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mercredi 29 octobre 2025

L’économie asiatique résiste à la tornade déclenchée par Trump

 

L’offensive tarifaire du président américain a créé de fortes perturbations en Asie, mais la plupart des économies du continent ont su faire face, avec des perspectives qui restent robustes pour 2025. L’année 2026 s’annonce plus tendue, lorsque les effets délétères de la politique américaine auront pris toute leur ampleur.

Les institutions financières internationales – FMI et Banque Mondiale – ont publié mi-octobre leurs nouvelles prévisions pour l’économie mondiale. Elles sont globalement meilleures que celles publiées en avril dernier, à un moment où l’offensive protectionniste de Donald Trump était à son paroxysme. La croissance mondiale devrait, selon le FMI, atteindre 3,1% en 2025 contre 3,2% en 2024, soit 0,2% d’amélioration par rapport aux anticipations d’avril.

Le continent asiatique suit cette tendance générale, à quelques exceptions près. La croissance de l’Asie en développement serait de 5,2% en 2025, soit très légèrement inférieure à celle de 2024 (5,3%), en dépit de la floraison d’accords commerciaux inégaux signés en août dernier, qui ont porté en moyenne les droits de douane autour de 20% pour les importations américaines en provenance d’Asie.

Même la Chine et l’Inde, qui sont les plus durement touchés par les « droits réciproques » imposés par Donald Trump, résistent pour le moment bien à ce choc protectionniste, avec une croissance en 2025 qui pourrait se situer à peu près au niveau de 2024 en Chine (près de 5%), et sans doute un peu au-delà des résultats 2024 pour l’Inde. Dans le reste de la région, seule la Corée accuse le coup avec une progression du PIB réduite de moitié, tandis que le Japon connaît une embellie avec une croissance repassant la barre des 1 %.

Source: FMI World Economic Outlook octobre 2025


Les recettes d’une étonnante résilience

La résistance des économies asiatiques tient d’abord à l’agilité des opérateurs de part et d’autre du Pacifique, qui ont su accélérer les livraisons vers les États-Unis au cours du premier semestre 2025, à l’exception des exportateurs chinois, sud-coréens et singapouriens.

Source : International Trade Center, calculs de l’auteur


Avec une progression de 60% des exportations vers le marché américain, Taïwan réalise une performance exceptionnelle qui correspond à l’explosion des investissements manufacturiers liés à l’intelligence artificielle aux États-Unis. Les économies en développement de l’Asean Vietnam en tête ont également fait le plein des exportations à destination du marché américain avant l’imposition des droits de douane, avec des progressions allant de 20 à 40%. La Chine perd du terrain à partir d’avril, un mois au cours duquel les tarifs réciproques avaient brièvement atteint des sommets. La Corée est durement touchée par les droits sectoriels sur l’automobile et l’acier, qui ont été mis en place dès le mois d’avril.

La deuxième stratégie mise en place a été la diversification vers d’autres marchés. Les exportateurs chinois ont été particulièrement efficaces pour réorienter leurs ventes. Au cours du premier semestre 2025 les exportations chinoises progressent de près de 7% vers l’Union européenne, 13% vers l’Asean, 14% vers l’Inde et jusqu’à 21% vers l’Afrique, ce qui leur permet de continuer à progresser globalement (+5%) en dépit du choc sur le marché américain. Les exportations japonaises stagnent en direction des États-Unis et de la Chine, mais progressent de 9% vers l’Asean, qui est elle-même trop occupée à booster ses ventes sur le marché américain pour entamer une diversification.

La troisième composante de la résilience asiatique tient à l’assouplissement des politiques macroéconomiques pour soutenir la croissance. Profitant d’une inflation faible 1,3% pour l’Asie en développement en 2025 selon le FMI la plupart des banques centrales asiatiques ont réduit leurs taux directeurs et les taux sur les obligations d’État étaient dans l’ensemble nettement à la baisse. Deux exemples : le taux d’emprunt à dix ans de la dette vietnamienne est devenu inférieur à celui des États-Unis (3,92 contre 4,04 au 26 octobre 2025), et celui de la Thaïlande est à la moitié du taux français (1,71 contre 3,43). Les politiques fiscales ont également été accommodantes, en particulier en Chine, où le déficit des collectivités publiques atteint 8% du PIB en 2025.

D’autres facteurs ont joué un rôle, comme le boom des dépenses d’infrastructure et une récolte assez abondante en Inde, le retour du tourisme en Asie à des niveaux proches de ceux qui existaient avant la pandémie, une bonne tenue des marchés financiers et le maintien d’entrées de capitaux à un niveau relativement élevé.

Le quatrième trimestre va cependant être moins brillant, car les obstacles à l’exportation vers les États-Unis se sont généralisés à partir du 7 août dernier. Le FMI anticipe un net ralentissement de la croissance au sein de l’Asie en développement au cours de ce dernier trimestre (+3,7% contre +4,9% au quatrième trimestre 2024). Un point de vue que ne partagent pas certains gouvernements de la région. Celui du Vietnam en particulier s’appuie sur les bons résultats officiels des trois premiers trimestres (+7,8%) pour anticiper une croissance supérieure à 8% cette année. Il pousse d’ailleurs l’optimisme jusqu’à viser une croissance de 10% l‘an prochain.

Une année 2026 nettement plus incertaine

Le volontarisme vietnamien n’est clairement pas reflété dans les prévisions du FMI pour 2026, qui annoncent une baisse d’un demi-point de la croissance de l’Asie en développement par rapport à 2025. La généralisation des droits de douane américains à un niveau élevé portera progressivement sur les prix et sur la consommation intérieure, réduisant mécaniquement les volumes d’importations. D’autres chocs protectionnistes pourraient se concrétiser, en particulier dans les secteurs de la pharmacie et des semiconducteurs, avec un impact potentiel considérable sur les pays asiatiques.

La Chine continuera d’être impactée par le marasme de l’immobilier et la faiblesse de sa consommation intérieure. Ses marges de manœuvres fiscales se restreignent. L’accord qui devrait être annoncé au moment de l’entretien entre Donald Trump et Xi Jinping le 30 octobre ne devrait pas suffire à relancer ses perspectives d’exportations vers les États-Unis. Globalement le FMI anticipe une croissance chinoise limitée à 4,2% en 2026. L’Inde conserverait une croissance relativement robuste (6,2%) mais en net recul, avec là encore la possibilité d’un « deal » avec Washington qui allègerait les très fortes tensions actuelles sur le commerce bilatéral.

Au sein de l’Asean le FMI est relativement pessimiste pour le Vietnam, avec une croissance ramenée à 5,6% qui reflète la très forte dépendance des exportations vietnamiennes au marché américain, et pour la Thaïlande ou la Malaisie. Il demeure plus confiant sur le potentiel de croissance de l’Indonésie (4,9%). Celle-ci dispose d’une marché intérieur vaste, elle est toujours portée par le flot d’investissements liés à la transition énergétique et sa politique de soutien budgétaire devrait être plus active.

Les prévisions des institutions financières internationales n’incluent pas à ce stade un risque majeur, qui est celui d’un éclatement possible de la bulle financière liée à l’intelligence artificielle. Les spécialistes financiers commencent à s’interroger sérieusement sur ce sujet à un moment où les valorisations des leaders de l’IA atteignent des niveaux stratosphériques. Les comparaisons faites avec le crash de la bulle internet en 2001 montrent que le risque actuel est potentiellement beaucoup plus important. Si un crash devait se matérialiser, l’économie américaine serait évidemment la plus touchée. Mais les économies asiatiques viendraient tout de suite derrière, dont la Chine qui abrite les principaux concurrents des géants de l’IA américaines et toute les chaînes de valeur industrielles ou de services qui lient les économies asiatiques aux géants de la tech américaine.

Face à l’ampleur de ce risque, le ralentissement anticipé aujourd’hui pour les économies asiatiques en 2026 reste mesuré et acceptable.

Hubert Testard