Pour les électeurs français, l'heure est maintenant au choix décisif. Pour éclairer leur décision, tentons, sans parti pris, de dresser le bilan du quinquennat (2007-2012) de Nicolas Sarkozy en matière de défense. A chacun de juger.
1) Les opérations. Nicolas Sarkozy a été un président militairement actif en Afrique (Tchad, Cote d'ivoire, Sahel), en Libye, en Afghanistan et dans l'océan indien. Les forces armées n'ont pas chômé. Les autres théâtres, en particulier le Liban et le Kosovo, sont restés en basse intensité durant ce mandat.
a) LA guerre de Sarkozy aura évidemment été celle de Libye. Il l'a voulue, l'a conduite et l'a gagnée. On peut débattre à l'infini de l'opportunité et des conséquences de cette guerre, mais à partir du moment où il s'y est engagé, avec, rappelons-le, le soutien de la gauche, l'affaire a été bien menée. Une stratégie navale et aérienne l'a emporté, à peu de frais humains et budgétaires.
b) En Afghanistan, Nicolas Sarkozy a hérité d'une guerre, mais Jacques Chirac lui avait laissé une situation relativement confortable, avec peu d'empreintes au sol : les forces spéciales venaient d'être retirées, le déploiement se limitait à deux zones calmes de Kaboul (même si la transition vers la Surobi/kapisa était décidée) et les avions de combat, peu employés, étaient basés en dehors du pays. Bref, une posture très prudente. Nicolas Sarkozy a engagé massivement la France dans cette guerre, en suivant le "surge" des Américains. L'affaire d'Uzbine, en aout 2008, a été un tournant. Jusqu'à lors, la France n'était pas vraiment impliquée dans le conflit - elle s'y trouva l'être brutalement. Le chef des Armées a donné à ses troupes les moyens de faire la guerre : les équipements et les hommes (jusqu'à 4000) ont suivis. L'armée française qui s'est battue en Afghanistan est une armée techniquement de premier rang qui aligne hélicoptères de combat, drones, artillerie, blindés, forces spéciales, etc. Regardez les images : l'armée de terre d'aujourd'hui ne ressemble plus à ce qu'elle était dans les Balkans. Beau travail militaire, mais pour quel résultat politique ? Dès 2008, j'écrivais qu'il fallait quitter l'Afghanistan et vite. Les faits m'ont donné raison, après bien trop de morts.
c) En Afrique, le grand succès de Nicolas Sarkozy aura été l'épisode d'Abijdan, lorsque l'armée française a donné le coup de pouce nécessaire pour que le président élu Ouattara puisse succèder au président sortant Gbagbo. Là encore du travail de professionnels.
Au Tchad, la France s'est trouvé impliqué dans la lutte armée entre le pouvoir et les rebelles en provenance du Soudan. La poudre a parlé, à N'Djaména (printemps 2008) avant qu'une force européenne - très française néanmoins - ne parvienne à stabilsier la situation.
Un nouveau front s'est ouvert en Afrique avec le Sahel. Là encore la poudre a parlé, pas toujours à bon escient. Si le COS et d'autres participent à la lutte contre AQMI, force est de reconnaître que les résultats ne sont pas là : trois otages ont été tués (dont deux au cours d'une opération spéciale) et six Français sont toujours détenus par AQMI. Les solutions de force, un temps préconisées, semblent trouver leur limite, comme on le voit également au large de la Somalie - où un dispositif naval a été engagé.
Trois bateaux pris en otage par les pirates ont été repris : le premier, au terme d'une négociation mais les pirates ont été poursuivis à terre, les deux autres avec l'assaut des commandos, mais un otage a été tué au cours de l'assaut des commandos.
2) Les réformes. Le quinquennat s'est ouvert avec un Livre blanc, une loi de programmation militaire et la révision générale des politiques publiques. Beaucoup de remue-ménage ! L'essentiel porte évidemment sur la réduction des effectifs de 56.000 hommes, toujours en cours. Elle se passe plutôt bien dans des armées dont la professionnalisation a été réussie. Pour cexu qui restent, les difficultés portent sur les réorganisations internes, plus douloureuses, avec notamment la création des Bases de défense, qui n'ont toujours pas entièrement convaincu. Autre grosse difficulté, liée à des problèmes d'organisation, l'affaire du versement des soldes (Louvois). Ce sont, essentiellement, des problèmes de mise en place de réformes : une nouvelle fois, les armées ont montré qu'elles savaient se réformer, mieux et plus vite que beaucoup d'institutions civiles.
Les réformes se sont traduites par le fermeture de nouveaux sites militaires, relativement bien digérées au niveau local. A Paris, le grand enjeu est la construction du nouveau ministère à Balard. Au passage, on a évité le pire en évitant le "bradage" de l'Hotel de la Marine à des intérêts privés...
Toutes ses réformes se sont faites dans un cadre budgétaire relativement stable, malgré la crise. La France n'est pas dans l'état du Royaume-Uni, sans parler de pays comme l'Italie...
3) L'Otan et l'Europe. Le quinquennat a été marqué par le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Quelle que soit l'issue des élections, cette décision ne sera pas remise en cause. Elle est donc devenue consensuelle entre les deux principales forces politiques du pays. Quel bénéfice la France en a-t-elle tiré, sur un plan concret et politique ? Cette réintégration coûte cher (notamment en postes d'officiers) mais l'influence de la France s'est-elle pour autant accrue dans les enceintes atlantiques ? On aimerait le croire, encore faut-il en apporter la preuve concrète. On l'attend toujours.
C'est un mauvais procès que de reprocher à Nicolas Sarkozy d'avoir abandonné l'idée d'une défense européenne. Il s'y est essayé (le retour dans l'Otan étant une manière de mettre de rendre les choses plus faciles) mais en vain ! Nos partenaires ne sont pas intéressés. La proposition d'un QG à Bruxelles est toujours bloquée par les Britanniques. Les Allemands ont manifestement la tête ailleurs... comme on l'a vu dans l'affaire libyenne. L'Europe de l'Est est aux abonnés absents et celle du Sud, en crise. Faute d'Europe, c'est avec Londres que Nicolas Sarkozy a choisi de relancer la coopération en signant le traité de Lancaster House. Le pragmatisme l'a emporté.
4) La dissuasion. Nicolas Sarkozy a maintenu la dissuasion nucléaire - qui fait l'objet d'un total consensus avec François Hollande. Sa modernisation, lancée depuis longtemps, a été poursuivie, avec l'entrée en service des missiles M51 et AMSPA. Un autre grand sujet n'a pas été tranché - mais il ne pouvait pas encore l'être : la défense antimissile.
5) L'industrie de défense. Le quinquennat n'a pas été marqué par de grands dossiers industriels (comme l'avait été, par exemple, la création d'EADS ou la réforme des arsenaux). Dassault est entré dans le capital de Thalès. Le mandat de Nicolas Sarkozy a été marqué par le sauvetage, coûteux pour le contribuable, du programme A400M. En matière d'export, le Rafale a beaucoup occupé la Présidence, sans contrats signés. L'Inde devrait aboutir, mais l'annonce de contrat avec la Libye (de Kadhafi) puis le Brésil a été nettement prématurée. Reste toujours à décrocher la signature des Emirats. Parmi les grands succès à l'export, la vente de BPC Mistral à la Russie, une première.
5) Le moral. Lors de son élection, Nicolas Sarkozy n'avait pas la fibre militaire. Entre lui et la communauté militaire, les premiers mois furent très durs, au point que certains évoquèrent un antimilitarisme de droite... Les lendemains de l'affaires d'Uzbine marquent, là aussi, un tournant. Nicolas Sarkozy a alors trouvé les mots pour s'adresser à ces troupes. Le courant a été rétabli. Seul point noir : la gendarmerie. L'inclinaison policière du chef de l'Etat n'a pas rendu la vie facile aux gendarmes - qui ont quiité la Défense.
Photo (DR) : Le chef de l'Etat lors des voeux aux Armées à l'Ecole navale, janvier 2012.
1) Les opérations. Nicolas Sarkozy a été un président militairement actif en Afrique (Tchad, Cote d'ivoire, Sahel), en Libye, en Afghanistan et dans l'océan indien. Les forces armées n'ont pas chômé. Les autres théâtres, en particulier le Liban et le Kosovo, sont restés en basse intensité durant ce mandat.
a) LA guerre de Sarkozy aura évidemment été celle de Libye. Il l'a voulue, l'a conduite et l'a gagnée. On peut débattre à l'infini de l'opportunité et des conséquences de cette guerre, mais à partir du moment où il s'y est engagé, avec, rappelons-le, le soutien de la gauche, l'affaire a été bien menée. Une stratégie navale et aérienne l'a emporté, à peu de frais humains et budgétaires.
b) En Afghanistan, Nicolas Sarkozy a hérité d'une guerre, mais Jacques Chirac lui avait laissé une situation relativement confortable, avec peu d'empreintes au sol : les forces spéciales venaient d'être retirées, le déploiement se limitait à deux zones calmes de Kaboul (même si la transition vers la Surobi/kapisa était décidée) et les avions de combat, peu employés, étaient basés en dehors du pays. Bref, une posture très prudente. Nicolas Sarkozy a engagé massivement la France dans cette guerre, en suivant le "surge" des Américains. L'affaire d'Uzbine, en aout 2008, a été un tournant. Jusqu'à lors, la France n'était pas vraiment impliquée dans le conflit - elle s'y trouva l'être brutalement. Le chef des Armées a donné à ses troupes les moyens de faire la guerre : les équipements et les hommes (jusqu'à 4000) ont suivis. L'armée française qui s'est battue en Afghanistan est une armée techniquement de premier rang qui aligne hélicoptères de combat, drones, artillerie, blindés, forces spéciales, etc. Regardez les images : l'armée de terre d'aujourd'hui ne ressemble plus à ce qu'elle était dans les Balkans. Beau travail militaire, mais pour quel résultat politique ? Dès 2008, j'écrivais qu'il fallait quitter l'Afghanistan et vite. Les faits m'ont donné raison, après bien trop de morts.
c) En Afrique, le grand succès de Nicolas Sarkozy aura été l'épisode d'Abijdan, lorsque l'armée française a donné le coup de pouce nécessaire pour que le président élu Ouattara puisse succèder au président sortant Gbagbo. Là encore du travail de professionnels.
Au Tchad, la France s'est trouvé impliqué dans la lutte armée entre le pouvoir et les rebelles en provenance du Soudan. La poudre a parlé, à N'Djaména (printemps 2008) avant qu'une force européenne - très française néanmoins - ne parvienne à stabilsier la situation.
Un nouveau front s'est ouvert en Afrique avec le Sahel. Là encore la poudre a parlé, pas toujours à bon escient. Si le COS et d'autres participent à la lutte contre AQMI, force est de reconnaître que les résultats ne sont pas là : trois otages ont été tués (dont deux au cours d'une opération spéciale) et six Français sont toujours détenus par AQMI. Les solutions de force, un temps préconisées, semblent trouver leur limite, comme on le voit également au large de la Somalie - où un dispositif naval a été engagé.
Trois bateaux pris en otage par les pirates ont été repris : le premier, au terme d'une négociation mais les pirates ont été poursuivis à terre, les deux autres avec l'assaut des commandos, mais un otage a été tué au cours de l'assaut des commandos.
2) Les réformes. Le quinquennat s'est ouvert avec un Livre blanc, une loi de programmation militaire et la révision générale des politiques publiques. Beaucoup de remue-ménage ! L'essentiel porte évidemment sur la réduction des effectifs de 56.000 hommes, toujours en cours. Elle se passe plutôt bien dans des armées dont la professionnalisation a été réussie. Pour cexu qui restent, les difficultés portent sur les réorganisations internes, plus douloureuses, avec notamment la création des Bases de défense, qui n'ont toujours pas entièrement convaincu. Autre grosse difficulté, liée à des problèmes d'organisation, l'affaire du versement des soldes (Louvois). Ce sont, essentiellement, des problèmes de mise en place de réformes : une nouvelle fois, les armées ont montré qu'elles savaient se réformer, mieux et plus vite que beaucoup d'institutions civiles.
Les réformes se sont traduites par le fermeture de nouveaux sites militaires, relativement bien digérées au niveau local. A Paris, le grand enjeu est la construction du nouveau ministère à Balard. Au passage, on a évité le pire en évitant le "bradage" de l'Hotel de la Marine à des intérêts privés...
Toutes ses réformes se sont faites dans un cadre budgétaire relativement stable, malgré la crise. La France n'est pas dans l'état du Royaume-Uni, sans parler de pays comme l'Italie...
3) L'Otan et l'Europe. Le quinquennat a été marqué par le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Quelle que soit l'issue des élections, cette décision ne sera pas remise en cause. Elle est donc devenue consensuelle entre les deux principales forces politiques du pays. Quel bénéfice la France en a-t-elle tiré, sur un plan concret et politique ? Cette réintégration coûte cher (notamment en postes d'officiers) mais l'influence de la France s'est-elle pour autant accrue dans les enceintes atlantiques ? On aimerait le croire, encore faut-il en apporter la preuve concrète. On l'attend toujours.
C'est un mauvais procès que de reprocher à Nicolas Sarkozy d'avoir abandonné l'idée d'une défense européenne. Il s'y est essayé (le retour dans l'Otan étant une manière de mettre de rendre les choses plus faciles) mais en vain ! Nos partenaires ne sont pas intéressés. La proposition d'un QG à Bruxelles est toujours bloquée par les Britanniques. Les Allemands ont manifestement la tête ailleurs... comme on l'a vu dans l'affaire libyenne. L'Europe de l'Est est aux abonnés absents et celle du Sud, en crise. Faute d'Europe, c'est avec Londres que Nicolas Sarkozy a choisi de relancer la coopération en signant le traité de Lancaster House. Le pragmatisme l'a emporté.
4) La dissuasion. Nicolas Sarkozy a maintenu la dissuasion nucléaire - qui fait l'objet d'un total consensus avec François Hollande. Sa modernisation, lancée depuis longtemps, a été poursuivie, avec l'entrée en service des missiles M51 et AMSPA. Un autre grand sujet n'a pas été tranché - mais il ne pouvait pas encore l'être : la défense antimissile.
5) L'industrie de défense. Le quinquennat n'a pas été marqué par de grands dossiers industriels (comme l'avait été, par exemple, la création d'EADS ou la réforme des arsenaux). Dassault est entré dans le capital de Thalès. Le mandat de Nicolas Sarkozy a été marqué par le sauvetage, coûteux pour le contribuable, du programme A400M. En matière d'export, le Rafale a beaucoup occupé la Présidence, sans contrats signés. L'Inde devrait aboutir, mais l'annonce de contrat avec la Libye (de Kadhafi) puis le Brésil a été nettement prématurée. Reste toujours à décrocher la signature des Emirats. Parmi les grands succès à l'export, la vente de BPC Mistral à la Russie, une première.
5) Le moral. Lors de son élection, Nicolas Sarkozy n'avait pas la fibre militaire. Entre lui et la communauté militaire, les premiers mois furent très durs, au point que certains évoquèrent un antimilitarisme de droite... Les lendemains de l'affaires d'Uzbine marquent, là aussi, un tournant. Nicolas Sarkozy a alors trouvé les mots pour s'adresser à ces troupes. Le courant a été rétabli. Seul point noir : la gendarmerie. L'inclinaison policière du chef de l'Etat n'a pas rendu la vie facile aux gendarmes - qui ont quiité la Défense.
Photo (DR) : Le chef de l'Etat lors des voeux aux Armées à l'Ecole navale, janvier 2012.
Jean-Dominique Merchet
Secret Défense