Grande-Bretagne s'est retrouvé sans protection pendant plus de 7 heures ce jour-là. Son seul et unique garde du corps - alors que, pendant des années, Berezovski a employé plusieurs anciens soldats de la Légion étrangère - a laissé son employeur samedi matin vers 10 heures pour faire une série de courses. Cet ancien du Mossad n'est revenu que vers 17 heures, pour découvrir le téléphone de l'ex-tycoon et ses nombreux appels restés sans réponse. C'est à ce moment-là qu'il aurait décidé de forcer la porte de la salle de bains fermée de l'intérieur et qu'il aurait découvert le corps sans vie de Berezovski gisant sur le sol, complètement habillé. Après avoir vérifié s'il pouvait encore tenter de le ranimer, le garde du corps aurait appelé une ambulance. C'est sur les lieux que les médecins ont déclaré l'oligarque mort.
Des morts suspectes d'oligarques russes
Maintenant que le corps de l'oligarque a été déplacé hors de la maison, la police doit s'occuper des analyses toxicologiques et rechercher notamment des traces de drogue et d'alcool. Des analyses qui peuvent durer plusieurs semaines. Et qui, sans doute, seront, elles aussi, sujettes à des suspicions.
La presse britannique fait ce mardi la liste des morts suspectes d'oligarques russes sur le territoire ces dernières années. À moins de 15 kilomètres de la maison où est décédé Boris Berezovski, un autre homme d'affaires, Alexander Perepilichnyy, est mort en faisant du jogging l'an dernier, sans que les causes de sa mort soient officiellement déterminées. À 20 kilomètres, c'est un ancien partenaire de Berezovski qui est décédé subitement en 2008. La police avait conclu à un malaise cardiaque, sans jamais dissiper les doutes sur les causes de la mort.
La chaîne publique Pervy Kanal cite l'avis de l'ancien membre du FSB russe: «Quand des gens comme lui sont assassinés, il faut comprendre qu'il y a toujours une raison. (...) Faire du bruit et accuser la Russie ? C'est ridicule, il n'y a pas de bénéfice politique à en tirer», a affirmé M. Lougovoï, que la Russie a refusé d'extrader et qui est devenu député de la Douma (chambre basse).
Le MI5 plutôt que le FSB?
Un autre député, le leader du Parti libéral-démocrate (populiste pro-Kremlin) Vladimir Jirinovski, envisage pour sa part un meurtre commis non par les services russes, mais par le MI5, le service de renseignement britannique, dans les pages du journal Izvestia.
Selon M. Jirinovski, qui dit avoir rencontré Boris Berezovski de manière fortuite lors de vacances en Israël en janvier, celui-ci voulait revenir d'exil et faire amende honorable. Une version déjà avancée par le Kremlin, mais sur laquelle des proches de M. Berezovski ont émis de grands doutes.
«Mais nous (la Russie, ndlr) n'avons pas eu le temps, c'est sûr, les services secrets britanniques ont tout appris, ils écoutaient son téléphone», a déclaré M. Jirinovski à Izvestia. «Il est possible qu'ils aient accéléré sa fin. Tous les services secrets ont cette tactique. Il y a aujourd'hui beaucoup de possibilités de provoquer un infarctus ou une attaque», a-t-il ajouté.
Le politologue et député pro-Kremlin Viatcheslav Nikonov, cité par Pervy Kanal, va pour sa part jusqu'à avancer que Boris Berezovski n'est peut-être pas mort. «Il y a eu tellement de mises en scène, de combines et de plans -- c'est un cerveau diabolique -- que je ne pouvais pas m'imaginer que cet homme pouvait mourir de cette façon. (...) C'est pourquoi tant qu'il n'y aura pas de preuves qu'il est mort, j'aurai des doutes», a déclaré M. Nikonov.
Anissa el Jabri