Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 5 février 2006

LE PROJET ALSOS

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Une opération de renseignement pour connaitre l'état et l'avancée des recherches nucléaires Allemande.

Durant toute la guerre, les Etats-Unis eurent l'incertitude constante, que l'Allemagne pourrait être en avance de deux ans dans le développement d'une arme nucléaire. Tant que les Etats-Unis n'avaient pas plus de renseignements, ils devaient supposer que l'Allemagne nazie était en train de travailler sur un programme nucléaire, qui serait en avance sur le leur.

Par conséquent, il était essentiel pour les autorités Américaines d'apprendre tout ce qu'elles pouvaient sur les progrès accomplis par l'Allemagne. Cependant, le renseignement militaire classique par les voies normales (le G-2, le service de renseignements de l'US Army; l'ONI, Office of Naval Intelligence; et l'OSS, Office of Strategic Service) semblait insuffisamment préparé pour enquêter sur cette question. D'une part, dût au fait que le secret autour du Projet Manhattan devait être total et si complet, que même les organismes de renseignement militaire, ne devaient pas être au courant de la moindre chose, concernant le projet Américain. Et d'autre part, ils n'auraient pas la compétence scientifique nécessaire pour être en mesure d'analyser et de pouvoir évaluer les éventuels progrès Allemands.

Il fallait donc créé un nouvel organisme de renseignements (et de centralisation des informations recueillies), exprès pour aider et rassurer le projet Manhattan.


La création du Projet Alsos.

La solution s'est présentée en septembre 1943, lorsque le général Marshall suggéra qu'une opération de renseignement séparée, directement sous l'égide du "Manhattan Engineer District" serait mise en place. L'extrait suivant d'une note par le général George Marshall en 1943, a officialisé le projet et a établit la priorité des missions de l'opération Alsos:

"Bien que la majeure partie de l'évolution scientifique ennemi secrète est menée en Allemagne, il est très probable que beaucoup d'informations utiles peuvent être obtenues en interrogeant à ce sujet d'éminents scientifiques italiens en Italie... La portée de l'enquête devrait couvrir tous les principaux scientifiques militaires, sur l'évolution de leurs recherches et les enquêtes doivent être menées de manière à acquérir des connaissances de la progression de l'ennemi sans divulguer notre intérêt dans un domaine particulier. Le personnel qui entreprendra ce travail doit être scientifiquement qualifié à tous égards... Il est proposé d'envoyer quand les Alliées occuperont l'Italie un petit groupe de scientifiques civils assisté par le personnel militaire nécessaire pour mener ces enquêtes. Les membres du personnel scientifique seront choisis par le Brigadier-Général R. Leslie Groves, avec l'approbation du Dr. Vannevar Bush et le personnel militaire être approuvé par son adjoint. Le Chef d'état-major et le personnel du G-2 doit être disponible pour lui... Ce groupe formera le noyau d'une activité similaire dans d'autres territoires ennemis occupés et des pays ennemis lorsque les circonstances le permettront."

Le projet prit le nom de "Opération Alsos" et devint alors bel est bien un sous-projet du Projet Manhattan.


Le projet Alsos se décomposait en trois phases.

Ce futur service de renseignements, au contraire des autres services précédemment cités, devait non seulement trouver des informations en amont, mais également serait obligé de se rendre sur le terrain, dès que cela serait possible. C'est pourquoi dès le départ, il avait été décidé que l'opération Alsos se déroulerait en trois phases (en fait, trois "missions militaires" distinctes, au fur et à mesure de l'avance Alliée):

Phase I - l'Italie;
Phase II - La France;
Phase III - l'Allemagne.


Le détachement d'origine était composée au départ d'un petit groupe de treize personnes, y compris des interprètes et six scientifiques. Les membres de l'équipe étaient généralement familiers avec les programmes de recherche des Etats-Unis et de l'Angleterre et étaient capables d'obtenir par le biais d'interrogatoires, d'un recoupement et d'une analyse des informations, des renseignements scientifiques détaillées, sur l'avancée de la recherche atomique en Allemagne. Les membres étaient dirigé par le lieutenant-colonel Boris T. Pash, commandant l'opération. Par la suite, le Dr Samuel Goudsmit sera ajouté à l'équipe, en tant que responsable de toute la partie scientifique. Par la suite, l'unité grandira tout au long de la guerre.


Le Bureau de Londres.

En décembre 1943, un bureau fût ouvert à Londres pour faire la liaison entre le "Manhattan Engineer District" et les diverses agences de renseignement opérant en Europe occupée. Le bureau était commandé par le Major R. Furman et sera plus tard sous le commandement du capitaine K. Calvert (le major Furman retournera à Washington pour travailler avec le général Groves). Le bureau était composé du capitaine George C. Davis, de trois WAC, "Women Auxilliary Corps" (le "corps des auxiliaires féminines" de l'US Army) et de deux agents du CIC, "Counter Intelligence Corps (le contre-espionnage Américain). L'objectif principal de ce bureau de liaison a été de centraliser le maximum de renseignements pour les trois "Missions Militaires Alsos" (France, Italie, Allemagne), en réussissant la localisation de près de cinquante scientifiques Allemands ainsi que de laboratoires et d'installations qui étaient soupçonnés d'être utilisé pour la recherche nucléaire.

La mission Alsos I - Italie.

Les objectifs en Italie étaient d'obtenir des informations préalables sur les développements scientifiques de la recherche ennemi et d'être en possession de toutes les personnes importantes, les laboratoires et les informations scientifiques, dès que cela serait rendu possible, par les opérations sur le terrain.

La mission Italienne a d'abord été constituée à Alger le 14 décembre 1943. En plus du lieutenant-colonel Boris Pash, il y avait un autre officier, quatre interprètes, quatre agents du CIC et quatre scientifiques: le major William Allis, le lieutenant-Cdr. Bruce S. Vieille, le Dr James B. Fisk de l'OSRD, Office of Scientific Research and Development et le Dr John R. Johnson (aussi de l'OSRD).

En Italie, la mission n'a pu obtenir aucune information concluante sur les expérimentations en Allemagne des recherches sur l'énergie atomique, mais d'autres de type de découvertes scientifiques qui y seront faite, seront d'une grande utilité pour les Alliés.

La mission Alsos II - France.

Au cours de l'été 1944, le week-end qui suivit le débarquement en Normandie, le contingent augmenta avec l'arrivée de trente scientifiques, dont la plupart étaient officiers. En France, Alsos fera sept opérations sur le terrain. Le 9 août 1944, des éléments avancés de la mission Alsos atterriront en France occupée et entreront dans la ville de Rennes. Plus tard dans le même mois, le lieutenant-colonel Pash, le capitaine Calvert et deux autres agents du contre-espionnage rejoindront les unités d'assaut de la XIIème armée, qui s'avança vers Paris (il parait que la Jeep de Pash sera le deuxième véhicule Américain à entrer dans Paris).

Un des principaux objectifs de la mission Alsos II était le Collège de France à Paris, où Frédéric Joliot-Curie avait son laboratoire. Joliot-Curie a volontiers répondu aux questions et a confirmer que c'était sa conviction que l'Allemagne "avait fait peu de progrès", dans la maîtrise de l'énergie atomique. L'importance des informations ressortant des entretiens avec Joliot-Curie seront de connaitre les noms de plusieurs grands scientifiques Allemands qui avaient soit visité ou avaient temporairement travaillé au laboratoire de Paris. Ceux-ci étaient: le professeur Erich Schumann, qui avait déjà dirigé la recherche Allemande sur l'uranium; le Dr Kurt Diebner, un physicien nucléaire; le professeur Walter Bothe, un excellent expérimentateur dans le nucléaire; le Dr Abraham Essau, le Dr. Wolfgang Gertner, le Dr Erich Bagge, et le Dr. Werner Maurer.

Au début de l'automne, Paris était entre les mains des Alliés et l'équipe Alsos II établira un siège pour sa mission. De là, plusieurs petites équipes Alsos travaillèrent avec les forces Alliés, pour commencer la recherche et la localisation des scientifiques Allemands. Investissant toutes installations de recherche et de matériels connexes (comme l'uranium et l'eau lourde), et aussi d'archiver et d'étudier le contenu de tous documents scientifiques. La tâche la plus difficile était de repérer les scientifiques Allemands et le lieu de leurs recherches, même si le travail préalable du bureau de Londres les aida énormément.

Au moment de la seconde mission Alsos dans la France occupée, Horace Calvert avait réussi à obtenir des dossiers officiels Allemands de l'ensemble des scientifiques de haut niveau, et aussi où ils avaient travaillé et où ils avaient vécu.

Pendant les derniers mois de 1944, la mission Alsos s'avança en Allemagne. Les progrès furent temporairement arrêté par la contre-offensive Allemande (la Bataille des Ardennes). La mission a utilisée ce temps pour analyser les milliers d'éléments d'information qui étaient en leur possession. Des références persistantes à une petite commune Allemande de Hechingen donna lieu à croire que certains types de recherche seraient peut être concentrées à cette endroit. Et il s'avéra à ce moment que le sort de trois des plus éminents physiciens Allemands, Werner Heisenberg, Otto Hahn et Carl von Weizsäcker, était encore inconnu.

La mission Alsos III - Allemagne.

La mission militaire Alsos III est entrée en Allemagne le 24 février 1945. Elle eu alors en soutient l'apport du 1269ème Engineer Combat Battalion. C'est à ce moment qu'une urgente préoccupation de leurs supérieurs, occupa une bonne partie de leur temps. Les Américains avaient peur de ne pas apprendre des informations importantes, car des scientifiques et des installations pouvaient être aussi fait pris par les Soviétiques, du fait de leur avance sur le terrain. Cela été la source de beaucoup d'intrigues de la part des Alliés, dans leur maneuvre pour avancer sur Berlin. En fait l'objectif principale des Américains n'étaient pas de prendre Berlin avant les Soviétiques. Leur priorité était de s'assurer, d'occuper les zones géographiques où ils savaient, que se trouvait des scientifiques et des complexes de recherche, importante pour les Etats-Unis, de par leurs activités de pointe et de haute technologie.

Par exemple, si une installation clé était dans la zone d'occupation prévue pour les Soviétiques. Il n'y avait aucune possibilité pour les Américains d'atteindre les personnels et les installations. Afin de remédier à cela, le général Groves a fait une demande au général Marshall pour que ces positions inaccessibles par les Américains soient détruites (non seulement pour contrer une éventuelle menace Allemande, mais aussi pour éviter qu'elles ne tombent intactes aux mains des Soviétiques). Le 15 mars 1945, 612 forteresses volantes B-17, larguèrent près de 2000 tonnes de bombes sur les usines Auergesellschaft à Oranienburg, au nord de Berlin. L'usine fût totalement détruite.

L'opération Havre.

D'autres maneuvres ont eu lieu, initiées par la mission Alsos. L'une d'elle est l'Opération Havre. Après la libération de la France, il avait été décidé de donner aux Français une "zone d'occupation" en Allemagne, qui leur sera finalement cédé. La zone destinée à être donnée aux forces françaises avait été désignée "American zone A". Des installations de recherche, y compris la recherche nucléaire réputée, dans le centre de la région de Hechingen se situait dans la future zone Française. Le général Groves déclara: "Comme je l'ai vu, il ne saurait en être question, les troupes Américaines doivent y arriver. Ils nous faut être les premiers à arriver à cette installation vitale, car il est de la plus haute importance pour les Etats-Unis que nous contrôlions toute la zone qui contient les activités de l'énergie atomique Allemande... J'ai été obligé d'engager des mesures draconiennes pour accomplir notre but."

La stratégie derrière l'Opération Havre, devait être d'une rapidité considérable, pour avancer et tenir la zone assez longtemps pour capturer les chercheurs, saisir les documents et supprimer tous les enregistrements ou copies disponibles, et détruire toutes les installations opérationnelles restantes. L'opération a été lancée en avril 1945 et Hechingen a été prise le 24 avril. Pash prit un laboratoire de physique atomique et plusieurs scientifiques recherché, dont Otto Hahn, Carl von Weizsäcker, et Max von Laue. On y apprit que Heisenberg, Gerlach, et quelques autres avaient quitté Hechingen deux semaines avant et se trouvaient peut-être à Munich ou à Urfeld, dans les Alpes bavaroises. Le 27 avril, les scientifiques Allemands ont été transférés à Heidelberg pour un nouvel interrogatoire, où l'emplacement des dossiers sur la recherche atomique a été révélé par von Weizsäcker. Ils étaient scellés dans un fût en métal qui avait été caché dans une fosse sceptique derrière la maison de von Weizsäcker.


Le colonel Boris Pash, (à droite) en Allemagne en 1945.



Alors que l'opération Havre était en cours, les enquêtes à Heidelberg portèrent leurs fruits. Il était devenu évident qu'il y avait deux groupes de travail en Allemagne sur la pile à uranium. Le premier, d'après les travaux de Kurt Diebner à Francfort et le second, à partir des travaux de Werner Heisenberg. Le 12 avril, le laboratoire Diebner a été occupé à Francfort. Le 1 mai 1945, Gerlach a été capturé et Diebner le 3 mai. Simultanément, une opération conduite par Pash à Urfeld, permit de capturer Heisenberg et de confisquer des dossiers de recherche à Heidelberg.

Il y eu aussi la prise d'autres éléments liés à la recherche nucléaire Allemande, à Haigerloch, à Henchingen, à Bisingen, et à Tailfingen entre le 22 et le 26 avril.

La découverte d'un stock d'uranium en Allemagne, par la mission Alsos III.

Il y eu d'autres importantes réalisations de Alsos III, dont une opération dirigée par le lieutenant-colonel John Lansdale (qui s'occupait auparavant de la sécurité à Los Alamos et avait été envoyé par Groves pour faire partie de la mission Alsos) dans une zone près de Stassfurt, en Allemagne. Après la saisie d'une mine de sel connu sous le nom de "l'usine WIFO", le 17 avril 1945, Lansdale et ses hommes découvrir un inventaire de près de 1100 tonnes de minerai d'uranium. Cette découverte aboutira à la note suivante du général Groves, responsable du Projet Manhattan, pour le général George Marshall, chef d'état-major: "En 1940, l'armée Allemande en Belgique a confisqué et ramené en Allemagne environ 1200 tonnes de matériau de minerai d'uranium. Tant que cela est resté cachée sous le contrôle de l'ennemi, nous ne pouvions pas être sûr, qu'ils pourraient se préparer à utiliser des armes atomiques. Hier, j'ai été informé par câble que le personnel de mon bureau avait repéré ce matériel à proximité de Stassfurt, en Allemagne, et qu'il était maintenant procédé à son expulsion vers un endroit sûr en dehors de l'Allemagne où il serait sous le contrôle total de l'Amérique et des autorités britanniques. La prise de ce matériau, qui était l'essentiel pour obtenir des approvisionnements d'uranium disponible en Europe, semblent réfuter définitivement toute possibilité d'une fabrication par les Allemands et toute utilisation d'une bombe atomique dans cette guerre."

Les trois missions Alsos en Europe occupée avaient atteints leurs objectifs. A la fin de la guerre en Europe, les unités Alsos avaient un effectif total de 114 hommes et femmes, comprenant 28 officiers, 43 hommes de troupe, 19 chercheurs, 5 employés civils et 19 agents du CIC. L'opération fût dissoute le 15 octobre 1945.

Toutes les scientifiques Allemands capturés et interrogés par les unités Alsos, ont été envoyé à Farm Hall, en Angleterre. Avant d'être récupéré, pour certains, par l'opération Paperclip.

(Pour ce qui est des "missions de renseignements scientifiques et techniques", l'opération Alsos deviendra un véritable modèle. Les inspecteurs de l'ONU pour l'armement nucléaire, appliquèrent scrupuleusement les méthodes de travail des missions Alsos, jusqu'en Irak en 1992).

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