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jeudi 18 septembre 2025

L’innovation technologique israélienne au service de la résilience

 

Les massacres du 7 octobre 2023 ont sidéré le monde. Ils s’apparentent à une tragédie nationale de type 11-Septembre pour une population israélienne qui vit sous la pression permanente de ses voisins. Mais l’innovation technologique et la résilience constituent les deux piliers fondateurs sur lesquels l’État d’Israël s’est construit : il a su traverser les crises qui ont jalonné son histoire en basculant très rapidement vers une économie de guerre, tout en maintenant sa puissance d’innovation.

Israël se classe au 28e rang mondial du PIB, au 13e rang mondial du PIB par habitant, et est le troisième pays le plus riche d’Asie en ce qui concerne le PIB nominal par habitant et la richesse moyenne par adulte. Il faut aussi savoir qu’en 2024, Israël occupait la 15e position dans le classement de l’indice mondial de l’innovation (1). D’un point de vue technologique, Israël demeure l’un des pays les plus avancés et agiles au monde. Les contributions israéliennes à la science sont remarquables dans de nombreuses disciplines, notamment en médecine, physique, agriculture, génétique, informatique, électronique, optique, robotique, intelligence artificielle (IA), cybersécurité, quantique et hardware. Des prix Nobel en science et en économie ont été décernés à quatre Israéliens depuis 2002. Le nombre de publications scientifiques par habitant (109 publications/10 000 personnes) et de brevets déposés par habitant figure parmi les plus élevés au monde. Israël arrive en tête du classement mondial des dépenses annuelles consacrées à la recherche et au développement (R&D) avec un taux de 4,7 % de son PIB. Les financements de cette recherche proviennent principalement du secteur privé, contrairement aux autres pays développés.

Dans le domaine stratégique de l’IA, Israël s’est classé neuvième en 2024-2025 parmi 83 nations, selon l’indice mondial de l’IA (2). Mieux encore, le pays occupe la troisième place du classement selon les indicateurs d’applications commerciales évalués dans ce même indice mondial. Ces indicateurs tiennent compte de l’environnement local des start-ups et de l’activité du capital-risque. Israël se classe également au troisième rang en termes de montants de capitaux levés pour les start-ups basées sur l’IA, juste derrière la Silicon Valley et New York. De nombreuses multinationales ont établi des laboratoires de R&D en IA en Israël. Présents sur le sol israélien, Google, Meta, Apple et IBM ont tissé des partenariats très étroits avec l’écosystème de la recherche et de l’enseignement supérieur sur place.

En 2025, le budget national d’Israël s’élève à environ 609 milliards de shekels (164 milliards de dollars). Sur ce montant, quelque 108 milliards de shekels (30 milliards de dollars) sont alloués au ministère de la Défense, 92 milliards (25 milliards de dollars) au ministère de l’Éducation et 60 milliards (16 milliards de dollars) au ministère de la Santé.

Israël est par ailleurs confronté à une pénurie de talents technologiques. Le besoin immédiat en recrutement s’élève à 13 000 ingénieurs et développeurs informatiques pour soutenir le rythme de croissance de l’innovation en IA, en cybersécurité, en robotique et en calcul quantique. La formation des talents est un moteur de croissance et une trajectoire majeure pour le pays. Les économistes israéliens rappellent souvent qu’il n’y a pas de ressources minières en Israël et que le pays ne dispose que du capital humain. L’éducation et la formation aux technologies de rupture sont donc des obligations vitales pour l’économie du pays. L’amélioration permanente de la qualité des cycles de formation des ingénieurs a toujours été priorisée par le gouvernement. Le maintien d’un fort pouvoir attractif des talents étrangers sur le sol israélien constitue la seconde priorité stratégique. L’objectif est de concentrer les talents, les ingénieurs et les chercheurs agissant comme des moteurs de croissance et d’innovation. L’effort budgétaire réalisé sur l’éducation, la formation et la recherche tient compte des contraintes et des priorités liées à la guerre.

Israël sous le feu : l’enjeu de l’innovation de défense

Les massacres du 7-Octobre ont provoqué un séisme majeur au sein de la population israélienne. La réponse militaire israélienne s’est déroulée en haute intensité, sur des fronts multiples et évolutifs. L’engagement simultané de tous les groupes terroristes régionaux souhaitant la destruction d’Israël et l’implication directe de l’Iran, conduisant des vagues d’attaques par drones et missiles, ont élevé le niveau d’escalade du conflit jusqu’aux échelons 11 et 12 de l’échelle d’Herman Kahn (3). L’évolution du conflit a démontré une double escalade : verticale, avec des systèmes d’armes de plus en plus puissants, sophistiqués, robotisés, et horizontale, ou territoriale, avec l’engagement militaire de pays ennemis comme le Liban, l’Iran et le Yémen. Le soutien « parapluie » américain a permis de contrer cette double escalade, notamment durant les vagues d’attaques massives iraniennes par drones et missiles. Les différents boucliers antimissiles et antidrones ont évité d’importantes pertes civiles et militaires sur le sol israélien. Le rôle central de l’« Iron Dome » (Dôme de fer) a été renforcé par les opérations américaines et françaises de neutralisation et d’interception des missiles en mer Rouge, dès le départ des salves. Pur produit de l’innovation israélienne, l’Iron Dome est un système de défense aérienne mobile israélien, développé par la société Rafael Advanced Defense Systems (RAFAEL), conçu pour intercepter des roquettes et obus de courte portée. Ce système s’appuie sur un ensemble de canons antiaériens, de missiles intercepteurs hypervéloces et sur des réseaux de radars de poursuite extrêmement performants. Son efficacité a évité la saturation de la défense et a sauvé de nombreuses vies israéliennes. Le groupe industriel (RAFAEL, Israel Aerospace Industries) contribue à l’effort de guerre national en maintenant un très haut niveau d’innovation dans ses systèmes d’armes. L’ensemble de la société israélienne a su basculer sans délai en économie de guerre avec une mobilisation massive des réservistes et des forces vives de la nation. Le départ des réservistes de leurs postes occupés dans le civil a également créé un « trou d’air » dans la productivité globale, notamment quand il s’agissait de chefs d’entreprises, de dirigeants de start-ups ou d’ingénieurs dans des secteurs en tension [voir p. 24]. Ce « trou d’air » économique et social est un effet collatéral inévitable lors d’une mobilisation générale. Son impact ne doit pas être négligé, notamment si l’opération militaire s’inscrit dans la durée. C’est le cas pour ce conflit, qui déborde sur une deuxième année et dont la solution n’apparait pas encore clairement.

Autre conséquence du financement de la guerre, des centaines de projets de recherche ont été suspendus en 2024 en raison de la réduction des fonds publics. Des coupes dans les budgets de certains ministères ont été votées pour financer une augmentation de 82 % des dépenses de défense. Le budget voté en décembre 2024 atteignait 607,4 milliards de shekels (150 milliards d’euros) et contenait une enveloppe de 9 milliards de shekels (2,2 milliards d’euros) d’aide aux milliers de réservistes rappelés par l’armée depuis le début de la guerre contre le Hamas palestinien dans la bande de Gaza le 7 octobre 2023. Le déficit public s’établit à 4,3 % pour l’année 2024.

Le devoir d’innovation face au risque existentiel

Il existe un lien subtil entre le niveau d’innovation d’une nation, sa résilience globale et le niveau de menace auquel est confronté ce pays. L’écrivain Nassim Nicholas Taleb a théorisé le concept d’antifragilité dans l’un de ses ouvrages, Antifragile, les bienfaits du désordre (4). On peut affirmer qu’Israël est l’archétype de la nation « antifragile » au sens donné par Taleb. Cette dernière se renforce sous l’effet des tragédies, des chocs, des crises et des attaques produites par ses ennemis. L’innovation permanente qui intervient comme bouclier adaptatif à la violence des attaques produit la résilience et renforce les capacités de résistance du pays. Pour que la mécanique d’antifragilité s’installe, il faut une adhésion sans faille de la population, qui consent à l’effort de guerre, au sacrifice des vies, aux transitions d’activités. L’antifragilité est une qualité globale et sectorielle. Elle intervient notamment dans le maintien d’une base industrielle technologique de défense de très haut niveau. Les secteurs de la robotique militaire, des drones aéroterrestres, de l’IA appliquée au renseignement et au ciblage n’ont jamais été aussi performants et dynamiques. L’opération des bipeurs israéliens piégés, qui a décimé une partie importante des cadres du Hezbollah les 17 et 18 septembre 2024, a prouvé, une fois de plus, les capacités offensives exceptionnelles de Tsahal et des services de renseignements impliqués. Les phases d’offensives aériennes puis terrestres menées dans la bande de Gaza, en contexte urbain à forte densité de population, ont montré aux adversaires d’Israël les capacités de réponse. Les pertes humaines au sein de l’armée ont été limitées, notamment grâce à l’usage permanent de drones et de robots terrestres. L’exploration des tunnels du Hamas aurait pu couter très cher en vies et en blessés à Tsahal, mais ces pertes ont été limitées en engageant des drones FPV, des drones porteurs de charges, des microdrones de détection de menaces et des drones de déminage dans des ruelles et des souterrains particulièrement difficiles à explorer. Cet exemple d’apport de l’innovation économisant le sang des soldats israéliens illustre à lui seul le concept de résilience et l’importance vitale de la créativité technologique. Après les manquements de l’armée israélienne, qui n’a pas vu venir les tueurs du 7-Octobre, il s’agit aussi de se « rattraper » et d’apporter une réponse opérationnelle qui atteint ses objectifs en minimisant le cout humain. C’est ce qu’attend le citoyen israélien qui sait que les épreuves à venir seront certainement tout aussi douloureuses.

Les efforts budgétaires dans les secteurs de l’IA, de la robotique mobile et de la cybersécurité sont de nature duale : les applications civiles et militaires renforcent la compétitivité internationale d’Israël et ses capacités de défense. Les solutions de ciblage automatique développées par les industriels israéliens s’exportent facilement sur le marché international. L’excellente réputation des technologies israéliennes et les certifications « Combat proven » facilitent les exportations des produits de sécurité et de défense.

Quelques grands défis technologiques à relever

L’écosystème d’innovation israélien doit pouvoir conserver un accès fluide aux financements et aux investisseurs pour affronter les défis technologiques émergents. Qu’il s’agisse des énergies renouvelables, de la décarbonation, du spatial, du quantique, des biotechnologies ou de la médecine prédictive, les progrès réalisés reposent sur des investissements massifs et réguliers.

Dans le secteur numérique, le premier défi est celui de l’autonomie des systèmes cyberphysiques. L’objectif à court terme est de disposer de robots dotés de capacités de décisions et d’actions exécutées sans intervention humaine. La robotique autonome mobilise de nombreux laboratoires de recherche dans le monde, dont ceux des universités israéliennes et des centres de recherche comme le Technion à Haïfa.

Le deuxième grand défi est celui de la course à la vitesse en robotique, de l’hypervélocité des drones aériens et des essaims de drones pour des applications civiles (transport rapide) ou militaires (drones d’attaque, essaims d’attaque). Cette course à la vitesse s’est installée sur les champs de bataille, sur le front ukrainien, mais également en mer Rouge, avec des missiles et des drones de plus en plus rapides. La lutte antidrones (LAD) et la création de bulles sécurisées antidrones intègrent également la course « à la vitesse », notamment lorsqu’il s’agit de construire des vecteurs, drones intercepteurs, capables de décoller de manière autonome et de poursuivre puis de rattraper un drone ou un missile ennemi. Plusieurs sociétés israéliennes sont engagées sur ces défis technologiques complexes, notamment la société Elbit Systems (5), qui se classe au 21e rang mondial pour la production d’armement, et la société RAFAEL (6), qui développe et commercialise des systèmes antimissiles très performants et des drones intercepteurs hypervéloces. Notons qu’il existe à ce jour moins de dix sociétés dans le monde capables de produire des drones hypervéloces à propulsion par microréacteurs. La première est américaine (Anduril) et la seconde est française (ALM Méca). Le défi a également été relevé par Elbit et RAFAEL (système Spyder) sur ce créneau de l’interception air-air.

Dans le secteur du logiciel appliqué à la robotique, plusieurs start-ups israéliennes ont développé des outils particulièrement efficaces pour piloter des drones ou des groupes de drones par un unique opérateur. La start-up Xtend (7) commercialise un système d’exploitation d’IA qui permet à un opérateur humain de piloter des escadrilles et essaims de drones de manière naturelle et fluide.

Enfin, l’excellence israélienne s’est toujours concrétisée dans le domaine de la cybersécurité. De très belles start-ups de cybersécurité, nées sur le territoire israélien, ont été rachetées par des géants comme Google ou Apple afin de renforcer la sécurité des produits américains. L’exemple de Siemplify, rachetée par Google en 2022, est une preuve du savoir-faire israélien dans ce domaine stratégique. L’éditeur de solutions de supervision de réseau Check Point (8) contribue depuis trois décennies à la sécurisation des systèmes d’information d’entreprises et d’organisations du monde entier.

« Quand Israël s’abaisse, c’est jusqu’au sable ; quand elle s’élève, c’est jusqu’aux étoiles. » Ce proverbe israélien résume parfaitement la psychologie de l’État hébreu et sa capacité à s’adapter constamment pour faire face aux menaces existentielles. Depuis le 14 mai 1948, l’innovation technologique forge le glaive et le bouclier d’Israël, envers et contre tous.

Notes

(1) Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), « Israel ranking in the Global Innovation Index 2024 », 2024 (https://​www​.wipo​.int/​e​d​o​c​s​/​g​i​i​-​r​a​n​k​i​n​g​/​2​0​2​4​/​i​l​.​pdf).

(2) Statista Research Department, « Global Artificial Intelligence Index ranking of Israel 2024, by field », 14 février 2025 (https://​www​.statista​.com/​s​t​a​t​i​s​t​i​c​s​/​1​4​8​9​8​1​9​/​i​s​r​a​e​l​-​g​l​o​b​a​l​-​a​r​t​i​f​i​c​i​a​l​-​i​n​t​e​l​l​i​g​e​n​c​e​-​i​n​d​e​x​-​r​a​n​k​i​n​g​-​b​y​-​f​i​e​ld/).

(3) Échelle d’escalade des conflits d’Herman Kahn : https://​fr​.wikipedia​.org/​w​i​k​i​/​H​e​r​m​a​n​_​K​ahn.

(4) Nassim Nicholas Taleb, Antifragile. Les bienfaits du désordre (Les Belles Lettres, 2013).

(5) Voir le site d’Elbit Systems : https://​elbitsystems​.com/.

(6) Voir le site de Rafael Advanced Defense Systems : https://​www​.rafael​.co​.il/.

(7) Voir le site de Xtend Defense : https://​www​.xtend​.me/.

(8) Voir le site de Check Point : https://​www​.checkpoint​.com/​fr/.

Thierry Berthier

areion24.news