Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 13 février 2013

Pourquoi Kim Jong-un a appuyé sur le bouton nucléaire


Le jeune leader nord-coréen a réussi son coup en conduisant un test nucléaire au moment où Obama s'apprêtait à plaider pour la dénucléarisation.


Kim Jong-un a pris la Maison-Blanche à contrepied en réalisant un essai nucléaire. © AFP / KCNA via KNS 



Kim Jong-un est passé maître dans l'art du timing. Le jeune leader nord-coréen a coupé l'herbe sous le pied de Barack Obama en appuyant sur le bouton nucléaire quelques heures à peine avant que ce dernier ne prononce son discours sur l'état de l'Union. Pyongyang a conduit son troisième test nucléaire au moment où le locataire de la Maison-Blanche s'apprêtait à plaider pour la dénucléarisation de la planète. Bien joué.

Au lendemain de la démission de Benoît XVI et juste avant le rendez-vous solennel de Washington, le régime le plus fermé du monde s'est assuré la une des grands médias planétaires avec un art consommé de la communication. Et a forcé le président américain à réagir avant même de monter à la tribune pour dénoncer un test atomique jugé "hautement provocateur".

La nouvelle provocation du Nord, annoncée dès le 24 janvier, n'est pas un coup de sang impromptu mais le fruit d'une stratégie mûrement réfléchie, avec un sens aigu du calendrier international. Le jeune Kim a attendu patiemment début 2013 pour ouvrir un nouveau chapitre de confrontation avec les grandes puissances et ses voisins, une fois ses adversaires connus. L'année 2012 fut une année de transition de leadership chez l'ensemble des acteurs-clés du dossier nord-coréen, et il n'était pas question pour Pyongyang de gaspiller ses cartouches avant que tous les protagonistes ne soient en place.

Kim veut jouer la carte de la patrie

L'héritier de Kim Jong-il a d'abord observé la course à la présidentielle américaine et guetté un signe d'ouverture diplomatique de la part du président réélu Obama. Le jeune Kim a été déçu puisque l'hôte de la Maison-Blanche est resté fidèle à sa stratégie d'isolement du Nord, teintée d'indifférence. Le régime a également attendu le passage de témoin en Chine entre Hu Jintao et le nouveau leader Xi Jinping, ainsi que le retour de Vladimir Poutine au sommet du pouvoir à Moscou. Et il a déclenché la déflagration nucléaire une fois que la Corée du Sud et le Japon avaient désigné leurs nouveaux leaders en décembre dernier. Tout ce petit monde étant désormais en place, l'héritier âgé de moins de trente ans lance une épreuve de force afin d'être pris au sérieux par ses pairs.

Il a les moyens de le faire car, entre-temps, il a profité de 2012 pour achever la transition politique chez lui, un an après la mort de son père en décembre 2011. "Il a fortement renforcé son pouvoir, notamment grâce au succès de sa fusée Unha 3", juge Han Suk-hee, expert à l'université Yonsei, à Séoul. L'engin lancé en décembre au mépris des résolutions de l'ONU, et qui a permis la mise sur orbite d'un satellite, a fini d'adouber le jeune dirigeant aux yeux de l'armée, en effaçant l'humiliant échec du tir raté d'avril dernier.

Kim espère parfaire son emprise auprès de ses 23 millions de sujets en jouant la carte de la patrie en danger. Les médias officiels, tel le Rodong Sinmun, le journal du Parti, tiennent la population en alerte depuis fin janvier, mobilisant contre le risque d'une invasion "impérialiste". À Pyongyang, le leader suprême enchaîne les réunions de haut niveau avec les hauts gradés à grand renfort de publicité.

Washington affiche sa fermeté

Cette nouvelle épreuve de force doit permettre de récolter des dividendes sur le plan international, qui seront autant de trophées que le régime pourra ensuite agiter sur la scène intérieure. Fidèle aux leçons de son père, Kim espère que son coup de force atomique convaincra la Maison-Blanche de finalement s'asseoir à la table des négociations, dans l'espoir de stopper son inquiétant cavalier seul nucléaire. Comme l'avait fait le faucon George W. Bush à la fin de son second mandat, en 2008. Pyongyang rêve de conclure un traité de paix avec les États-Unis offrant des garanties de sécurité à un régime hanté par sa chute. Le royaume ermite veut aussi intimider la nouvelle présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, qui prendra ses fonctions le 25 février, pour lui soutirer une aide économique massive en échange d'une amélioration des relations sur la péninsule.

Mais pour l'heure, Washington affiche sa fermeté et ne donne aucun signe d'ouverture. Barack Obama se souvient que le régime s'était empressé de dénoncer l'accord conclu avec George Bush, après avoir empoché une aide économique au passage. Mais si la Maison-Blanche ne mord pas à l'hameçon atomique, le jeune Kim pourrait avoir recours à d'autres armes pour se rappeler à son bon souvenir.

Sébastien Falletti