Début novembre, estimant que, au Nigeria, le christianisme était « confronté à une menace existentielle » due aux « islamistes radicaux », le président américain, Donald Trump, avait évoqué une possible intervention militaire dans ce pays.
« Si le gouvernement nigérian continue de tolérer les meurtres de chrétiens, les États-Unis cesseront immédiatement toute aide au Nigeria et pourraient très bien aller dans ce pays désormais déshonoré, armes au poing », avait-il en effet prévenu, via le réseau social Truth Social.
Pour rappel, le Nigeria fait face à de sérieux problèmes sécuritaires depuis une quinzaine d’années, avec une insurrection menée par les groupes jihadistes Boko Haram et État islamique en Afrique de l’Ouest [ISWAP] dans le nord-est, des affrontements meurtriers entre agriculteurs [souvent chrétiens] et éleveurs [principalement musulmans] dans le centre et des gangs criminels [appelés « bandits »] se livrant au pillage et aux enlèvements dans le nord-ouest.
Cela étant, selon des chiffres avancés par Radio Vatican, les jihadistes nigérians auraient attaqué environ 20 000 églises et tué au moins 52 000 chrétiens en 16 ans.
Si les musulmans sont aussi visés par les islamistes radicaux, Eromo Egbejule, le correspondant du journal britannique « The Guardian » en Afrique de l’Ouest, a récemment estimé qu’il ne fallait pas « minimiser la réalité des persécutions religieuses subies par les chrétiens dans les États nigérians de Benue et de Kaduna, par exemple ». Et d’ajouter : « Il y a des criminels motivés par des idéologies, qui persécutent les minorités religieuses, politiques et ethniques. S’y ajoutent des délinquants qui cherchent de l’argent. Les groupes sont vraiment nombreux, d’où le terme générique de ‘bandits' ».
Quoi qu’il en soit, selon des informations publiés par l’agence Reuters le 22 décembre, le Pentagone a sollicité les services de l’entreprise Tenax Aerospace pour effectuer des vols USR [renseignement, surveillance et reconnaissance] au-dessus du Nigeria, avec un avion de type Gulfstream V, basé à Accra [Ghana]. Cet appareil a mené sa première mission le 24 novembre, soit quelques jours après une réunion de haut niveau entre les responsables sécuritaires américains et nigérians.
Ces vols ISR ont visiblement permis de préparer les frappes contre la branche nigériane de l’État islamique, que les forces américaines ont effectuées dans la nuit du 25 au 26 décembre.
« J’avais précédemment prévenu ces terroristes que s’ils n’arrêtaient pas le massacre de chrétiens, ils allaient le payer cher, et ce soir, ils ont payé », a déclaré M. Trump, via Truth Social. « Sous ma direction, notre pays ne permettra pas au terrorisme islamique radical de prospérer. Que Dieu bénisse nos militaires et joyeux Noël à tous, y compris aux terroristes morts, dont le nombre sera bien plus important si leurs massacres de chrétiens se poursuivent », a-t-il ajouté.
De son côté, le commandement militaire américain pour l’Afrique [US AFRICOM] a précisé que, réalisée en coordination avec les autorités nigérianes, cette opération a visé des positions tenues par l’ISWAP dans l’État de Sokoto. Elle a mobilisé le destroyer USS Paul Ignatius, lequel a lancé une salve de missiles de croisière BGM-109 Tomahawk. Pour le moment, le bilan de ces frappes reste à établir.
« Le département de la Guerre a mené de nombreuses frappes parfaites, comme seuls les États-Unis sont capables de le faire », a fait valoir M. Trump.
À Abuja, le ministère des Affaires étrangères a commenté ce raid en affirmant que les « autorités nigérianes restent engagées dans une coopération de sécurité structurée avec des partenaires internationaux, dont les Etats-Unis d’Amérique, afin de lutter contre la menace persistante du terrorisme et de l’extrémisme violent ».
D’après le dernier rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions des Nations unies mise en place pour suivre la mouvance jihadiste, l’ISWAP compterait entre 8 000 et 12 000 combattants, dont des étrangers. Sa « capacité opérationnelle s’est améliorée », avec le recours à « des engins explosifs improvisés placés dans des véhicules » et à « des drones de reconnaissance ».
« Fin décembre 2024, ISWAP a mené sa première attaque rudimentaire à l’aide de drones armés contre des installations militaires dans les États de Borno et de Yobe. Équipés de grenades, les drones armés ont été déployés dans les camps de sécurité, ce qui indique que le groupe a entrepris d’adapter l’utilisation de ces drones », lit-on dans ce rapport, publié en juillet dernier.
« Des États Membres ont estimé que l’amélioration des capacités opérationnelles du groupe était le fruit de compétences récemment acquises. En effet, à la fin de l’année 2024, des États Membres ont signalé que 13 formateurs de l’État islamique [ou Daesh] étaient arrivés dans le bassin du lac Tchad en provenance du Moyen-Orient, facilitant l’acquisition, l’assemblage et le déploiement de drones, qui auraient été utilisés lors de ces attaques », avance-t-il.
Cette opération au Nigéria est au moins la troisième menée contre l’État islamique par les forces américaines depuis le retour de M. Trump à la Maison Blanche. Le 1er février, elles ont effectué des frappes aériennes dans la région des monts Golis, en Somalie, mettant hors de combat plusieurs « figures clefs » de la branche locale de l’organisation jihadiste.
Plus récemment, en réponse à une attaque ayant coûté la vie à deux militaires et à un interprète américains à Palmyre [Syrie], les États-Unis ont frappé « plus de 70 positions » de Daesh sur le territoire syrien, « avec des avions de chasse, des hélicoptères et de l’artillerie ».
« Aujourd’hui [19 décembre], nous avons traqué et tué des ennemis. Beaucoup d’ennemis. Et nous allons continuer », a déclaré Pete Hegseth, le secrétaire américain à la Guerre. Cette opération a visé à « éliminer des combattants du groupe État islamique, des infrastructures et des sites d’armement », a-t-il précisé.
Des frappes très contestables
Ces opérations, bien que présentées comme ciblant des groupes extrémistes, apparaissent injustifiées dans leur forme actuelle et risquent, à court comme à long terme, de provoquer davantage de victimes parmi les populations civiles que parmi les assaillants eux‑mêmes.
Plusieurs éléments l’expliquent:
1. Les zones visées sont densément habitées et les groupes armés se fondent dans les communautés locales. Toute frappe aérienne, même dite « précise », expose directement les villages, les familles et les infrastructures essentielles.
2. Le risque de représailles contre les civils est élevé
L’expérience du Sahel et du bassin du lac Tchad montre que chaque intervention extérieure entraîne des attaques de vengeance contre les populations, qui deviennent les premières cibles.
3. L’intervention étrangère fragilise la souveraineté et la stabilité locale
Une opération militaire menée par une puissance extérieure, même en coordination officielle, peut être perçue comme une ingérence. Cela affaiblit la confiance des citoyens envers leurs propres institutions et renforce les discours radicaux.
4. Les frappes ne traitent aucune cause profonde du conflit
Pauvreté, conflits fonciers, absence de services publics, corruption locale, effondrement de la sécurité rurale: aucune bombe ne peut résoudre ces réalités. Au contraire, les destructions et les déplacements forcés aggravent les tensions.
5. Des solutions alternatives existent et sont plus durables
Renforcement des forces locales, sécurisation communautaire, développement rural, coopération régionale ciblée, programmes de prévention et de déradicalisation: ce sont ces leviers qui construisent la paix, pas les frappes aériennes.
Notre responsabilité collective est de défendre la vie, la dignité et la stabilité de nos populations. Toute action militaire qui met en péril ces principes doit être questionnée avec rigueur. Les frappes actuelles, dans leur nature et leur contexte, risquent davantage d’alimenter le cycle de violence que de le briser.