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vendredi 11 septembre 2009

La Russie entretient le mystère autour de la cargaison de l’"Arctic-Sea"

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Le mystère de l’Arctic-Sea, ce navire détourné en mer Baltique en juillet, puis libéré par la marine russe au large de l’Afrique en août, s’est épaissi un peu plus encore, mardi 8 septembre, en raison des explications peu convaincantes des autorités russes.

Pour couper court aux spéculations des médias étrangers, prompts à affirmer que le bateau convoyait des missiles russes destinés à l’Iran, le parquet russe a rendu compte de son travail d’inspection. Un constat s’impose : les enquêteurs n’ont trouvé "que du bois" à bord, dit un communiqué du parquet, mardi. "Les enquêteurs examinent en détail la cargaison du bateau : il n’y a que du bois de sciage. Aucune autre marchandise que celle qui a été déclarée n’est apparue jusqu’à maintenant", affirme le comité d’enquête du parquet.

Dans quelques jours, l’Arctic-Sea entrera dans le port russe de Novorossiisk, sur la mer Noire. A son arrivée, il sera de nouveau inspecté. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a promis, mardi, une enquête "transparente" sur toute l’affaire, avec la participation des autorités de Malte, où le navire était enregistré. Selon lui, les affirmations récentes de plusieurs experts et des médias sur la présence dans les soutes de missiles russes air-sol S-300 sont "absolument fausses".

Malgré ces démentis, les questions demeurent. Si l’Arctic-Sea transportait bien du bois de sciage, comment se fait-il qu’il ait été la cible de pirates ? Pourquoi l’Etat russe a-t-il déployé de tels moyens - mise en alerte de deux sous -marins, mobilisation de trois vaisseaux militaires, coopération avec l’OTAN - pour sauver une cargaison de bois, estimée au bas mot à 1,3 million de dollars (920 000 euros) ? Enfin, pourquoi les marins rapatriés (11 des 15 membres de l’équipage) ont-ils été placés au secret sitôt leur arrivée à Moscou ?

La façon dont les membres de l’équipage ont été interdits de contact avec la presse après avoir été libérés ne fait qu’ajouter au mystère. "Nous étions dans le triangle des Bermudes, et les pirates nous nourrissaient de crème glacée", a plaisanté l’un d’entre eux à son arrivée en Russie.

Le 20 août, les onze marins et les huit présumés pirates de l’Arctic-Sea étaient ramenés à Moscou par trois Iliouchine 76, des avions de transport militaire capables de convoyer 40 tonnes de chargement chacun. A l’évidence, ces appareils transportaient autre chose que les marins, les pirates, et leurs bagages. Sans aucun doute, ces gros porteurs avaient à bord la mystérieuse cargaison de l’Arctic-Sea. Une fois celle-ci à l’abri, les enquêteurs ont pu se mettre au travail : il ne restait plus que du bois.

"Vous verrez. Quand l’Arctic-Sea arrivera à Novorossiisk, le contenu de ses cales sera filmé et montré pour nous prouver que rien ne s’est passé", confiait au Monde, il y a quelques jours, Mikhaïl Voïtenko, rédacteur en chef du bulletin maritime Sovfrakht. Cet expert avait été le premier à émettre des doutes sur la version officielle de piratage du navire. Selon lui, l’affaire de l’Arctic-Sea n’avait rien d’un différend commercial ni d’une opération mafieuse. Il s’agissait plutôt d’une "affaire grave entre deux Etats".


"Révoltant"

S’il a tiré la sonnette d’alarme, c’est par solidarité avec les marins. Il craignait que l’équipage ne soit accusé de complicité avec les présumés pirates. "Les marins savent ce que le bateau transportait dans ses cales, mais ils n’y sont pour rien. Le fait de les avoir enfermés des jours durant à Lefortovo (la prison du FSB, les services de sécurité russes) est révoltant. Ils sont rentrés chez eux à Arkhangelsk, mais n’essayez pas de les joindre, ils sont sous la loupe du FSB."

Visiblement effrayé, Mikhaïl Voïtenko nous avait raconté alors avoir reçu "des menaces par téléphone de la part de gens très sérieux". Deux jours plus tard, craignant pour sa vie, il prenait le premier avion pour la Turquie. Sovfrakht, son employeur, s’est empressé d’affirmer qu’il avait été "envoyé en voyage d’affaires à Istanbul". Il est maintenant réfugié en Thaïlande.
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Marie Jégo