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dimanche 27 septembre 2009

Terrorisme nucléaire : les trois scénarios qui font frémir

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Aujourd’hui, les arsenaux nucléaires de huit pays - Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan et Israël - atteignent au total 12.100 charges nucléaires en service.
A compter de cette année, le budget militaire américain comportera des moyens destinés à la défense contre le terrorisme nucléaire. Il s’agit de garantir une surveillance efficace des matières radioactives aux Etats-Unis et à l’étranger, ainsi que de la planification et de l’organisation d’opérations visant à localiser et à neutraliser les groupes terroristes cherchant à se procurer l’arme nucléaire.

Ce problème se pose également à la Russie. "Les installations nucléaires et les entrepôts de stockage de matières radioactives doivent être bien protégés contre n’importe quelles actions criminelles", a indiqué le président russe lors de l’une des dernières réunions du bureau du Conseil d’Etat en 2007. Selon M. Poutine, la Russie a déjà accumulé plus de 70 millions de tonnes de déchets radioactifs solides et l’infrastructure destinée à leur retraitement n’est pas assez développée.

Le terrorisme nucléaire revêt trois formes possibles : l’utilisation de têtes nucléaires pour frapper des objectifs précis, l’organisation d’actes terroristes dirigés contres des installations nucléaires, par exemple, des réacteurs, et enfin l’utilisation de matériaux radioactifs comme arme radiologique.

Aujourd’hui, les arsenaux nucléaires de huit pays - Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan et Israël - atteignent au total 12.100 charges nucléaires en service. En comptant les charges de rechange et les stocks, ces pays disposent de plus de 27.000 têtes nucléaires. Selon des données récemment publiées, la Russie dépasserait les Etats-Unis en la matière : 5.682 et 5.521 ogives nucléaires respectivement. Parmi elles, on compte 5.021 têtes stratégiques du côté américain, contre seulement 3.352 du côté russe. Ce qui donne respectivement 2.330 têtes tactiques pour Moscou et 500 pour Washington. Les arsenaux britannique, français et chinois sont sensiblement moins fournis : respectivement 185, 348 et 130 charges nucléaires en service.

Des doutes quant à l’intégrité des têtes nucléaires russes sont fréquemment formulés en Occident. Ces craintes sont, dans une certaine mesure, fondées. Au milieu des années 80, certaines unités des Forces armées de l’URSS étaient encore littéralement truffées d’armes nucléaires. Les "entrepôts de stockage" se comptaient par milliers, même s’ils étaient équipés de moyens de défense et de sécurité efficaces. A la fin des années 1980, alors que les frontières nationales de l’URSS commençaient à s’embraser, la direction des Forces armées, pour beaucoup de son initiative personnelle, entama le rapatriement des têtes nucléaires en Russie. En décembre 1991, il ne restait aucune ogive nucléaire sur les territoires des ex-républiques soviétiques, à l’exception de l’Ukraine. Par la suite, des convois "nucléaires" quittèrent l’Ukraine, puis les pays du Traité de Varsovie.

Toutes ces têtes nucléaires furent déployées dans les arsenaux de la 12e direction principale du ministère de la Défense. Au milieu des années 90, la concentration dans ces arsenaux de charges provenant d’entrepôts de petites unités de l’armée russe prit également fin. Les entrepôts actuels bénéficient d’une défense de haut niveau et sont capables de résister à une frappe nucléaire, même directe. Pour autant qu’on le sache, dans les autres pays également les entrepôts de stockage de charges spéciales sont très bien défendus contre toute tentative d’accès non autorisé.

Mais c’est bien la défense concrète des installations nucléaires qui inspire la plus grande inquiétude, d’autant que cela concerne déjà plusieurs dizaines de pays. Il s’agit bien sûr des centrales nucléaires, des réacteurs industriels et de recherche, des entreprises de production, de traitement et de recyclage du combustible nucléaire, ainsi que des installations d’extraction et d’enrichissement de minerai d’uranium.

En cas d’explosion d’une tête nucléaire de puissance moyenne, la principale caractéristique de la frappe sera la contamination radioactive à long terme des environs, sur plusieurs kilomètres carrés. Alors qu’en cas d’explosion d’un réacteur ou d’un entrepôt de combustible usagé, la surface contaminée pourrait atteindre plusieurs centaines de kilomètres carrés. Pire encore, l’explosion d’une usine d’enrichissement d’uranium ou d’un réacteur destiné à la production de matières nucléaires pourrait entraîner une contamination de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Et sur ce point la menace du terrorisme nucléaire est aujourd’hui parfaitement réelle.

"L’une des plus sérieuses menaces aujourd’hui est représentée par la tendance chez les (groupes) terroristes à s’emparer de matières radioactives et à accéder aux technologies nucléaires", a récemment déclaré le directeur du FSB (Service fédéral de sécurité) Nikolaï Patrouchev. De l’avis de nombreux experts, un certain nombre d’installations de stockage d’uranium hautement enrichi et de plutonium à usage militaire sont aujourd’hui encore insuffisamment protégées contre d’éventuelles actions terroristes, et ce, tant en Russie qu’aux Etats-Unis, sans même parler des autres pays. Il faut savoir que fabriquer un engin explosif avec de l’uranium-235 est bien plus facile qu’avec du plutonium-240. Quant à l’uranium issu des réacteurs de centrales, tout comme le combustible nucléaire usé provenant des sous-marins, ils ne peuvent être utilisés pour confectionner une arme nucléaire classique. C’est pourquoi il est aujourd’hui question d’explosifs nucléaires primitifs, que l’on désigne sous le nom de "bombes sales". La réaction en chaîne reste impossible en cas de déclenchement d’une bombe de ce type, mais sa seule explosion physique peut provoquer une vaste contamination radioactive.

Les actions entreprises afin de se parer contre toute tentative de groupes extrémistes de se procurer de l’uranium hautement enrichi et du plutonium à usage militaire constituent le dernier rempart contre l’incarnation dans la réalité du cauchemar du terrorisme nucléaire.

En se référant à des données de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le général de police Andreï Novikov, directeur du Centre antiterroriste de la CEI, avance qu’entre janvier 1993 et décembre 2006, 1.080 cas de commerce illégal, de disparition, d’utilisation ou de détention illégales de matières nucléaires ou radioactives ont été relevés. "Depuis 2002, le nombre de cas de contrebande de matières radioactives pouvant servir à la préparation de "bombes sales" a doublé en Europe".

On s’attend dans les prochaines années à une possible intensification de l’activité terroriste dans la région d’Asie centrale, où d’importantes réserves de minerai d’uranium sont concentrées sur les territoires du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan.

Selon les experts russes, le système actuel de barrières contre le terrorisme nucléaire dépasse aujourd’hui les possibilités des groupes terroristes. Cependant, l’efficacité de la lutte contre le terrorisme nucléaire ne peut se fonder uniquement sur des réponses impulsives ou sur les succès épisodiques des services spéciaux. Seul un système complexe de mesures permettra au monde d’échapper à cette menace.

Pour la communauté internationale et en premier lieu pour les pays nucléaires, l’élaboration et la mise en place d’un tel système est une tâche de tout premier ordre.
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Iouri Zaïtsev
conseiller titulaire de l’Académie russe d’ingénierie