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vendredi 31 octobre 2025

L’électricité en Europe : un réseau vulnérable ?

 

Le 28 avril 2025, une panne d’électricité massive a frappé l’Espagne et le Portugal, plongés dans le noir pendant plusieurs heures. Si l’enquête sur les causes précises de cet incident était en cours un mois plus tard, ses effets se sont fait ressentir au-delà des frontières ibériques, une partie du sud-ouest de la France ayant temporairement subi des coupures. Cet événement met en lumière la complexité et la fragilité de l’interconnexion du réseau électrique européen.

Dans le cadre de sa politique de décarbonation, l’Union européenne (UE) mise sur une électrification croissante des usages pour assurer sa transition énergétique. Depuis l’accord de Paris de 2015, elle s’est fixé pour objectif la neutralité carbone à l’horizon 2050. En 2022, l’électricité représentait 23 % de la demande énergétique, une proportion appelée à croître jusqu’à 57 % d’ici à trente ans. En 2023, la production électrique de l’UE s’est élevée à 2 572 térawattheures (TWh), dont plus de 45 % issus de sources renouvelables. Les combustibles fossiles représentaient encore 31,7 %, notamment dans les pays d’Europe orientale. Le nucléaire comptait, quant à lui, pour 22,8 %, la France restant l’État européen le plus dépendant de cette source pour sa production électrique. Les besoins en électricité devraient plus que doubler d’ici à 2050, en raison de l’essor des usages dans les transports (véhicules électriques), le chauffage (pompes à chaleur) et l’industrie.

Des aspirations européennes 

L’UE déploie une politique d’envergure à l’échelle continentale visant à instaurer un marché à la fois compétitif, durable et sécurisé, conformément au « pacte vert pour l’Europe » et au plan « REPowerEU » adopté à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Cette stratégie s’accompagne d’un changement de paradigme dans l’organisation des réseaux. Le modèle hérité, statocentré, centralisé et verticalement intégré, cède progressivement la place à un système décentralisé, interconnecté et transfrontalier, où la production et la consommation locales – en particulier grâce au solaire résidentiel et à l’éolien – prennent une importance croissante.

Cette mutation repose sur le développement des « smart grids » (réseaux électriques intelligents). L’amélioration de l’interconnexion entre les systèmes nationaux permet non seulement d’optimiser les échanges transfrontaliers, mais aussi de renforcer la sécurité d’approvisionnement énergétique dans un contexte géopolitique marqué par de fortes incertitudes. Le réseau électrique européen, le plus vaste au monde, s’appuie sur 11,3 millions de kilomètres de lignes et de câbles, couvrant les besoins de quelque 266 millions de clients. Il est exploité par 2 500 gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et 30 gestionnaires de réseaux de transport (GRT), qui assurent l’interconnexion entre les 27 membres de l’UE. En février 2025, les trois États baltes ont finalisé leur synchronisation avec le réseau continental européen, rompant avec la Russie et renforçant ainsi leur sécurité énergétique.

Les enjeux à venir

La panne survenue en Espagne et au Portugal soulève des questions sur la fiabilité du réseau européen, qui doit être profondément modernisé pour répondre aux défis de l’électrification dans un contexte de changement climatique. L’âge moyen des infrastructures est élevé : près de 40 % des réseaux de distribution ont plus de 40 ans, alors que la durée de vie des lignes oscille entre 40 et 60 ans. Les investissements nécessaires sont colossaux : la Commission européenne les évalue entre 2 000 milliards et 3 000 milliards d’euros d’ici à 2050. La stabilité repose sur un équilibre permanent entre l’offre et la demande, l’électricité ne pouvant être stockée en masse. Toute rupture, même brève, de cet équilibre peut entraîner des coupures automatiques, comme ce fut le cas le 28 avril 2025. L’interconnexion présente des atouts – elle permet à chaque pays d’être successivement importateur ou exportateur selon les besoins –, mais elle amplifie aussi les effets domino.

Les vulnérabilités du système ne sont pas nouvelles. En novembre 2006, une défaillance en Allemagne avait privé 15 millions d’Européens de courant en quelques secondes. Mais la panne géante d’avril 2025 en Espagne et au Portugal montre que, malgré l’interdépendance du réseau, sa résilience reste perfectible. Les infrastructures électriques européennes sont soumises à un double défi : elles doivent croître et se transformer pour répondre aux enjeux de transition, tout en adoptant une gouvernance partagée. L’intégration renforce l’échelle européenne, parfois au détriment des souverainetés nationales, suscitant des tensions entre l’UE, les États et les collectivités locales. Tandis que Bruxelles promeut un réseau supranational, des acteurs de proximité défendent une approche décentralisée, fondée sur les territoires et les smart grids. Cette diversification des modèles pose donc des questions de planification, d’acceptation sociale et de gouvernance.

Si l’interconnexion croissante du réseau est indispensable, elle accroît également sa vulnérabilité. La multiplication des sources non pilotables (solaire, éolien) complique la gestion en temps réel du système. À ces défis s’ajoutent les menaces liées au changement climatique, aux cyberattaques et au terrorisme. Des projets européens visent à anticiper ces risques. La sécurité énergétique ne peut plus être envisagée comme une question technique ; elle exige une mobilisation politique et stratégique à tous les niveaux. 

Le réseau électrique européen


Éric Janin

Laura Margueritte

areion24.news