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mercredi 24 décembre 2025

L’Irak, nouveau hub de la drogue au Moyen-Orient ?

 

Dès la chute de Bachar al-Assad en Syrie, le 8 décembre 2024, le nouveau pouvoir diffusait des images de fabriques de captagon destinées à être détruites. La dictature baasiste avait érigé cette drogue de synthèse en l’une de ses principales sources de financement, et donc de survie politique. Damas fait face à de nombreux défis pour endiguer ce trafic clandestin, tout en le voyant se déplacer vers l’Irak.

Classé dans la famille des amphétamines, le captagon est une drogue facile à fabriquer, peu coûteuse et très consommée au Machrek, notamment dans les monarchies du Golfe. Avec la guerre, les destructions et les sanctions internationales, la Syrie de ­Bachar al-Assad (2000-2024) en avait fait un pilier de son économie afin de maintenir sa domination autoritaire, transformant le pays en l’un des principaux producteurs mondiaux de cette pilule, et donc en un narco-État. En 2021, le marché du captagon était estimé, uniquement pour la Syrie, à 10 milliards de dollars. Le nouvel homme fort de Damas, Ahmed al-Charaa, s’est engagé à combattre cette économie parallèle pour favoriser une reconstruction « propre », mais aussi pour rassurer ses partenaires et investisseurs potentiels, en particulier l’Arabie saoudite, où le captagon fait des ravages.

Une géographie favorable, des saisies en hausse

Or, comme dans tout système criminel, les trafiquants font preuve d’une grande capacité d’adaptation. Situé au cœur du Moyen-Orient, entre l’Afghanistan et l’Iran d’un côté, et la péninsule Arabique et la Turquie de l’autre, l’Irak est devenu une plate-forme de circulation de produits illicites. En 2024, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) alertait sur le boom du marché des stimulants de synthèse dans la région (1). Selon l’organisation, l’Irak a enregistré une augmentation de saisies de captagon de 3 380 % entre 2019 et 2023, avec 4,1 tonnes de comprimés pour cette dernière année, soit une valeur estimée entre 84 millions et 144 millions de dollars. Les zones les plus concernées sont Bagdad, Erbil et Bassora. En plein désert, la frontière poreuse avec la Syrie, longue de 599 kilomètres, favorise l’écoulement du captagon et de la méthamphétamine entre les deux pays.

Les autorités irakiennes s’inquiètent d’une consommation en hausse dans tous les pans d’une société marquée par des années de conflits depuis l’intervention militaire des États-Unis et la chute de Saddam Hussein (1937-2006) en 2003. Les services de santé publique ont enregistré 6 101 personnes traitées pour des troubles dus à la consommation de drogues en 2021, contre 2 979 en 2017. Mais les données médicales manquent pour comprendre l’ampleur de la crise dans une population de 45,55 millions d’habitants en 2024, et la consommation de ces substances, notamment pour apaiser des traumatismes, reste un sujet tabou. Faute de perspectives, les adolescents et les jeunes adultes seraient les plus touchés.

Un combat de longue haleine

En Syrie comme en Irak, la principale difficulté pour combattre le phénomène est la corruption des élites politiques, économiques et militaires. De plus, dans de nombreuses régions, le trafic de drogues constitue une source de revenus pour des familles confrontées au chômage et à la pauvreté, alors que ce marché clandestin s’accompagne de son lot d’activités criminelles et de violences. En 2017, Bagdad a adopté une nouvelle loi permettant aux juges d’obliger les toxicomanes à suivre une cure de désintoxication et de les condamner jusqu’à trois ans de prison. Avant cela, la peine de mort était la seule issue, tant pour les vendeurs que pour les consommateurs. En 2023, le gouvernement a lancé sa Stratégie nationale sur les narcotiques et les psychotropes, en ouvrant des cliniques de réhabilitation, et a organisé un forum régional afin de coordonner les politiques de lutte.

Autre problème majeur en Irak : les tensions internes au sommet de l’État et les difficultés économiques. Dans le contexte de la guerre à Gaza et de ses effets sur les configurations géopolitiques de la région, le pays fait face à la récession (- 1,5 % en 2025, selon le Fonds monétaire international) et reste dépendant de ses revenus pétroliers. Les différends entre les mouvements politiques chiites, qui dominent le gouvernement et le Parlement, devraient s’exacerber en vue des élections législatives prévues en novembre 2025. Affaibli, le « parrain » iranien fait profil bas, laissant ses relais irakiens, incarnés par les milices Hached al-Chaabi, plus autonomes. À la fois critiquées et glorifiées, ces dernières constitueraient la seule barrière fiable face aux lacunes sécuritaires des autorités. Mais elles sont présentes dans de nombreux secteurs économiques, y compris clandestins. S’attaquer au problème de la drogue en Irak, c’est aussi repenser les bases du système étatique en vigueur. 

Note

(1) UNODC, Drug Trafficking Dynamics Across Iraq and the Middle East: Trends and Responses, mars 2024.

L’Irak, plate-forme du trafic de drogues


Guillaume Fourmont

Laura Margueritte

areion24.news