Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 4 juillet 2011

Comment la DGSE a libéré les otages français en Afghanistan

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Il a fallu dix-huit mois d’exploration du terrain et d’âpres négociations pour parvenir à la libération d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier.

À la DGSE, où l’on suit toutes les prises d’otages de citoyens français à l’étranger, la libération des journalistes de France 3 Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière a été vécue comme un vrai succès, net et sans bavure. Qui ne fait pourtant pas oublier l’échec sanglant de la libération ratée de Michel Germaneau, en juillet 2010, ni les autres otages dont les libérations tardent infiniment : un officier de la DGSE est détenu depuis le 14 juillet 2009 en Somalie ; quatre employés des groupes Areva et Satom ont été enlevés en septembre 2010 au Niger et trois autres Français, employés de l’ONG française Triangle Génération humanitaire, ont disparu au Yémen le 28 mai dernier. En matière de prise d’otages, il n’existe que des cas uniques. Et celui des deux captifs d’Afghanistan, aujourd’hui terminé, ne fait pas exception à la règle. La profession des deux otages n’a pas été anodine : deux journalistes d’une chaîne de télévision nationale, dotée d’un puissant réseau professionnel et d’une capacité de mobilisation sans égale, c’était aussi la garantie d’une pression maximale sur les négociateurs. Qui détestent plus que tout d’avoir à subir la poussée médiatique constante. Il leur faudra pourtant faire avec ! Et voir les bons côtés de la chose... La visite à Kaboul en mai dernier de la compagne d’Hervé Ghesquière et de la mère de Stéphane Taponier a été considérée comme un élément positif par les négociateurs. Les agents de la DGSE étaient "nombreux" sur le terrain, mais "en nombre considérable" à la Centrale, nom que les employés des services secrets donnent à leur vieille maison du boulevard Mortier.

Lorsque les deux journalistes ont été enlevés en Afghanistan, le 30 décembre 2009, la DGSE a aussitôt mis en place un dispositif de grande envergure, faisant donc appel à des moyens humains, notamment en Afghanistan et au Pakistan, mais aussi à tous les moyens techniques imaginables. En liaison avec la DRM (Direction du renseignement militaire), le réseau téléphonique GSM est écouté, les communications radio interceptées, les satellites orientés, les drones nationaux déployés, parfois 24 heures sur 24, au point de manquer à quelques occasions aux troupes françaises qui en auraient eu besoin pour conduire des opérations dans la région.

Efforts coûteux

Sans doute, les efforts ont-ils été coûteux. Mais outre le fait que la France ne chiffre jamais ses efforts quand il s’agit de sauver ses ressortissants - y compris s’ils se sont mis de leur plein gré en mauvaise posture, comme les navigateurs sportifs et autres conquérants de l’inutile -, cela ne veut pas dire que les budgets et le personnel affectés à l’opération afghane ont été dépensés à cette seule fin : des témoins directs rapportent les connaissances exceptionnelles acquises sur l’Afghanistan à cette occasion par la DGSE, ses groupes et sous-groupes, clans et groupuscules, leurs processus de décision, leurs relations et leurs connexions largement méconnues jusqu’alors : "Il le fallait bien", remarque un fonctionnaire de la maison, "chez ces ravisseurs où chaque gardien de moutons a son mot à dire et entend le faire valoir". Un professionnel du renseignement actif sur ce dossier explique : "Cette affaire nous a appris des choses essentielles : comment les talibans fonctionnent entre eux, quels sont leurs rapports hiérarchiques complexes. Le service a beaucoup progressé, vraiment !"

Quant au processus de dix-huit mois ayant conduit à la libération des otages, il peut être résumé assez simplement. Dans un premier temps, les militaires de l’Isaf ont cherché à localiser les otages et leurs ravisseurs, ce qui n’a pas été très long : ils sont restés dans la Kapisa, la région où sont affectées les forces françaises, et leur lieu de détention a rapidement été défini. Alors ministre de la Défense, Hervé Morin avait précisé sur RTL que la priorité avait consisté à fixer les ravisseurs et à occuper le terrain les environnant, pour les empêcher de passer au Pakistan tout proche : "Il fallait que nos otages ne nous échappent pas. Qu’ils restent dans la région sous contrôle français." Puis, après que les preneurs d’otage ont pris contact, il a fallu trouver des intermédiaires de confiance, écarter les opportunistes et valider le lien par des "preuves de vie." Et enfin, entamer les négociations dans un contexte très complexe : les ravisseurs locaux, petits chefs agissant dans la vallée d’Alasay, entendaient faire valoir des revendications sur la libération de nombreux prisonniers détenus par le gouvernement de Karzai. Au-dessus d’eux, les talibans de la choura de Peshawar, au Pakistan, entendaient également faire avancer leurs propres revendications. Tout comme la structure supérieure, celle de la choura de Quetta, le commandement politique aux ordres du mollah Omar : "Il fallait qu’ils soient d’accord pour qu’ils agissent dans le même sens", a confié à RTL Jean d’Amécourt, ambassadeur de France à Kaboul. Mais en janvier 2011, cet accord global avait été trouvé entre toutes les parties locales, et la libération était proche.

"Rançon"

Il est encore un peu tôt pour connaître les raisons exactes de l’échec de cette première occasion de libération. Mais il faut remarquer que, dès cette période, les autorités françaises ont toujours affirmé que les choses allaient dans le bon sens... En se gardant bien, cette fois, de prendre leurs désirs pour des réalités, comme cela avait été le cas à la fin de l’année 2010. Une source très proche des négociations confirme que "depuis plusieurs mois, nous étions assez confiants. Les circuits étaient compliqués, les communications entre les différents acteurs étaient difficiles, et les messages mettaient toujours beaucoup de temps à parvenir à leurs destinataires. Mais les voyants étaient au vert." Une chose paraît certaine à tous nos interlocuteurs : l’annonce par la France du prochain début du retrait de ses troupes n’a pas joué dans la décision des ravisseurs, prise depuis longtemps. Elle n’a pas varié dès lors que leurs revendications, notamment la libération de deux prisonniers par le gouvernement de Karzai, avaient été satisfaites. Quant au terme de "rançon", il est tabou. C’est tout juste si les bons connaisseurs du dossier évoquent avec un clin d’oeil une "participation aux frais de bouche" des détenus. Quelle importance ?

Le gros point positif, affirment les mêmes sources, c’est que cette négociation a permis de valider les circuits de décision chez les talibans, aussi bien en Afghanistan qu’au Pakistan, et de constater que les intégristes paraissant les plus obtus et les plus bornés se sont en réalité montrés ouverts à la discussion et à la négociation "sur des bases réalistes". Pour un cadre du renseignement, qui a activement prêté la main à cette opération : "On sait maintenant que même avec les gens les plus durs et les organisations les plus complexes, on arrive à négocier et à faire prendre des décisions." Un élément crucial alors qu’une forme de "paix des braves" est en train d’émerger, avant que les actuels insurgés ne deviennent, à moyenne échéance, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.

Jean Guisnel