Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 6 décembre 2025

Skyranger : le retour du canon dans la défense

 

Au début du siècle, la Bundeswehr décide de lancer un programme afin de remplacer son Flakpanzer Gepard devant quitter le service en 2010, et dont j’ai pu apprécier l’efficacité et la cadence de tir dévastatrice sur des champs de tir en Allemagne. Pour mener à bien cette mission cruciale, un consortium de trois firmes regroupant KMW, LFK et Rheinmetall est créé. Cette dernière qui, par la suite, deviendra le maître d’œuvre du programme, est représentée au sein du consortium par Rheinmetall Air Defence (RAD), qui n’est autre que l’ancienne firme suisse Oerlikon Contraves, absorbée par le géant allemand en 2006 et qui avait activement participé au développement du Gepard entre 1966 et 1974.

Le nouveau programme de défense antiaérienne globale, dénommé SysFla (System flugabwehr), est présenté en mars 2007 au BWB, l’agence fédérale pour la défense et la technologie, et est immédiatement validé par ce dernier. Il comporte deux projets. Le premier est le NBS (Nächstbereichschutzsystem ou futur système de défense de zones), un système statique devant protéger des emprises en opération, comme en Afghanistan, ou des bases militaires contre les menaces asymétriques et symétriques (avions, hélicoptères, drones et missiles de croisière). Le second est un système mobile dérivé du premier, installé sur des plate-formes blindées à roues ou chenillées constituant une défense antiaérienne à courte portée permettant de protéger les forces en déplacement. Il est prévu d’avoir terminé les phases de tests du système en 2014 pour un début de production planifié l’année suivante. Le cahier des charges stipule que le système doit être NLOS (Non line of sight), donc capable d’engager des objectifs non visuellement repérés par le biais de missiles, autonome, car devant être déployé en terrains difficiles et urbains, et aérotransportable en A400M, tout en ayant la capacité d’être couplé à d’autres systèmes de même nature.

Le système statique est mis au point par RAD en moins de 13 mois pour un coût de 48 millions d’euros, et testé avec succès en Turquie à l’été 2008. Le NBS C‑RAM (Counter – rocket, artillery and mortar) Mantis est né. En mai 2009, donc bien en avance sur les prévisions, deux systèmes sont commandés pour un montant de 111 millions d’euros. Le premier est livré à la Bundeswehr en janvier 2010 et sera déployé en Afghanistan dès 2011 en protection des FOB de la Bundeswehr, alors que le second système est destiné à l’instruction et à l’entraînement des maintenanciers. Ces deux systèmes sont transférés à la Luftwaffe le 1er janvier 2011 pour être envoyés à Koundounz fin 2011, mais le projet est abandonné. Ils sont ensuite déployés au Mali en 2017, mais sans leurs canons, avant d’être vendus à la Slovaquie pour 120 millions d’euros le 7 février 2023 et affectés au sein de la 11e brigade. Le système Mantis se compose de six tourelles armées d’un canon de 35 mm, de deux unités de capteurs qui comprennent un radar et des capteurs électro – optiques et d’une unité de commandement dotée de la conduite de tir Skyshield. Le système, entièrement automatisé, permet la surveillance d’une emprise sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Il peut prendre en compte un missile à 3 km pour le détruire par ses tubes de 35 mm dont la cadence de tir est de 1 000 coups/min.

Rendre le système mobile

Le conflit qui a débuté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan le 27 septembre 2020 a grandement accéléré le processus de développement du second projet, car il s’est caractérisé par un emploi intensif de drones et de munitions rôdeuses, à une échelle encore jamais vue. Cet emploi, parfaitement adapté aux reliefs montagneux de la région et à celui des plaines de l’Artsakh, a permis aux forces de Bakou de mener une guerre – éclair. En 45 jours, l’armée arménienne, lâchée par Moscou pour cause de planification de l’« opération spéciale » de février 2022, a été écrasée, anéantie, malgré un rapport de force favorable et le fait qu’elle était installée en défensive. Utilisés dans une zone de combat d’environ 300 km de long sur 250 km de large, montagneuse et forestière, les drones ont démontré toute la pertinence de leur emploi en permettant aux Azerbaïdjanais de s’affranchir des reliefs tourmentés tout en économisant des forces et des moyens pour l’observation et la destruction des nœuds de résistance arméniens fortement retranchés. En effet, l’emploi du drone, outre le fait d’observer, a permis le guidage des tirs d’artillerie de précision qui ont anéanti les défenses arméniennes. Cet emploi massif de l’artillerie guidée par drones laisse entrevoir un changement tactique majeur, décuplé de nos jours en Ukraine par l’ampleur des forces en présence et la taille du théâtre.

Devenus incontournables sur les champs de bataille modernes, les drones ne semblaient pas inquiétés à cette époque et les tentatives de les détruire relevaient plus du bricolage que d’autre chose. Ainsi, force est de constater qu’il n’existe pas ou plus de moyens de défense antiaériens canons à très basse altitude dans nos armées occidentales, alors qu’à l’est on a conservé divers types de canons à tir rapide de type ZPU ou ZSU qui ont prouvé leur efficacité face à ce nouveau venu. Provenant des stocks allemands, les trois premiers Gepard de la tranche initiale de trente ont été livrés à Kiev dès juillet 2022. Les retours d’expérience du théâtre ukrainien le concernant sont dithyrambiques. Bien que les munitions tardent à arriver à cause d’autorisations non délivrées, le système s’avère être l’arme idéale face aux drones, confortant Rheinmetall dans l’idée de mettre sur le marché le « Mantis mobile » au plus vite.

Du Skynex au Skyranger

Cela ne tarde pas, avec de surcroît quelques améliorations au niveau de l’électronique embarquée et l’adoption d’un radar de poursuite ainsi que d’un radar d’acquisition tactique Oerlikon X‑3TARD. Ces équipements rendent la pièce autonome, mais elle peut toujours être intégrée à une chaîne de commandement Skymaster. Le Mantis devient alors le Skynex. En décembre 2022, Kiev signe avec Rheinmetall un contrat de 182 millions d’euros portant sur l’acquisition de deux exemplaires montés sur camions MAN HX3, dont le premier a été livré à l’Ukraine en janvier 2024. Ils sont tous deux produits par Rheinmetall Italia et affectés à la défense de Kiev.

En janvier 2024, RAD annonce être prêt à produire le nouveau système dénommé Skyranger 30, étroitement proche du Skynex, qui pourra être monté sur une plateforme blindée. Cette annonce fait suite au succès de la campagne de tirs qui s’est déroulée en décembre 2023 à Ochsenboden (Suisse), lors de laquelle la version A1 a effectué des tirs statiques et en mouvement. Le premier client du système est la Hongrie, qui envisage l’achat de 18 systèmes. Un contrat est signé avec RAD pour conceptualiser une tourelle Skyranger 30 pour la future variante de défense aérienne du véhicule blindé KF41 Lynx produite localement.

L’Allemagne n’est pas en reste et, le 21 février 2024, la commission budgétaire du Bundestag débloque 595 millions d’euros pour l’achat de 19 systèmes Skyranger 30A1 montés sur châssis Boxer 8 × 8. Le prototype devra être prêt pour la fin de l’année, conditionnant la production des 18 exemplaires de présérie qui devront faciliter la qualification OTAN de la version A3, considérée comme celle de production. Le Skyranger 30 est attendu avec impatience par la Bundeswehr. Les livraisons sont planifiées pour 2026. Le conflit ukrainien fait prendre conscience à de nombreuses forces armées du déficit de défense SHORAD (Short range air defense). Ainsi, concomitamment à cette commande allemande, le voisin autrichien achète 36 systèmes montés sur châssis à roues Pandur EVO 6 × 6, dont le démonstrateur est dévoilé en septembre 2024 lors du salon de Zeltweg. Les livraisons devraient débuter en 2026.

Le Danemark et les Pays-Bas font aussi part de leur grand intérêt pour le système. Le premier prévoit de monter le Skyranger sur châssis de Piranha V 8 × 8, alors que La Haye opte pour le châssis chenillé ACSV 25 de la firme allemande FFG, dont le premier des 22 exemplaires commandés devrait lui être livré en 2028. En juin 2024, lors du salon Eurosatory, une version lourde du système, armée cette fois-ci d’un canon de 35 mm monté sur châssis de char Leopard 2, est présentée. Elle fait forte impression. C’est d’ailleurs lors de ce salon qu’a été présenté le Lynx Skyranger destiné à la Hongrie, dont les premiers exemplaires devraient être livrés à partir de 2026. Toujours lors de ce salon, RAD, l’Allemagne, le Danemark et la Hongrie ont signé une lettre d’intention afin d’organiser la production du système, officialisant ainsi une nouvelle étape de leur coopération dans le cadre de l’initiative européenne Sky Shield (ESSI). Ce salon a également été l’occasion d’annoncer qu’il serait possible de monter le système sur des châssis de chars Leopard 1 destinés aux forces ukrainiennes, avec un tube de 35 mm. L’assistance militaire à l’Ukraine est un sujet brûlant depuis trois ans et il semble que RAD envisage de promouvoir un canon automoteur basé sur le char Leopard 1 dans un but lucratif ainsi qu’à des fins publicitaires, afin d’obtenir de nouveaux contrats.

Les 18 et 19 septembre 2024, sur le terrain d’essai de RAD à Ochsenboden, l’agence du matériel et des acquisitions (FMI) du ministère danois de la Défense a présenté le Skyranger 30 danois intégré sur châssis Piranha V 8 × 8 de GDELS, qui garantit la mobilité et l’adaptabilité du système dans divers environnements opérationnels. Cette présentation est suivie par la signature, le 27 septembre, d’un contrat pour l’acquisition de 16 tourelles Skyranger 30 et des munitions associées. Dans un premier temps, quatre tourelles initiales/prototypes doivent être fabriquées et livrées à la fin de 2026, suivies de trois séries de quatre tourelles en 2027 et 2028. Au moment où est rédigé cet article, le dernier acquéreur déclaré est la Belgique, qui a confirmé le 25 juin 2025 l’achat d’une vingtaine de systèmes, sans toutefois préciser le type de châssis sur lequel ils seront installés. 

Caractéristiques techniques

Le cœur du système Skyranger 30 est le canon revolver automatique monotube Oerlikon KCE de 30 mm chambré en 30 × 173. D’un poids de 142 kg, il affiche une cadence de tir théorique de l’ordre de 1 250 coups/min pour une portée pratique d’environ 3 km avec un pointage en site positif de 85°. Le KCE tire la munition AHEAD (Advanced hit efficiency and destruction) de type Airburst ABM, également utilisée par le Puma de combat d’infanterie, et dénommée PMC308. Mise au point par Oerlikon Contraves Pyrotec à partir de 1993, de nos jours Rheinmetall Weapons and Munitions, cette munition d’un poids total de 360 g comprend une charge militaire de 200 g qui projette 162 cylindres de tungstène. La vitesse de la munition en sortie de canon est de 1 050 m/s. La technologie embarquée permet au canon de suivre et de détruire des cibles aériennes en tirant des rafales de 24 coups au point d’interception de la cible, à une cadence de 200 coups/min. Les obus sont programmés par l’intermédiaire d’un inducteur électromagnétique installé à la bouche du tube et d’une minuterie électronique interne séparant en un cône mortel pour la cible les 162 cylindres de tungstène à l’approche du point d’interception.

La tourelle téléopérée, dont le puits a un diamètre de 1,41 m et d’un poids qui oscille entre 2 et 2,5 t, embarque 300 obus prêts à l’emploi. L’armement secondaire se compose d’une mitrailleuse de 7,62 mm montée en coaxiale approvisionnée à 1 000 coups et de missiles sol-air dont le type et la quantité varient suivant les choix du client. Ainsi peuvent être installés dans un module distinct quatre missiles américains FIM‑92 Stinger pour les Néerlandais, quatre Mistral 3 pour les Danois, et neuf SADM (Small anti – drone missiles) de MBDA pour les Allemands. Dénommé DefendAir, ce missile, dont le développement devrait se poursuivre jusqu’en 2028, armera les Skyranger allemands à partir de 2030. 

Pierre Petit

areion24.news