Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 9 février 2013

Auditionné par le Sénat, John Brennan a ardemment défendu le recours aux frappes, mais a reconnu le besoin d'être plus "ouvert" sur les programmes secrets


John Brennan, auditionné par le Sénat le 7 février. © Alex Wong/Getty Images / AFP




John Brennan, l'architecte de la campagne des drones contre al-Qaïda, a ardemment défendu le recours aux frappes, mais a reconnu le besoin d'être plus "ouvert" vis-à-vis du public sur ces programmes secrets, lors d'une audition au Sénat sur sa nomination à la tête de la CIA. Si sa confirmation comme directeur de l'agence de renseignement est attendue, beaucoup voyaient cette audition comme l'occasion de forcer l'administration à rendre des comptes sur une guerre secrète qui lui fournit le pouvoir de tuer, y compris des citoyens américains à l'étranger, sans en référer à quiconque.

Cette guerre clandestine est inlassablement dénoncée par les organisations de défense des droits de l'homme et certains opposants n'ont pas manqué l'occasion de perturber et brièvement interrompre l'audition devant la commission du Renseignement du Sénat. "Pakistan, Yémen, Somalie, et où encore ? Ils ne disent même pas au Congrès quels pays ils bombardent", a dénoncé une femme dans le public avant d'être prestement évacuée. À cinq reprises, un membre du groupe Code Pink a lancé des slogans hostiles à John Brennan et a été évacué, un autre reprenant immédiatement son rôle. Imperturbable, John Brennan a dit comprendre les "désaccords" avec le programme d'éliminations ciblées par les drones. Cette opposition est "saine et est une composante nécessaire de la vie démocratique", a-t-il fait valoir.

Des frappes qu'en "dernier recours"

De son bureau à la Maison-Blanche où il a dirigé pendant quatre ans la lutte antiterroriste, John Brennan, 57 ans, dont 25 à la CIA, a orchestré et supervisé les frappes de drones, qui se sont largement intensifiées sous la présidence Obama. John Brennan a ainsi coordonné une "liste de personnes à abattre" appartenant à al-Qaïda et supervisé les frappes de drones au Pakistan, en Somalie ou encore au Yémen, où a été éliminé en septembre 2011 l'imam radical de nationalité américaine Anwar al-Aulaqi. "Il y a une mauvaise impression chez certains Américains qui croient que nous recourons à ces frappes pour punir des terroristes pour des actes passés. Rien n'est plus éloigné de la vérité", a-t-il plaidé.

"Nous ne recourons à de telles actions qu'en dernier recours pour sauver des vies là où il n'y a pas d'autre alternative pour réduire cette menace", a-t-il expliqué aux sénateurs, rappelant les efforts de l'administration pour minimiser les victimes civiles. La CIA doit publiquement plaider pour la nécessité de ce programme, a-t-il ajouté, disant être un "ardent partisan d'être aussi ouvert que possible". Il a mis en parallèle le besoin de transparence et de protection nécessaire du secret : "Nous devons optimiser la transparence sur ces questions, mais en même temps optimiser le secret et la protection de notre sécurité nationale. Ce n'est pas l'un ou l'autre".

Concession de la Maison-Blanche

Certains élus n'ont pas manqué l'occasion de profiter de cette rare discussion publique sur ce programme clandestin pour essayer de pousser l'avantage et obtenir la garantie d'avoir des informations sur le cadre juridique de ces frappes. Dans une manoeuvre savamment calculée pour inciter la Maison-Blanche à justifier la légalité de ces frappes un document confidentiel du ministère de la Justice qui justifie les attaques meurtrières a fuité deux jours avant l'audition au Sénat du chef du contre-terrorisme de la Maison-Blanche.

Quelques heures avant son audition par la commission du Renseignement du Sénat, la Maison-Blanche a fait une concession en transmettant aux parlementaires les documents secrets justifiant la légalité des frappes. Mais certains sénateurs n'ont pas manqué de s'élever lors de l'audition contre l'interdiction faite à leurs équipes de consulter ces documents.

Le recours aux drones fait également débat dans la presse, qui s'interroge sur l'effet des frappes sur l'opinion des populations locales vis-à-vis des États-Unis et sur leur pertinence : quelle est la menace réelle pour les États-Unis que représentent les personnes ciblées et quelle est leur importance dans la hiérarchie d'al-Qaïda ? Mais cet aspect n'a pas fait débat lors de l'audition jeudi. S'il reçoit l'aval du Sénat, John Brennan succédera à l'ex-général David Petraeus, contraint de démissionner en novembre après la révélation d'une liaison adultère avec sa biographe.

L'ONU dénonce dans un rapport la mort de «centaines d'enfants» afghans dans des attaques et des bombardements essentiellement commis par l'armée américaine au cours des dernières années.

Deux fois plus d'enfants en ont été victimes en 2011 qu'en 2010, observe le CRC, qui exprime ses «graves inquiétudes». Dans ce document, adopté le 1er février, le Comité sur le droit des enfants se dit «alarmé par les rapports faisant état de centaines d'enfants tués lors d'attaques et de bombardement des forces armées américaines».
Quelque 110 enfants ont été tués et 68 blessés en 2011 dans les bombardements conduits par l'armée afghane et l'Isaf, la force armée de l'Otan en Afghanistan (dont les deux tiers des soldats sont américains), selon un rapport de l'ONU paru en avril dernier.

La grande majorité des attaques aériennes en Afghanistan a été menée par l'armée américaine, qui dispose encore de plus de deux-tiers des effectifs de la coalition de l'Otan et de l'essentiel des moyens aériens. L'armée afghane ne dispose que d'une poignée d'hélicoptères d'attaque.

Manque de précaution

Ces pertes sont liées notamment au «manque de mesures de précaution» prises et «à un usage sans discernement de la force», pointe le comité onusien. Ce dernier se dit «fortement préoccupé» que «les forces armées responsables de ces assassinats d'enfants n'aient pas été tenues pour responsables».

Les autorités américaines n'ont pas commenté ce rapport. La porte-parole du département d'Etat, Victoria Nuland, a déclaré jeudi à la presse qu'elle n'avait pas encore consulté ce document de l'ONU, mais qu'elle allait le faire incessamment.

Quelque 1756 enfants afghans ont été tués ou blessés des suites du conflit en 2011, soit 4,8 par jour, contre 1396 en 2010, la plupart par les talibans, d'après l'Unicef, l'agence onusienne pour l'enfance.

Les bombardements sont depuis longtemps un sujet de friction entre le président Hamid Karzaï et ses alliés de l'Otan, qui portent à bout de bras son fragile gouvernement face à l'insurrection. Quelque 13'000 civils sont morts des suites du conflit entre 2007 et l'été 2012 en Afghanistan, selon l'Otan.

AFP