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mercredi 17 décembre 2025

Xavier Moreau, Jacques Baud, John Mark Dougan… "agents de la déstabilisation russe" ?


Le Quai d'Orsay les décrit comme des "agents de la déstabilisation russe en Europe". Lundi 15 décembre, le ministre des Affaires étrangères et de l'Europe, Jean-Noël Barrot, a annoncé depuis Bruxelles des sanctions contre 12 personnalités responsables "d'ingérences étrangères" et de la propagation de fausses nouvelles en France et dans l'Union européenne (UE). Parmi les personnes ajoutées à cette "liste noire", une majorité d'acteurs médiatiques et analystes russes, mais surtout un ancien militaire franco-russe, Xavier Moreau, un ex-membre des renseignements suisses, Jacques Baud, ainsi qu'un ancien shérif américain devenu hacker, John Mark Dougan. Voici ce que l'on sait d'eux.

Xavier Moreau, 54 ans, "relais de la propagande russe" sur les réseaux sociaux

"Véritable entrepreneur de la désinformation", selon Jean-Noël Barrot, Xavier Moreau est un ancien militaire français passé par l'école d'officiers de Saint-Cyr et reconverti dans le conseil stratégique. Domicilié à Moscou, où il s'est installé dans les années 2000 pour s'occuper de la sécurité des expatriés français travaillant pour le groupe Renault en Russie, selon Challenges, il obtient la nationalité russe en 2013. L'année suivante, alors que la Russie est en pleine invasion de la Crimée, il quitte la société de sécurité qu'il avait fondée avec son frère et s'engage dans une forme active de militantisme en faveur du Kremlin.

Lorsque la Russie envahit l'Ukraine, en 2022, ce quinquagénaire proche de la droite identitaire relaie abondamment la propagande du Kremlin sur son site, Stratpol, et ses comptes sur les réseaux sociaux, où il cumule parfois plus de 100 000 abonnés. Grâce à ces relais et à ses multiples apparitions sur Russia Today (RT), chaîne de télévision désormais interdite en Europe, il participe "à la diffusion de théories du complot sur la guerre en Ukraine, accusant par exemple [Kiev] d'orchestrer sa propre invasion afin de rejoindre l'Otan", estime l'UE dans sa décision. Des accusations corroborées par l'observatoire du complotisme Conspiracy Watch(Nouvelle fenêtre), qui juge ses analyses "marquées au coin du complotisme, dans une perspective systématiquement favorable à la Russie de Poutine".

Dans une vidéo publiée le 11 décembre sur son site Stratpol, Xavier Moreau se disait "susceptible d'être mis sous sanction" par les Européens. "Ce sera un prétexte pour forcer X ou Telegram à interdire mes contenus sur la zone de l’Union européenne. On m’a fermé mes comptes en banque, mes chaînes YouTube. Ce n’est pas grave, je continue", affirmait-il alors. Il ne s'est pas démobilisé lorsque la décision de l'UE est tombée. "Merci de reconnaître la qualité de mon travail ! Je suis le numéro UN !", a-t-il écrit sur X, invitant ses abonnés à se doter d'un VPN et à le suivre sur Telegram.

Jacques Baud, 70 ans, ancien colonel suisse diffuseur de "théories complotistes sur l'Ukraine"

Connu pour ses prises de position favorables à la Russie, Jacques Baud est un ex-agent du Service de renseignement de la Confédération suisse. Cet ancien colonel a occupé de nombreuses fonctions prestigieuses en Suisse et à l'international ces 45 dernières années. Mais il est lui aussi accusé par l'UE d'être un "porte-voix de la propagande prorusse" et de diffuser des "théories complotistes sur l'Ukraine".

Invité régulier des plateaux de télévision russe ou encore de la chaîne de "réinformation" TV Libertés, il est membre du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), un think tank anciennement dirigé par l'auteur français Eric Denécé et déjà épinglé par notre rubrique Vrai ou Faux pour ses positions pro-Kremlin. Au fil des ans, le septuagénaire s'est illustré par de multiples déclarations polémiques, sur des sujets aussi variés que l'implication d'Oussama Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001, la guerre au Darfour ou le massacre de Boutcha, en Ukraine. En 2023, Conspiracy Watch(Nouvelle fenêtre) a noté dans un article qu'il versait "aussi bien dans la négation des crimes de guerre que la défense systématique de Vladimir Poutine". Contacté par le site suisse 20 Minutes, Jacques Baud affirme ne pas avoir été informé de la décision de l'UE et conteste toute propagande ou lien avec Moscou.

John Mark Dougan, 53 ans, ancien shérif américain devenu hacker

"Responsable d'ingérences numériques" en Europe, selon Jean-Noël Barrot, John Mark Dougan est un ancien shérif adjoint du comté de Palm Beach de 53 ans qui a fui les Etats-Unis et trouvé refuge en Russie en 2016. Egalement connu sous son nom de hacker, BadVolf, il est accusé par l'UE d'avoir "participé à des opérations de désinformation numérique pro-Kremlin depuis Moscou, notamment en gérant le réseau CopyCop de sites web de fausses informations et en soutenant les activités de Storm-1516".

Ce réseau de sites internet, qui imite les médias traditionnels, diffuse des histoires fabriquées de toutes pièces à l'aide de l'intelligence artificielle, notamment grâce à de fausses vidéos, aussi appelées deepfakes, pour parasiter les débats publics européens. En janvier, la cellule investigation de Radio France avait appris auprès de NewsGuard et Correctiv, deux acteurs de la lutte contre la désinformation, que John Mark Dougan avait mené de cette manière une campagne de fake news pour influencer les élections législatives en Allemagne. Des tentatives de déstabilisation du débat public français ont également été identifiées par les services français, selon le ministre des Affaires étrangères.

franceinfo.fr