Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 8 janvier 2013

Hagel met déjà à l'épreuve le lobby d'Israël


Avec le Président Barack Obama qui s'apprêterait à nommer l'ancien sénateur républicain Chuck Hagel à la tête du Pentagone, le puissant lobby d'Israël, emmené par l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) [commission des affaires publiques américano-israélienne] (AIPAC), se retrouve face à un dilemme majeur.

S'il monte une vigoureuse campagne pour combattre la confirmation de Hagel par le sénat, il pourrait compromettre gravement ses relations avec le président, qui est sur le point d'être investi pour un second mandat de quatre ans.

Pire, s'il perd une telle campagne, son aura de quasi-invincibilité, qu'il a assidûment construite au cours des 30 dernières années et qui s'est traduite par des votes pratiquement unanimes dans les deux chambres sur des résolutions en soutien aux politiques israéliennes, de la Cisjordanie occupée à l'Iran, subira un sérieux revers.

Pourtant, s'il ne s'oppose pas à la confirmation de Hagel, un homme qui se targue d'être indépendant sera placé à un poste essentiel de politique étrangère.

Hagel a exprimé un grand scepticisme - voire son opposition - quant à une guerre contre l'Iran, et, malgré son passé où il a fermement soutenu les besoins de défense d'Israël, n'a pas hésité à critiquer publiquement à la fois le gouvernement israélien et ses supporters aux Etats-Unis pour avoir poursuivi des actions qui ont, selon lui, nui aux intérêts stratégiques de Washington au Moyen-Orient.

« La nomination de Hagel met l'AIPAC et les autres groupes d'opinion similaires face à un choix difficile », a dit Stephen Walt, professeur à Harvard et coauteur de Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine [éd. La découverte, 2009]. « Il se peut qu'ils n'aiment pas son approche raisonnable vis-à-vis de l'Iran et sa volonté de dire la vérité à propos de certaines politiques israéliennes, mais c'est un héros de guerre décoré qui n'est certainement pas hostile envers Israël. »

Que Hagel ait été effectivement nommé n'a pas été officiellement confirmé, et deux alternatives possibles - le ministre adjoint à la Défense, Ashton Carter, et l'ancienne sous-secrétaire à la Défense, Michèle Flournoy - auraient été également pressentis pour ce poste. Tous deux ont servi dans les administrations d'Obama et de Bill Clinton et sont considérés comme des technocrates très compétents, mais qui n'auraient toutefois pas l'expérience politique et la stature de Hagel.

Mais un certain nombre de sources haut placées et de journalistes bien informés ont rapporté que l'ancien sénateur du Nebraska, qui a co-présidé le Comité consultatif d'Intelligence étrangère d'Obama depuis 2009, reste le candidat préféré du président malgré une virulente campagne de trois semaines menée par des néoconservateurs, comme le rédacteur en chef du Weekly Standard, William Kristol, la blogueuse du Washington Post, Jennifer Rubin, la page éditoriale du Wall Street Journal et la Republican Jewish Coalition (RJC), pour empêcher sa nomination.

Entre autres accusations, Kristol, qui dirige également l'Emergency Committee for Israel (ECI), d'extrême-droite, Rubin et autres ennemis ont accusé Hagel, un ancien combattant de la Guerre du Vietnam très décoré, d'antisémitisme et d'hostilité à l'égard de l'Etat juif.

Ils ont également essayé d'enrôler la communauté gay dans leur campagne - avec un certain succès initial qui s'est ensuite dissipé - en citant, entre autres choses, son scepticisme quant à l'atténuation de la prohibition du recrutement d'homosexuels dans l'armée et son opposition à la nomination d'un ambassadeur ouvertement gay dans les années 1990.

Par la suite, Hagel a présenté ses excuses et l'ambassadeur et la plupart des organisations de soutien aux gays les ont acceptées.

Tandis que les néoconservateurs, dont les opinions politiques sont proches du Likoud au pouvoir [en Israël] et, dans certains cas, du mouvement des colons, ont mené la campagne contre Hagel, l'implication du très prudent lobby d'Israël - qui comprend l'AIPAC et d'autres organisations nationales juives majeures, comme l'Anti-Defamation League (ADL) et l'American Jewish Committee (AJC) - sans parler des nombreux groupes chrétiens sionistes, tels que Christians United for Israel (CUFI) - a été plus discrète.

Dès le début, par exemple, le chef de longue date de l'ADL, Abraham Foxman, a dit que les opinions de Hagel sur Israël étaient « dérangeantes » mais que son groupe ne s'opposerait pas nécessairement à sa nomination.

L'AIPAC elle-même n'a pas fait de commentaires sur Hagel, bien que son ancien porte-parole, Josh Block, qui dirige à présent The Israel Project (TIP) et reste proche de l'AIPAC, ait fait partie des militants les plus actifs dans cette campagne.

Malgré également le recrutement du soutien de la page éditoriale du Washington Post, qui a exprimé son inquiétude sur les positions généralement non-interventionnistes de Hagel et son soutien à la réduction du budget de la défense, la nature de la campagne des néoconservateurs où tous les coups sont permis a incité un retour de bâton.

Cela est particulièrement visible parmi les Républicains qui viennent de l'aile internationaliste plus modérée du parti et qui sont plus identifiés avec Dwight Eisenhower et George H. W. Bush.

Il y a également de la résistance de la part des officiers supérieurs à la retraite de l'armée, des services de renseignements et des services étrangers, qui partagent un point de vue « réaliste » en matière de politique étrangère et qui s'opposent à cette sorte d'aventurisme qui a la faveur des néoconservateurs, dont Kristol, qui ont mené la charge contre l'Irak, il y a 10 ans, et qui font maintenant du battage pour la guerre avec l'Iran.

Par exemple, quatre anciens conseillers à la sécurité nationale, dont Brent Scowcroft (qui a été en poste sous les présidents Gerald Ford et Ronald Reagan), Zbigniew Brzezinski (sous Jimmy Carter), le Général James Jones (sous Obama) et l'ancien ministre de la Défense de Reagan, Frank Carlucci, de même que plusieurs anciens chefs du commandement central des Etats-Unis, ont signé des lettres de soutien en faveur de Hagel.

De nombreux observateurs proches du Pentagone pensent que les opinions de Hagel, notamment celles concernant la folie d'attaquer l'Iran et les dommages infligés par l'occupation continuelle d'Israël de terres palestiniennes à la position stratégique de Washington au Moyen-Orient, reflètent celles de beaucoup d'officiers militaires en service.

Quatre anciens ambassadeurs américains auprès d'Israël ont également soutenu sa nomination, comme l'a fait tout récemment Ryan Crocker, qui a été particulièrement loué par les néoconservateurs durant son poste d'ambassadeur en Irak et en Afghanistan et qui a servi comme envoyé spécial de Washington au Liban, au Koweït, en Syrie et au Pakistan.

La dureté de la campagne des néoconservateurs - en particulier les accusations soutenant que Hagel est antisémite et anti-israélien - a suscité des accusations de McCarthyisme de la part de ses défenseurs, ajoutant un malaise supplémentaire aux principales organisations du lobby d'Israël. Même les CUFI, parfois dépeints comme plus sionistes que les organisations juives, ont pris leurs distances avec certaines accusations.

Jusqu'à présent, seuls trois sénateurs républicains ont dit qu'ils s'opposeraient à Hagel s'il est nommé, tandis que plusieurs autres qui ont été traditionnellement proches du lobby, dont les sénateurs John McCain et Lindsay Graham, ont exprimé de fortes réserves mais se sont gardés de s'impliquer eux-mêmes. Certains démocrates ont également exprimé modérément leur préoccupation.

Mais la plupart des observateurs pensent que s'il est nommé, Hagel, qui dirige aussi l'influent groupe de réflexion Atlantic Council, sera confirmé par une solide - voire écrasante - majorité de sénateurs. Cela rend la position du lobby encore plus délicate.

Durant ses deux mandats en tant que sénateur, Hagel, un conservateur constant sur les questions sociales et intérieures, a été personnellement populaire parmi ses collègues des deux camps.

« Les Américains en ont ras le bol des tactiques diffamatoires qu'ont utilisé les principaux opposants de Hagel, et en se déchaînant contre lui, il s'avèrerait que l'AIPAC s'intéresse plus à Israël qu'aux intérêts des Etats-Unis », a dit Walt à IPS [Inter Press Service]. « De plus, pourquoi dépenser du capital politique contre un ancien sénateur que ses collègues au Capitole confirmeront de toute façon ? »

L'AIPAC et les groupes de la même opinion seront sans aucun doute influencés par les avis du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, dont la coalition d'extrême-droite est favorite pour remporter les élections à la fin du mois.

Les principales organisations juives américaines et l'AIPAC ont historiquement donné beaucoup de poids aux préférences politiques des dirigeants élus d'Israël, même si en privé elles les ont exhortés à suivre un cap différent.

Mais pour Netanyahou, qui a été sévèrement critiqué par de hauts responsables à la retraite de l'establishment de la sécurité nationale d'Israël pour avoir mis en danger les liens stratégiques de l'Etat juif avec les Etats-Unis en défiant à plusieurs reprises Obama, les enjeux sont également élevés.

S'il est vu comme soutenant tout effort pour faire échec à la nomination anticipée de Hagel, ses liens avec la maison Blanche - déjà fragiles après son soutien à peine voilé pour Mitt Romney dans la campagne présidentielle de novembre - ne pourront que se détériorer.


Jim Lobe