Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 3 juin 2011

La cible : Syed Salim Shahzad

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L'ISI, (Inter-Services Intelligence), les services secrets pakistanais, mérite une médaille d'honneur. Cela ressemble tout à fait à une opération des services secrets. Qu'ils l'aient menée directement, qu'ils l'aient sous-traitée aux services du renseignement militaire ou conduite par l'intermédiaire d'éléments « véreux », ils ont placé la barre très haut.

Après tout, lorsqu'un journaliste pakistanais – et non pas un étranger – écrit qu'al-Qaïda a infiltré très en profondeur l'establishment militaire pakistanais, on se doit d'agir avec le plus grand courage.

Par conséquent, on capture ce journaliste. On le torture. Et on le descend. Assassinat ciblé – façon traditionnelle. Après tout, si le Pentagone peut envoyer ses drones dans les paradis tribaux – et s'en tirer – pourquoi ne pas se joindre à l'amusement ?

Salim était un frère. Après le 11/9, nous avons travaillé en tandem : il était à Karachi, j'étais à Islamabad et à Peshawar. Après la « victoire étasunienne » en Afghanistan, je suis allé le voir chez lui. Lors de cette visite et d'autres, il m'a emmené en immersion dans le côté marginal de Karachi. Durant une promenade nocturne sur la plage, il m'a fait partager son rêve : il voulait devenir le chef du bureau au Pakistan de l'Asia Times Online, qu'il considérait comme l'un des summums du journalisme. Il a eu le poste.

Et ensuite, des années avant que l'AfPak ne soit inventé, il a trouvé son champ d'investigation – le carrefour où se croisent l'ISI, la myriade de factions Taliban des deux côtés de l'AfPak et toutes sortes d'apparitions djihadistes. C'était son domaine de prédilection et personne d'autre que Salim ne pouvait ramener des infos plus extrêmes, puisées au cœur-même du noyau des irreductibles.

J'avais rencontré certaines de ses sources à Islamabad et à Karachi – mais au fil des ans, il avait continué à creuser toujours plus dans les ténèbres. Parfois, nous débattions sérieusement par courriel – j'avais peur que quelque fil douteux ou retors de l'ISI se jouât de lui, mais il se portait toujours garant de ses sources.

Acculés par la loi de la jungle, il ne faut pas s'étonner si la plupart de mes amis pakistanais, durant les années 2000, se sont exilés aux Etats-Unis ou au Canada. Salim est resté – sous les menaces, sa seule concession : déménager de Karachi à Islamabad.

Ils ont fini par l'avoir. Pas l'œuvre d'un contact au sein d'al-Qaïda ou du Djihad. Pas celle d'un contact tribal ou Taliban, que ce soit le mollah Omar ou Tehrik-i-Taliban Pakistan. C'est forcément l'œuvre de l'ISI. Salim le savait et il nous le disait depuis toujours.

Alors, bravo à l'ISI – « l'Etat dans l'Etat ». Mission accomplie.

Pepe Escobar