L’étonnant scénario de l’arrestation de Ratko Mladic dans le petit village de Lazarevo commence à se préciser. L’inculpé de La Haye aurait négocié sa reddition, qui aurait été « mise en scène » par les autorités serbes. C’est en tous les cas ce que révèle la presse croate et bosniaque ce mercredi 1er juin 2011. Autre révélation, des agents français, britanniques et allemands auraient participé aux négociations.
Le scénario officiel de l’arrestation a immédiatement posé beaucoup de questions. Il est en effet impossible d’imaginer que Ratko Mladic ait pu se cacher dans le petit village de Lazarevo, en Voïvodine, où il possède beaucoup de parents dont les maisons étaient régulièrement fouillées par la police. Les habitants du village avancent l’hypothèse que le fugitif aurait été arrêté par la police dans un autre endroit, puis transféré à Lazarevo. Les enquêtes menées par plusieurs médias de la région accréditent plutôt l’hypothèse d’une reddition négociée.
Un élément troublant conforte la thèse d’une mise en scène : aucun des parents de Ratko Mladic, notamment son cousin Branko chez qui il a été arrêté, n’a été inquiété par la police, alors que l’assistance aux fugitifs recherchés par le TPIY (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie) de La Haye est un délit réprimé par la loi serbe.
Ratko Mladic a longtemps bénéficié de protections aux plus niveaux de l’armée et de l’État, notamment sous le gouvernement de Vojislav Kostunica (2004-2008). L’année 2008 marque un tournant dans sa cavale, avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement pro-européen, réellement décidé à « solder les comptes » avec le TPIY.
En juillet, Radovan Karadzic est arrêté en plein centre de Belgrade, mais Ratko Mladic parvient encore une fois à échapper. Dès lors, l’action des services secrets serbes a patiemment visé à réduire le cercle des soutiens de Ratko Mladic, et notamment à couper les filières de financement pour « étouffer » le fugitif et le contraindre à se rendre.
Au cours de la dernière année de cavale, Ratko Mladic aurait principalement séjourné dans le quartier de Sest Kaplara, dans la périphérie de Belgrade, où résident beaucoup d’officiers de l’armée serbe. Même si des émissaires assuraient une liaison entre le réseau de protection du fugitif et la police, il n’est pas certain que celle-ci ait précisément connu sa cachette.
Les choses se sont précipitées à partir du début du mois de mai. Selon le quotidien croate Vecernji List, qui se base sur des sources policières et diplomatiques anonymes, des agents français, britanniques et allemands auraient participé aux négociations sur la reddition de Ratko Mladic. Sa femme et son fils, qui auraient été en contacts épisodiques mais réguliers avec lui, se sont rendus, pour la première fois depuis des années, dans le village de Lazarevo à l’occasion de la fête de la Saint-Georges, le 6 mai. Mladic aurait fixé comme condition de pouvoir se rendre sur la tombe de sa fille, qui s’est suicidée en 1994, avant d’être transféré à La Haye, ce qui lui a été accordé.
Selon le quotidien de Sarajevo Dnevni Avaz, Ratko Mladic serait arrivé à Lazarevo deux jours avant son arrestation. Dans la maison de son cousin Branko, il a patiemment attendu que la police vienne l’arrêter jeudi 26 mai, au moment le plus opportun pour le gouvernement serbe, alors que Catherine Ashton était attendue à Belgrade. Selon le quotidien Blic de Belgrade, quand les policiers sont arrivés, Ratko Mladic aurait dit à son cousin : « Offre donc quelque chose à boire à ces gens et puis nous y allons ».
Un dernier détail demeure troublant : c’est un journal croate, Jutarnji List, qui a, le premier, lancé le « scoop » mondial de l’arrestation de Mladic et c’est un autre quotidien de Zagreb, Vecernji List, qui semble le mieux informé sur les conditions de sa reddition. Les services serbes ont probablement préféré « organiser » les fuites en direction de la Croatie pour « amortir » l’effet que ces révélations auraient pu avoir dans la presse serbe.
Jean-Arnault Dérens