Un vaste scandale de corruption à plusieurs millions ébranle l’OTAN. Au cœur de cette affaire XXL, plusieurs employés de l’Agence de soutien et d’acquisition (NSPA) sont soupçonnés d’avoir perçu d’importantes commissions sur des contrats d’explosifs et de drones.
Selon une enquête menée conjointement par La Lettre, «Le Soir», «Knack» et «Follow The Money», des arrestations et des perquisitions ont eu lieu en mai dernier dans six pays membres de l’Alliance ainsi qu'en Suisse. Des investigations ont été ouvertes aux Pays-Bas, en Belgique et aux Etats-Unis, avant que ce dernier pays ne se rétracte.
La NSPA, chargée de coordonner l’achat, l’exploitation et la maintenance des systèmes d’armes pour les 32 pays membres, garantit la compatibilité du matériel militaire et facilite les achats groupés. Forte de 1500 employés, elle a supervisé 3 milliards d’euros d’acquisitions en 2023 et 7 milliards en 2024. Un rôle clé à l’heure où les Etats membres se sont engagés à porter leurs dépenses de défense à 5% du PIB
Une arrestation en Suisse
Ironie du sort, c’est la NSPA elle-même qui aurait donné l’alerte sur les irrégularités internes. L’agence aurait partagé «ses soupçons de fraudes et de malversations avec les autorités américaines, qui à leur tour ont mobilisé le FBI, le service d’enquêtes criminelles de la Défense (DCIS) ainsi que le service d’enquêtes criminelles de la marine (NCIS)», précise «Le Soir».
Les enquêteurs ont mis à jour le versement d’un million d’euros par l’entreprise italienne TNT à Scott Willason, un ancien cadre de la NSPA devenu consultant. Celui-ci aurait ensuite transféré 115'000 euros à Ismail Terlemez, agent de la NSPA chargé de sélectionner les meilleures offres pour l’armée américaine. En échange, ce dernier aurait favorisé la société italienne pour un contrat estimé à 107 millions d’euros, attribué entre 2019 et 2020, selon La Lettre.
Arrêtés le 13 mai dernier après leur inculpation pour corruption par la justice américaine, Scott Willason a été interpellé en Suisse, et Ismail Terlemez en Belgique. Ce dernier avait entretemps quitté l'OTAN. Un troisième suspect, Guy Moeraert, également ancien employé de la NSPA devenu consultant, a été arrêté en Belgique le même jour. Plusieurs enquêtes sont désormais en cours dans divers pays européens.
D'autres affaires explosives
Ces trois hommes occupaient des postes influents au sein de la NSPA. Leur parcours, d’anciens militaires passés par l’OTAN avant de devenir consultants tout en conservant des liens avec des employés en fonction, illustre un système interne surnommé Old Boys Club, selon La Lettre.
Ce scandale ne serait pas isolé. Un haut fonctionnaire du ministère néerlandais de la Défense est soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin liés à un contrat d’achats de munitions. Par ailleurs, deux dirigeants grecs d’une entreprise roumaine auraient versé 130'000 euros à un agent de la NSPA pour obtenir un contrat de livraison de fioul maritime, résume franceinfo.
Au total, des arrestations ont été effectuées dans sept pays européens, conduisant à l’incarcération d’une dizaine de suspects. Mais coup de théâtre: la procureure adjointe américaine Gail Slater, proche de Donald Trump, a mis fin aux poursuites contre Scott Willason et Ismail Terlemez, sans fournir la moindre explication.
L'OTAN se mure dans le silence
Contactée par les médias français et belges, l’OTAN n’a pas souhaité commenter, invoquant le respect des enquêtes en cours. Sa porte-parole a toutefois rappelé que l’organisation «ne tolère aucune forme de fraude ou de corruption» et qu’elle a renforcé ses capacités d’enquête internes pour mieux détecter ce type d’abus.
Ce scandale, qui met en lumière les failles de contrôle au sein même de l’Alliance, soulève une question dérangeante: comment une organisation censée garantir la sécurité de ses membres peut-elle être minée de l’intérieur par des pratiques qu’elle prétend combattre?
Solène Monney