Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 26 août 2011

Hana, la fille Kadhafi, n’est pas morte en 1986 !

.
Les affrontements se poursuivaient hier à Tripoli entre rebelles et forces kadhafistes. Dans le plus grand hôpital de la ville, surprise: on apprend que Hana, la fille Kadhafi annoncée morte sous les bombardements américains en 1986, est tout ce qu’il y a de plus vivant, et qu’elle «dirigeait» l’établissement.

Des rues rectilignes, des montagnes de sacs-poubelle, l’appel à la prière de 16 heures, des rideaux de fer baissés, des rumeurs, dont la dernière qui laisse entendre que l’eau courante a été empoisonnée, des 4x4 chargés de missiles Milan qui foncent vers le quartier Abou Salim où seraient réfugiés des proches de Kadhafi. Un couple à la fenêtre dans le quartier des ambassades, totalement désert, regarde en agitant la main le départ de véhicules bourrés de munitions. Lui, la soixantaine, ingénieur agronome. Elle, Vénézuélienne, chercheur en agronomie. Lila Delgado n’est pas sortie depuis samedi soir. Elle dit: «Avant, disons jusqu’à la semaine dernière, je n’avais aucun problème à dire que j’étais vénézuélienne. Tout le monde aimait Chavez dans l’immeuble... jusqu’à la semaine dernière. Chavez était l’ami indéfectible de Kadhafi. Mais depuis dimanche je dis que je suis Equatorienne. ça passe mieux…», sourit-elle un peu gênée dans son trois pièces meublé joliment. Ils se sont connus il y a une trentaine d’années sur un campus californien où ils achevaient leurs études d’agronomie. Elle reste «chaviste de coeur» mais insiste: «Kadhafi est un cinglé et ne peut être comparé à Chavez.»

Ralliés de la dernière heure

Lila aurait beaucoup à dire sur les ralliements de dernière minute à la rébellion dans le quartier: «J’en connais deux au moins dans l’immeuble qui étaient jusqu’à samedi des supporters du régime. Ils ont disparu dimanche.» Elle dit cela en regardant de sa fenêtre un nouveau converti entreprendre des journalistes «sur une Cour qui doit juger les criminels aux ordres de Kadhafi (car) ce sont eux qui ont pillé le pays». Il se dit ingénieur, porte au poignet une montre à 2500 euros, et en appelle sur le trottoir «à enfin un pays dirigé par le droit». Elle lève les yeux au ciel et dit: «Ici c’est le pays du mensonge.» Question mensonges, à trois kilomètres du port de commerce, à l’hôpital général, des chirurgiens en racontent de gros. L’un dure depuis 1986, et ils en parlent d’autant plus aisément que «le fantôme» est parti samedi en toute hâte en tenue de chirurgien sous l’escorte de deux gardes. Le régime a toujours prétendu que l’une des filles du guide, Hana, avait été tuée dans le bombardement de Bab al-Alzizia en 1986 par l’aviation américaine. C’est même depuis 26 ans la version officielle. Fille adoptive du guide, elle était alors âgée d’un an. En fait elle dirigeait jusqu’à samedi l’Hôpital Général, avec le titre simplement de chirurgien junior.

Tout le monde savait

«Tout le monde le savait (certains journaux allemands avait soulevé le supercherie l’an passé sans pouvoir la démontrer, ndlr). Elle ne s’en est jamais cachée: elle nous parlait de son père tous les jours, qu’il faisait ceci, cela, de ses frères. On disait oui bien sûr, puis on repartait travailler», raconte le médecin-chef Abdel Jibril. Il marque une pause et reprend: «Plus le mensonge est gros, plus il passe: c’est toute l’histoire de la Libye à travers cette histoire de fille morte qui 26 ans plus tard dirige la médecine de Tripoli sans en avoir les capacités. Disons que tout le monde craignait Hana jusqu’à samedi», termine le médecin Abdel Jibril. Pour le docteur Asharif, 35 ans, diplômé du Royal College of Surgeons, «Hana avait tout pouvoir sur nous sans en avoir vraiment les capacités. Je comprends que ça doit faire tout drôle de voir la fille de Kadhafi, qu’on disait morte, diriger le plus grand hôpital de Tripoli…». Hana était, selon les témoignages de quatre médecins, «attentive aux patients, sans expérience aucune, mais froide avec ses collègues». Attentive aux patients, disons qu’il faut vite le dire. Quand les premiers rebelles ont été admis, avant l’offensive finale du dimanche, elle aurait, selon les témoignages recueillis hier, foulé au pied le serment d’Hippocrate. «Elle nous disait: pas de poches de sang pour ces rats de rebelles! Pour eux il n’y avait rien si bien que certains se sont vidés de leur sang dans les couloirs d’admission», dit le docteur Rajab Al Lasta. Hana, qui portait toujours un joli foulard, raconte à son tour le docteur Jibril, était toujours «bien habillée et avec soin». Quand elle a reçu son diplôme, l’an dernier, elle a aménagé au troisième étage de l’hôpital dans un bureau climatisé avec mobilier en cuir fauve. Elle en est partie en laissant un sac plastique avec dix cartouches de café Nespresso, une paire de chaussettes roses avec motifs papillons et deux éventails. Sur le bureau une tête de cheval en bronze sert de presse papier. Les tiroirs sont vides. Pas un dictionnaire médical. Juste un pot de crème de jour Dior. Dans la salle commune de chirurgie, un rebelle a reçu une balle hier. Elle lui traversé la cuisse et se balade dans son estomac. Il était vendeur dans un «take away» à Manchester dit sa maman. Il avait quitté Manchester la semaine dernière pour se battre: «C’est mon jeune fils et c’est un martyr. Dieu saura le remettre sur pieds.»

«Kadhafi va être puni»

Sur un lit mitoyen, séparé par un rideau en toile, le jeune Ahmed,un soldat de Kadhafi, naguère garçon de ferme , âgé de 20 ans, a sa main droite réduite en bouillie par un éclat d’obus.

«Kadhafi va être puni», lance-t-il. En face un combattant montre la balle sous la troisième intercostale en agitant sa radio, la repose et brandit sur un téléphone la vidéo du type qui lui a tiré dessus. Le type est tombé hier criblé de balles dont une lui a ouvert le crâne: «Je ne m’en lasse pas! ça me rend tellement heureux!» Sur le littoral la mer est mate comme l’étain alors que les tirs crépitent toujours dans la capitale.


JEAN-LOUIS LE TOUZET
© Libération