Vingt trois ans, après la découverte du corps sans vie de l'ancien ministre-président du Schleswig-Holstein, à l'hôtel Beau-Rivage, à Genève, l'affaire Barschel intrigue toujours. Et divise les experts.
La baignoire de la chambre 317 a disparu, remplacée par un modèle plus moderne. Elle avait, dans un premier temps, été conservée au grenier. Mais l'encombrant souvenir était mal étiqueté. Il a finalement été emporté lors d'un rangement. «C'est peut-être aussi bien comme ça», confie Jacques Mayer, propriétaire de l'hôtel de luxe Beau-Rivage, aux lecteurs du quotidien munichois «Süddeutsche Zeitung».
Grosse énigme
Cette vieille baignoire genevoise, qui intéresse les médias jusqu'en Allemagne, c'est celle où fut retrouvé sans vie, tout habillé dans son bain, le politicien chrétien-démocrate Uwe Barschel. C'était le 11 octobre 1987. Vingt trois ans après, il ne reste plus que la tristement célèbre photo du reporter du magazine «Stern», qui avait découvert le corps dans la chambre 317. La baignoire n'est plus là, mais l'affaire continue de faire des remous.
C'est que malgré des années d'enquêtes et de rebondissements, la mort de ce politicien aussi doué qu'ambitieux reste totalement inexpliquée. Une grande énigme, de la taille de celui qui aurait pu succéder au chancelier Helmut Kohl. Le mystère déchire les experts, qui opposent la thèse du suicide à celle du crime politique. Et il agite les médias.
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Public partagé
Les «Lübecker Nachrichten» publient même un sondage révélant qu'un habitant sur deux, dans le Land du Schleswig-Holstein, croit au meurtre de leur ancien ministre-président. Tandis que seuls 18% des personnes interrogées estiment que c'était un suicide. Même les à-côtés de l'affaire intéressent. Ainsi, le reportage à Genève rappelle que l'hôtel Beau-Rivage, qui a accueilli Wagner, de Gaulle ou Caroline de Monaco, a été le lieu d'un autre drame. C'est ici qu'est décédée en 1898 l'impératrice Elisabeth d'Autriche, la fameuse Sisi, poignardée par un anarchiste au bord du lac.
Combat d'experts
L'affaire Barschel a été particulièrement ravivée ces derniers mois en Allemagne par un conflit mettant dos à dos le procureur de Lübeck Heinrich Wille et son supérieur, le procureur général Erhard Rex. Le premier, qui défend la thèse de l'assassinat, veut faire paraître les résultats de l'enquête sur la mort d'Uwe Barschel, qu'il a dirigée pendant quatre ans. Le second, qui pencherait plutôt pour le suicide, s'oppose à cette publication, estimant qu'il y aurait violation des obligations de service.
Leur différend a déjà occupé la justice jusqu'au niveau du Tribunal constitutionnel, à Karlsruhe, qui vient de confirmer l'interdiction. La bagarre s'est prolongée dans les médias, les deux magistrats défendant leurs théories jusque dans les moindres détails. Un véritable roman policier pour les lecteurs.
C'est que les indices trouvés dans la chambre 317 peuvent déboucher sur des interprétations diamétralement opposées. Comme ce bouton de chemise découvert à terre, alors que le politicien a été retrouvé la cravate autour du cou. Ou comme ces hématomes sur le côté du front, qui peuvent témoigner de violence physique mais aussi provenir de la maladresse d'un homme présentant des troubles de comportement, après avoir ingurgité un cocktail de médicaments.
Chaussures et whisky
D'autres indices troublants suscitent bien des questions. Il y a cette chaussure craquelée par un liquide agressif, que quelqu'un a tenté d'essuyer avec un linge de bain. Ou cette petite bouteille de whisky, retrouvée rincée, mais contenant encore les traces d'une substance médicamenteuse présente également dans l'estomac du défunt.
Si c'était un suicide, pourquoi les enquêteurs n'ont-ils pas trouvé de lettre d'adieu, ni même les emballages de médicaments? Et comment interpréter les résultats de l'expert-chimiste Hans Brandenberger? Il affirme, sur la base d'une analyse du liquide gastrique et de l'urine, qu'une des quatre substances consommées, le cyclobarbital mortel, a été administrée bien après les autres.
Police genevoise visée
Dans une interview à «Die Welt» et au «Berliner Morgenpost», le procureur Heinrich Wille ne cache pas les difficultés de l'enquête. Il les attibue en particulier au travail sur le lieu du drame, qui n'aurait «pas été mené avec soin par la police genevoise». Les photos prises par les inspecteurs sont sous-exposées, la température du bain n'a pas été mesurée...
Pascal FLEURY