Plus de 80% des Britanniques ne croient pas au suicide du docteur David Kelly, un des inspecteurs de l’ONU chargés de découvrir des armes de destruction massive en Irak. Sept ans après sa mort, le nombre de ceux qui parlent de « crime d’Etat » a triplé. Les appels à rouvrir l’enquête, nombreux depuis que les Travaillistes ont quitté le pouvoir, inquiètent Tony Blair.
Officiellement, le docteur David Kelly, inspecteur de l’ONU en Irak, spécialiste en armement chimique et biologique, s’est suicidé le 17 juillet 2003, dans un bois du Oxfordshire, près de son domicile. Il aurait mis fin à ses jours parce qu’il ne supportait pas que le ministère de la Défense britannique l’accuse d’être à l’origine des révélations d’un reportage de la BBC, diffusé en mai 2003, affirmant que la menace irakienne avait été sciemment « musclée » afin de justifier l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. Pour mémoire, Tony Blair avait assuré, en septembre 2002, que Saddam Hussein possédait des missiles et des armes de destruction massive « opérationnelles en seulement 45 minutes », pouvant atteindre la base militaire britannique à Chypre.
En septembre 2003, selon l’institut de sondage YouGov, 11% des Britanniques pensaient que David Kelly avait été assassiné et 51% qu’il s’était suicidé, suite à des pressions insupportables. En janvier 2004, la commission d’enquête dirigée par Lord Hutton, créée par Tony Blair pour couper court aux rumeurs d’assassinat, avait conclu que le défunt s’était donné la mort, en absorbant vingt neuf comprimés de Coproxamol, un médicament anti-douleur, puis en tailladant son poignet gauche avec la lame ébréchée de son couteau de jardin.
Les conclusions hâtives du rapport Hutton, écartant la thèse de l’assassinat et blanchissant Tony Blair, ont été mises en doute, au fil des ans, notamment par le député libéral Normam Baker, aujourd’hui ministre du gouvernement Cameron.
Dans L’étrange mort de David Kelly, un livre paru en 2007, il affirmait que le biologiste avait été assassiné. Selon lui, le couteau et les médicaments avaient été placés près de son corps pour maquiller le crime en suicide. Fin 2009, six médecins qui réclamaient la réouverture de l’enquête au motif que la quantité de sang trouvé sur les lieux n’était pas suffisante pour entraîner sa mort, s’étaient vu répondre que le dossier Kelly était interdit d’accès pour 70 ans, que l’original avait été « perdu » et que sa copie, archivée, était « introuvable »
Les langues se délient
En août dernier, le Daily Mail, deuxième plus gros tirage de la presse anglo-saxonne, a publié de nouveaux témoignages mettant sérieusement en doute la thèse officielle, ainsi qu’un sondage de l’Institut Harris selon lequel 80% des Britanniques pensent que Kelly ne s’est pas suicidé. En sept ans, les langues se sont déliées.
Graham Coe, le policier qui a monté la garde près du corps après sa découverte, a affirmé n’avoir remarqué qu’un peu de sang sur le poignet du biologiste et pas sur ses vêtements. Deux secouristes, présents sur les lieux, l’ont confirmé. Des médecins légistes ont jugé les causes officielles du décès « extrêmement peu vraisemblables ».
Pour eux, la coupure au poignet n’était pas suffisante pour entraîner sa mort. Enfin, le docteur Bartlett, qui a signé le certificat de décès a reconnu que le corps avait été déplacé et déclaré avoir vu plus de sang au nez du cadavre qu’au poignet. Le déplacement du corps, signe d’une exécution effectuée en un autre lieu, expliquerait pourquoi le système de détection de sources de chaleur de l’hélicoptère survolant l’endroit où Graham Coe l’a trouvé n’avait rien signalé de suspect.
Des proches parlent aussi. Wendy Wearmouth, cousine du docteur Kelly « pense qu’il a été assassiné » car se suicider, dit-elle, était « en totale contradiction avec sa manière d’être ». Richard Spertzel, ancien collaborateur de l’inspecteur de l’ONU en Irak, affirme que Kelly en savait trop et était sur une « liste de gens à abattre ».
Mai Pederson, née au Koweït sous le nom de Maya al-Sadat, sergent- interprète de l’US Air Force à Bagdad, qui fut la confidente de Kelly et l’a converti au bahaïsme – religion d’origine persane qui proscrit notamment le suicide - a donné un coup fatal à la thèse du suicide en révélant que son ami avait des difficultés pour couper la viande dans son assiette, et pour avaler des cachets.
Elle ne croit pas qu’il se soit ouvert les veines ni qu’il a ingurgité les comprimés dont parle le rapport. A la demande de cette dernière, en 2003, la Commission Hutton n’avait pas enregistré ce témoignage et mal transcrit le nom de l’interprète pour ne pas attirer l’attention, dit-on, sur ses activités dans le renseignement militaire américain. Mai Pederson est affectée au Defense Language Institute, une école californienne de formation à l’espionnage, mais ce n’était pas un motif suffisant pour ne pas tenir compte de ce qu’elle disait.
Kelly, obstacle à supprimer
Le Premier ministre David Cameron osera-t-il rouvrir l’enquête sur la mort du Docteur Kelly, comme l’envisageait, en avril 2010, Dominic Grieve, secrétaire à la Justice dans le « Cabinet fantôme » conservateur? L’enterrera-t-on une seconde fois au nom de la raison d’Etat ? Le sondage de l’Institut Harris et les nouveaux témoignages repris par presque tous les médias britanniques, ont contraint les autorités à « changer de disque ». Un chirurgien vasculaire, Michael Gaunt, a été autorisé à consulter les pièces du dossier Kelly, miraculeusement retrouvées.
Mais, en refusant de dire qui le lui avait permis, et en diagnostiquant que le biologiste serait mort de la combinaison de comprimés, du stress et d’un problème cardiaque, il a accru les suspicions de manipulation des documents post mortem.
Pour Graig Murray, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne, la question des ADM était cruciale pour la bonne poursuite de l’invasion de l’Irak. Vivant, David Kelly était devenu un obstacle pour Blair, Cheney, et « une myriade de gens impitoyables » : marchands d’armes, sociétés de mercenaires, compagnies pétrolières… etc… Saura-t-on un jour qui, parmi eux, aurait voulu le supprimer * ?
Gilles Munier