Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 3 décembre 2012

Le retour des seigneurs de guerre locaux en Afghanistan


Pour le général Olivier de Bavinchove, commandant des troupes françaises en Afghanistan et numéro 3 de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), les taliban ne reprendront pas le pouvoir à Kaboul après 2014, c’est à dire une fois que la mission de combat de l’Otan sera terminée.

Selon l’officier français, la montée en puissance des forces de sécurité afghanes fera que ces dernières seront en mesure de prendre le dessus sur les mouvements insurgés. “”Ce pays a profondément changé, la modernité a fait irruption. Rien ne sera plus comme avant, cette décennie a provoqué un choc” a-t-il par ailleurs estimé, ce 3 décembre, à l’antenne d’Europe1.

Seulement, cet avis n’est pas partagé par tout le monde. “Je persiste à dire que militairement il n’y a aucun vainqueur. Il est indubitable, en revanche, que la guerre a rendu les talibans plus puissants et qu’il leur suffit d’attendre afin de récolter la mise, même s’ils sont en réalité détestés par la population dans sa majorité” a récemment estimé Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), dans les colonnes du Journal du Dimanche.

“Il ne faut pas oublier que le gouvernement afghan reste un gouvernement de coalition entre les différents chefs de guerre dont l’objectif majeur est de se partager le butin” a-t-il même ajouté, après avoir souligné les “erreurs” commises par les “Occidentaux, qui se sont aventurés dans le pays il y a onze ans en ayant une très mauvaise connaissance de la culture et des us et coutumes de l’Afghanistan.”

Le 19 novembre, lors du forum d’Halifax sur la sécurité internationale, des responsables afghans, chefs d’entreprises et élus, n’ont pas dit autre chose. “Malheureusement, les taliban et leurs partisans ont compté dès le début, que, tôt ou tard, la communauté internationale serait à bout de patience et partirait, et c’est pourquoi ils se préparent pour ce jour-là” a ainsi affirmé Abdul Rahim Wardak, ancien ministre de la Défense et actuel conseiller du président Hamid Karzaï.

Dans ces conditions, certains commencent à prendre leurs précautions. Tel est le cas d’Ismaïl Kahn, un ancien seigneur de guerre qui s’est fait un nom contre les troupes soviétiques dans les années 1980, avant de combattre les taliban et de rejoindre par la suite l’Alliance du Nord du commandant Massoud.

Etabli à Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan, Ismaïl Kahn, qui occupe actuellement les fonctions de ministre de l’Energie à Kaboul, a demandé à ses compagnons d’armes de recruter et de former à nouveau une milice. “Nous sommes responsables pour le maintien de la sécurité dans notre pays et nous ne devons pas permettre que l’Afghanistan soit à nouveau détruit.” a-t-il justifié lors d’une conférence de presse donnée le mois dernier.

Et d’expliquer que cette initiative n’est pas un geste de défiance à l’égard du pouvoir et qu’étant donné que les forces gouvernementales ne sont pas présentes dans certaines régions afghanes, leurs habitants “doivent prendre les armes” pour “défendre le pays.”

Bien évidemment, cela n’est pas du goût des autorités de Kaboul. Ainsi, un sénateur de la province de Farah, Belgis Roshan, n’a pas manqué de critiquer ces “seigneurs de guerre”. “Ils pensent que dès que les forces étrangères auront quitté l’Afghanistan, une fois de plus, ils auront la chance de commencer une guerre civile pour atteindre leurs buts sinistres de s’enrichir.”

Mais le cas d’Ismaïl Kahn n’est pas isolé. Ainsi, Ahmad Zia Massoud (le frère du commandant Massoud) a confié au New York Times que les “gens ont peur de ce qui va se passer après 2014″. “Tout le monde essaie d’avoir une sorte de plan B. Il y a des gens qui sont sur le point de se réarmer” a-t-il poursuivi. “Des moudjahidines viennent ici pour me rencontrer”, a-t-il ajouté. “Ils me disent qu’ils se préparent. Ils essaient de trouver des armes. Ils viennent de villages, depuis le nord de l’Afghanistan et même de la banlieue de Kaboul. Ils me disent qu’ils prennent la responsabilité d’assurer la sécurité dans leur quartier” a-t-il expliqué.

Cela étant, et même si cela n’est pas autorisé par Kaboul, d’autres n’ont pas attendu pour constituer leur propre milice, souvent avec l’aval de la coalition internationale. Un reportage de France 24 a ainsi évoqué le cas du commandant Gachi Nabi, établi dans la province de Kunduz, en zone de responsabilité allemande.

Ce dernier aurait reçu, jusqu’à récemment, 150 dollars par homme de la part de l’ISAF afin de combattre les taliban dans la région. Le maintien de sa milice a été décidé par un conseil des anciens, étant donné que les forces afghanes sont incapables d’assurer la sécurité du secteur. Mieux même, les hommes du commandant Nabi protègent les policiers afghans, lesquels sont sous-équipés.

D’après France 24, les milices se sont multipliées en Afghanistan, par crainte d’une mainmise des taliban d’abord. Puis par défiance, ensuite, à l’égard de l’administration afghane, jugées trop lointaine et corrompue.