Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 21 novembre 2012

Hamas c/ Israël : Nouvel équilibre de la terreur au Moyen-Orient


Dans cette guerre qui dure depuis une semaine entre Israël et les Palestiniens, des signes sont apparus, lentement mais sûrement, d'un nouvel « équilibre de la terreur », reflétant l'amélioration de la capacité du Hamas de riposter à Israël au moyen de la roquette de longue portée Fajr-5 de fabrication iranienne.

En comparaison avec la précédente guerre de 2009, lorsque le Hamas s'en remettait aux roquettes de courte portée et plus imprécises qui secouaient le Sud d'Israël avant qu'un cessez-le-feu prenne effet, cette fois-ci, nous voyons une brigade lance-missiles du Hamas « plus disciplinée » et sophistiquée, qui disposerait de quelques 15.000 hommes opérant à travers un réseau de tunnels.

Il n'est alors pas très surprenant que le Hamas ait fixé ses propres conditions pour une trêve, malgré les vagues mortelles de bombardements aériens israéliens qui ont fait des centaines de morts et de blessés parmi les civils de Gaza, densément peuplée, que le professeur Noam Chomsky, lors de sa récente visite à Gaza,[1] a décrite comme la plus grande prison du monde à ciel ouvert. Ses habitants vivent dans des conditions inhabitables et de plus en plus horribles, en résultat direct de la punition collective infligée par Israël sur cette population dirigée par le Hamas, qui veut maintenant la levée du blocus israélien sur cette zone, comme condition pour une trêve.

Cette exigence n'a rien d'irrationnel ou de scandaleux. Elle est soutenue par la communauté internationale qui déplore la souffrance des civils dans la Bande de Gaza. Israël est intrinsèquement opposé à tout ce que demande le Hamas et, par conséquent, il est maintenant plus probable que le Premier ministre [israélien] Benjamin Netanyahou envoie ses chars dans Gaza, qui chercheront partout pour rien l'arsenal de roquettes du Hamas.[2] Dans ce cas, la guerre deviendra plus sale et le résultat final sera plus brouillé, comme ce fut le cas dans l'opération de 15 jours en 2009, qui s'est terminée très loin des objectifs annoncés de « détruire les infrastructures du Hamas ».

Si la prouesse militaire du Hamas a surpris les Israéliens, alors sa capacité améliorée en matière de roquettes est une surprise encore plus grande et porte en elle des ramifications qui ne sont pas favorables à Israël en terme d'équilibre régional de la puissance. Malgré le fait de posséder un « dôme de fer », un bouclier pour intercepter, selon les sources, environ 60% des roquettes tirées sur son territoire, Israël montre aujourd'hui une vulnérabilité sans précédent, bien loin de « l'invincibilité » d'Israël proclamée par ses politiciens.

L'objectif d'Israël semble être une division de Gaza, à peine enrobée comme un objectif de guerre modeste, peut-être de couper autant que possible le lien entre Gaza et l'Egypte, puisqu'il ne fait aucun doute d'où viennent les roquettes. C'est un objectif élevé, invitant à une guerre d'usure.

Le fait est qu'Israël ne peut pas, à moins d'une invasion à grande échelle et d'une réoccupation coûteuse de Gaza, maîtriser complètement son espace aérien contre les roquettes du Hamas qui menacent désormais une large portion du territoire israélien. Ce n'est pas nécessairement un développement négatif pour la paix, puisque la « domination totale » d'Israël antérieure était une invitation au statu quo ante, décourageant toute avancée sérieuse d'Israël vers une paix globale.

Il y a maintenant un nouvel « équilibre de la terreur ». Il est toujours profondément asymétrique en faveur d'Israël, pourtant, puisqu'il caractérise les vulnérabilités géostratégiques israéliennes exposées ci-dessus, cette nouvelle équation contient un plus potentiel pour une offre plus sérieuse pour la paix. Les dirigeants politiques israéliens ne sont peut-être pas préparés pour cette nouvelle et dure réalité, pourtant leurs conseillers militaires peuvent les éclaircir sur cette nouvelle réalité sur le terrain, c'est-à-dire que ce qui peut changer la donne est la capacité du Hamas à frapper au cœur d'Israël, une capacité qui est certaine de s'accroître dans les années à venir.

Pour l'instant, il y a toutefois un manque définitif de concordance entre la pensée militaire et la pensée politique en Israël, et à moins que les politiciens, avec réticence ou non, l'assument, ils pourraient précipiter leur pays vers le fond ou une autre guerre qui serait une hémorragie majeure pour l'économie (par exemple, en réduisant l'industrie touristique israélienne).

A présent, la grande question est : qu'est ce qu'Israël perdra ou gagnera en accédant à la demande du Hamas de lever le blocus ? La réponse est en partie déterminée en la replaçant dans un calendrier spécifique. A long terme, une Bande de Gaza plus prospère - moins agitée par sa pauvreté rampante, la malnutrition et les pénuries d'eau et autres - pourrait être plus sensible au maintien de la paix afin de protéger ses précieux accomplissements, qu'une Bande de Gaza pauvre et affamée, qui a le dos au mur.

Malheureusement, de nombreux dirigeants israéliens sont immunisés contre la compréhension en profondeur de l'interdépendance et de ses ramifications politiques, se convaincant eux-mêmes à la place qu'il parviennent à plus de sécurité en comptant simplement sur la force brutale pour mettre leurs opposants palestiniens à genoux. Cette « stratégie de la contrainte » est cependant fondamentalement douteuse, et à présent, à la lumière de ce nouvel « équilibre de la terreur » elle est plus que jamais un produit du passé.

Peut-être Israël a-t-il besoin plus que tout autre chose d'un leadership post-sioniste éclairé qui ne s'emprisonne pas lui-même dans l'idéologie expansionniste obscure du XIXe siècle et qui soit, à la place, en accord avec les nécessités de la survie dans le contexte contemporain de la mondialisation et de la régionalisation. Cela voudrait dire moins d'arrogance et d'illusions quant à sa supériorité militaire,[3] et admettre sa vulnérabilité qui pourrait, à son tour, créer l'élan jusqu'ici absent pour comprendre et compatir à la souffrance de « l'autre » palestinien, qui n'est pour l'instant que candidat à la simple oppression.

Kaveh L. Afrasiabi


Notes:
[1] "Impressions de Gaza", Noam Chomsky, 4 novembre 2012.
[2] [NdT] Israël a annoncé ce mardi matin suspendre son projet d'opération terrestre dans la Bande de Gaza pour « donner des chances aux efforts égyptiens visant à établir une trêve entre le Hamas et l'Etat hébreu".
[3] « Israël classé nation la plus militarisée », Asia Times Online, 15 novembre 2012.