Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 18 mai 2006

LE PROJET HUNTER

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Un projet conjoint de la CIA et du FBI, pour espionner le courrier des citoyens Américains.

Ce projet de la CIA sera mis en oeuvre, suite à une demande du FBI à la fin de 1957, qui leur demandait de créer un programme d'interception du courrier des Américains. Ce qui aboutira à un projet, dans le but de "collecter des informations de contre-espionnage", qui sera proposé par la CIA et sera accepté par le FBI.(1)
Ce projet sera organisé par l'agence de leur propre chef, sans en informer le gouvernement, ni demander une quelconque autorisation au préalable. Même si l'ouverture du courrier peut paraître un geste "simpliste", nous avons-là un exemple type, d'une opération que pouvait mener la CIA sans aucune autorisation gouvernementale (et aussi, de la connivence qui existait entre la CIA et le FBI).

Car le FBI avait lui aussi un programme d'ouverture du courrier, entamé dans les années quarante et qui s'est poursuivi après-guerre, officiellement, pour détecter des agents Soviétiques infiltrés opérant aux Etats-Unis (2). Avec l'opération Hunter, faite par l'intermédiaire de la CIA, le bureau fédéral demande à l'agence de renseignement de faire ce qu'elle n'a pas le droit. C'est-à-dire, espionner le courrier de personnes qui ne sont pas des agents étrangers potentiels. Bien évidemment, ce procédé est intéressant pour éviter que le FBI puisse être poursuivi, en cas de découverte de cette activité illégale et non autorisée. Si cela arrive à la connaissance du gouvernement, le FBI pourra toujours se dédouaner en disant: "Ces renseignements nous ont étaient envoyés par la CIA", et de son côté la CIA niera en bloc, ou bien trouvera à se couvrir d'une façon ou d'une autre (normalement, au niveau de la loi, la CIA n'a pas le droit de procéder à des opérations d'espionnage sur le territoire Américain. Cela est dévolu au FBI).

Les informations qui intéressent le plus le bureau au départ, étaient de différentes natures et concernaient principalement:

- Les individus et les organisations pacifistes anti-guerre;
- Les individus et les organisations militant pour les droits civiques;
- Les mouvements féministes;
- Les activistes des minorités noirs;
- Des "employés du gouvernement" et des "organisations contestataires".

Comme on le voit, il ne s'agit pas du tout d'identifier d'éventuels agents secrets étrangers. Les listes des différentes personnes et organisations dont il fallait espionner la correspondance étaient bien-sûr fournies par le FBI.

Les deux principaux agents qui s'occupèrent de mettre en place et de de gérer l'opération, seront JamesAngleton, en tant que chef du service du contre-espionnage de la CIA, et Sam J. Papich, agent spécial du FBI qui assurait la liaison avec la CIA. Les documents échangés entre eux, indiquent que ce programme d'ouverture du courrier sera une opération parmi les plus étendues. Il y aura un mémorandum du 22 janvier 1958 adressé par Allan Belmont, directeur-adjoint de la "Domestic Intelligence Division" de la CIA (le service qui s'occupe du projet Hunter)(3), qui mentionnera que c'est "l'une des opération les plus sensible de toutes les opérations clandestines de la CIA", car "cela permettrait d'avoir aussi une couverture pour pouvoir identifier des personnes qui pourraient être approchées pour devenir des contacts et des sources pour la CIA". Ce mémo arrivera sous les yeux du directeur du FBI J. Hedgar Hoover, qui approuvera le projet en écrivant sur la dernière page "OK. H.", ("OK pour Hunter") suivit de sa signature.

Le programme pût démarrer avant sa mise en place définitive, immédiatement dès janvier 1958, sans aucun problèmes. En effet, c'est depuis le courant de l'année 1954, que la CIA procède déjà à l'ouverture systématique du courrier transitant entre les Etats-Unis et l'URSS (4). Et à partir de février 1958, le FBI commença à revoir les copies du contenu des lettres, par le biais de l'antenne de la CIA de NewYork, et ce sans discontinuer, durant toute la durée du projet.

La procédure mise en place pour le projet.

Le 24 janvier 1958, il y aura une réunion entre Sam Papich, JamesAngleton et Sheffield Edwards, pour préciser les modalités d'actions de l'opération. Il fût décidé que les lettres seraient photographiées par la CIA, en précisant que l'agence n'avait pas la permission du "Poste Office Department", le service postal des Etats-Unis. Ils ajouterons que le FBI collaborerait et soutiendrait l'antenne de la CIA de New York pour le projet.

La procédure très précise de l'ouverture du courrier fût établi le 6 février 1958. La collaboration entre les deux agences gouvernementale était désignée sous le nom de "Projet Hunter" (les courriers échangés avec l'Amérique Latine auront quelques années plus tard leur propre projet, appelé "Hunter-Vince", qui sera un sous-programme du "Projet Hunter"). Elle suggérait aussi de faire des listes de noms des personnes et organisations à espionner, en leur attribuant à chacun un numéro respectif, sous la dénomination "Hunter RequestNumber...", "numéro pour une requête Hunter". Et les informations reçues seraient répertoriées par un dossier correspondant, sous la dénomination "Hunter Report Number...", "Numéro de dossier Hunter".
La classification spéciale, élaborée pour les listes et les dossiers, entrera dans le cadre du projet déjà existant de la CIA, le projet "HT Lingual" (5), et tout le résultat du travail de dépouillement, de tri et de synthèse des renseignement, sera désigné sous le terme "HT Lingual Material", par la CIA (Mémorandum du 23 janvier 1975, "pour les archives", ayant pour sujet: "Approximate statistics on CI Staff Project, HT LINGUAL Matérial).

La connaissance du projet était limité à la "Domestic Intelligence Division" au siège de la CIA. Les autres agences anti-criminalité, qui pouvaient recevoir les informations issu du projet Hunter, n'étaient pas au courant de l'origine des renseignements (qu'ils étaient obtenu en ouvrant le courrier). Sur les documents administratifs qui leur parvenaient, et sur la correspondance interne, un simple symbole dactylographié ("Informant Symbol"), remplaçait le terme "Project Hunter". La raison invoqué était de protéger la source (et les informateurs) qui avaient fournis ces informations.

De plus, le FBI établira cinq catégories de correspondance, pour classer les différents besoin d'information, pour la CIA (qui élargissait encore les possibilités):

1) Toutes correspondance de nature suspecte, etc;

2) Toutes correspondance indiquant que les Soviétiques utiliseraient des otages ou tous autres moyens de pression sur des citoyens Soviétiques extradés en dehors de l'URSS ou des personnes expatriées vers les Etats-Unis;

3) Toutes informations apparaissant dans la correspondance, indiquant une désaffection pour l'URSS de la part de Soviétiques présents aux Etats-Unis et qui pourrait être considéré par le bureau comme pouvant être approché, pour détecter les individus qui seraient mûrent pour la défection ou la possibilité d'en faire des agents double;

4) Toutes informations apparaissant dans la correspondance, indiquant que les Soviétiques contrôle la direction du "CPUSA", "Communist Party, USA", le parti communiste Américian.




Au bout de trois ans et demi, en 1962, le FBI précisera son intérêt pour certaines informations en ajoutant les catégories suivantes:

1) Tout le trafic du courrier non désiré mentionnés dans les catégories, dans lequel le traducteur pourrait remarquer un intérêt significatif pour le renseignement;

2) Tout le trafic du courrier dans lequel on remarque qu'il est adressé à des employés du gouvernement ou des employés de secteurs industriels sensibles, comme par exemple les missiles;

3) Tout le trafic du courrier qui aurait un intérêt pour le renseignement, qui mentionnerait qu'un individu voudrait offrir ses services à l'URSS ou qui voudrait émigrer en URSS et devenir citoyen Soviétique. Ou encore les individus disant être pro-soviétique ou avoir des sympathies pro-communiste.



Pour en ajouter encore quelques mois plus tards, le 31 octobre 1962:

1) Tous les documents émanant de Porto-Rico de nature anti-américaine ou pro-soviétique;

2) Les données reçues par les groupes pacifistes Américains, en provenance d'URSS ou d'un pays du bloc de l'Est;

3) Les données indiquant le décès ou tout ce qui concerne les communistes Américains à l'étranger;

4) Tout le trafic de courrier des étudiants Américains à Moscou ou toutes personnes souhaitant faire des étude universitaire à Moscou;

5) Tout le trafic entre des personnes Américaines qui séjournent, ont résidées, ou prévoient un voyage en URSS.



Il y aura une révision de ces catégories en mars 1972, qui ramènera les catégories à onze:

1) Les actuels et anciens programmes d'échange d'étudiants, d'observateurs et de scientifiques avec l'URSS;

2) Les actuels et anciens visiteurs officiels Soviétiques;

3) Cette catégorie nous est inconnue car elle est demeurée secrète.

4) Les échanges d'étudiants, de chercheurs, ou de personnes qui ont été en URSS avec des délégations et pour des expositions Américaines;

5) Cette catégorie nous est inconnue car elle est demeurée secrète;

6) Les personnes sur une liste à surveiller: communistes connus, activiste de la nouvelle gauche, extrémistes et autres éléments subversifs, agents suspectés ou reconnu comme étant des espions, individus connu pour être d'un intérêt pour les Soviétiques parce qu'il ont des connaissances dans des domaines spécialisés ou travaillent sur des sujets classifiés;

7) Le parti communiste et ses organisations... Les extrémistes et les organisations de la nouvelle gauche;

8) Les organisations protestataires et pacifistes, telle que: People's Coalition for Peace and Justice, National Peace Action Committee et le Women's Strike for Peace;

9) Les communistes, Trotskistes et autres membres Marxiste-Léniniste, les groupes extrémistes et subversifs, tel que: The Black Panthers, White Panthers, Black Nationalists and Liberation group, Venceremos Brigade, Progressive Labor Party, Worker's student Alliance, Student for Democratic Society, Resist, Revolutionary Union, et d'autres groupes de la nouvelle gauche. Cela inclu les personnes ayant des sympathies pour l'Union Soviétique, la Corée du Nord, le Nord-Vietnam et la Chine;

10) Individus Cubains et pro-castriste aux Etats-Unis;

11) Le trafic du courrier venant et partant de Porto-Rico et des Iles Vierges, montrant un anti-américanisme ou des sympathies subversives.



Le bilan des personnes et des organisations espionnées.

La consulation du nom des personnes et organisations figurant sur les listes de surveillance fournies par le FBI mentionnent, entre autres:

Le journal "The National Guardian", Student Non-Violent Coordinating Committee, National Mobilization Committe to Endthe War in Vietnam, Student for Democratic Society, la publication "Rampart", Clergy and LaymenConcerned about Vietnam, The Liberation New Service, Jeremy J. Stone (directeur de la fédération Américaine des sciences), Center for theStudy of Public Policy, Linus Paulling, Institut for Policy Studies...etc.

Il y aura en tout 286 noms soumit à la CIA par le FBI, pour constituer les "Hunter Request", qui figureront sur les listes de surveillance. Et 180 supplémentaires parviendront à la CIA, pour la zone propre à l'Amérique Latine, dans le cadre de l'opération "Hunter-Vince". Cette opération, démarrée le 21 février 1963, ne durera qu'un mois et prendra fin le 19 mars 1963.

La totalité du nombre de courriers ouverts, qui est indiqué précisément année par année, dans un mémorandum de la CIA du 23 janvier 1975, "pour les archives", donne littéralement le vertige.
Entre 1958 et 1973, année de la fin du projet, ce seront en tout 215.820 courriers qui seront ouverts par la CIA (en plus de son travail d'ouverture du courrier qu'elle effectue elle-aussi pour son propre compte), avant d'être dépouillé et de faire le tri, avant de transmettre les renseignements demandés par la FBI. Le FBI recevra en tout, entre 1958 et 1973, les copies ou les résumés de 57846 courriers. En plus de son travail d'ouverture du courrier qu'elle effectue elle-aussi pour son propre compte).

Le FBI ne donna pas de date précise pour un arrêt du projet, étant donné qu'il s'agissait d'un projet de la CIA. Parce que, "Officièlement pour le bureau", c'était à la CIA de décider.
Il y aura un courrier de Edgard Hoover en 1970 (le "Huston Report"), disant: "que le bureau s'opposait à couvrir une opération d'ouverture du courrier, parce que c'était clairement illégale et que si cela arriver à la connaissance du service des poste ou de la presse, cela pourrait être sérieusement dommageable pour la communauté du renseignement Américaine" (comme on le voit, ce n'est pas la mauvaise foi qui l'étouffe).

La CIA mettra fin au projet Hunter le 16 février 1973, à la suite d'une entrevue le même jour entre le Lieutenant-Général Vernon A. Walters, alors directeur-adjoint de la CIA et le directeur des opérations du FBI, L. PatrickGray.



(1) C'est le FBI qui donnera le nom de "Projet Hunter" ("chasseur") à ce programme et la CIA le reprendra.
(2) Voir "Les Black Program: Le Projet Z-Coverage".
(3) Par le terme "Domestic Intelligence", "renseignement domestique", la CIA désigne "les renseignements relatifs à des activités ou des conditions, qui menacent la sécurité interne au sein du théatre d'opération du territoire des Etats-Unis (en général ou pour des ministères, des agences ou des officiels du gouvernement) et qui pourrait necessité l'emploi de troupes".
(4) En 1961, le FBI apprendra que la CIA développait un "test de faisabilité", grandeur nature, pour intercepter les courriers de la ville de New York, en les enregistrants sur micro-films et aussi par d'autres techniques secrètes de captation des données écrites. La CIA offrit ses services en utilisant ce nouveau procédé, mais le FBI ne donnera pas suite en disant ne pas être intéressé.

(5) Voir "Les Black Program: Le Projet HT Lingual".

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