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dimanche 28 septembre 2025

La Corée du Nord 4.0 de Kim Jong-un plus défiante que jamais

 

Dans l’austère capitale Pyongyang, centre du pouvoir de la dictature héréditaire nord-coréenne depuis trois générations des Kim, l’arrivée de l’automne ne semble guère de nature à tempérer l’optimisme des autorités. Il n’est pas besoin de s’interroger trop longtemps pour comprendre pourquoi.

Les manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes menées autour de l’île sud-coréenne de Jeju, insufflant depuis le nord du 38e parallèle le lot habituel de critiques et de menaces rhétoriques en direction de Séoul et Washington, ne paraissent pas assombrir plus que cela l’humeur actuelle du régime. Un vent porteur favorable – aussi désagréable soit-il pour l’hypothétique réunification de la péninsule coréenne chère à la Maison Bleue (la présidence sud-coréenne) et la très volatile stabilité régionale – semble effectivement souffler dans le sens voulu par les imprédictibles – sinon insondables – autorités du Nord.

Pour s’en convaincre, il n’est qu’à se pencher quelques instants sur la profusion d’images de propagande illustrant dans les médias la présence d’un fier et visiblement ravi Kim Jong-un (en costume de prix et cravate claire !) place Tiananmen à Pékin le 3 septembre. Il paradait aux côtés du président Xi Jinping et de son homologue russe Vladimir Poutine ainsi que d’une vingtaine d’autres dignitaires étrangers réunis pour assister à une parade militaire grandiose organisée pour les célébrations pékinoises du 80e anniversaire de la victoire de l’armée chinoise sur les forces nipponnes à la fin de la Seconde guerre mondiale.

A l’issue de ce défilé militaire faisant étalage des derniers systèmes d’armes ayant intégré l’arsenal de l’Armée populaire de libération (APL, armée chinoise), la photo officielle de l’événement montre sous tous les angles – à la gauche de Xi Jinping – un Kim Jong-un souriant, au premier rang, à l’instar du maître du Kremlin (moins enjoué semble-t-il). Un cliché somme toute historique puisqu’il s’agissait de la première apparition conjointe des dirigeants chinois, russe et nord-coréen. La précédente datait de 1959 et rassemblait à l’époque Mao Zedong, Nikita Khrouchtchev et Kim Il-sung. Cette démonstration de force fut suivie dès le lendemain, le 4 septembre, d’une première rencontre en tête à tête du « Grand leader » nord-coréen avec le président Xi Jinping depuis six ans, un sommet témoignant quelque peu de la décrispation en cours entre Pyongyang et Pékin. Un dégel estival qui, selon divers observateurs, pourrait même jusqu’à se concrétiser par une visite de Xi Jinping à Pyongyang le 10 octobre pour les célébrations du 80e anniversaire de la fondation du Parti des travailleurs de Corée.

Bientôt un nouveau sommet Kim Jong-un – Donald Trump ?

De quoi renforcer le capital confiance de Pyongyang vis-à-vis de Washington et de Séoul, ces dernières souhaitant semble-t-il réengager un dialogue au point mort depuis 2019 avec le régime kimiste. A cette heure, malgré les appels du pied maladroits du nouveau locataire de la Maison Blanche à son « ami Kim, » et l’ouverture vers le Nord résolument prônée par le nouveau président du pays du Matin calme Lee Jae-myung, aux affaires depuis juin, le successeur de Kim Jong-il à la tête de la dernière dictature héréditaire d’Asie orientale regarde volontairement ailleurs. Il fait montre de peu d’empressement à donner suite aux mains (plus ou moins sincèrement) tendues par les autorités américaines et sud-coréennes, sanctionne sans crainte et retenue leur approche « anachronique » avec une énième demande de dénucléarisation du régime de Pyongyang, préférant de loin vertement « communier » avec ses partenaires moscovite Vladimir Poutine et pékinois Xi Jinping. Il en a profité pour réaffirmer tout haut avec un semblant de conviction que le statut « d’Etat nucléaire de facto » du régime nord-coréen est irréversible et inscrit dans la Constitution de la République populaire démocratique de Corée : « J’affirme qu’il n’y aura jamais, jamais de dénucléarisation pour nous […] Il n’y aura jamais de négociations avec les ennemis consistant à échanger quelque chose tout en étant obsédé par l’allègement des sanctions, » a-t-il lancé, n’en déplaise à Séoul, Washington et Tokyo.

Les rebuffades successives du quadragénaire et Jeune Maréchal Kim ne désarment pas pour autant l’opiniâtre successeur de l’infortuné président conservateur Yoon Suk-yeol, destitué cet été à Séoul. Tout le contraire même, puisque Lee Jae-myung a profité le 18 septembre, date du 7ème anniversaire de la signature d’un accord militaire intercoréen censé mettre fin aux actes hostiles le long de la frontière, de continuer à œuvrer pour « instaurer une paix permanente dans la péninsule coréenne » en privilégiant le dialogue et la coopération avec Pyongyang. Encore s’agirait-il, bien sûr, qu’il y ait quelque appétence pour cela au nord de la zone démilitarisée, la fameuse DMZ.

Kim Jong-un soigne son image

Une nouvelle fois encore, Kim Jong-un a soigné son image en se mettant en scène au même moment via l’agence officielle du régime Korean Central News Agency (KCNA) le 19 septembre, chapeau sur le crâne, costume baroque, pause improbable sur une chaise, un immanquable sourire satisfait et narquois sur le visage, supervisant un test de drone d’attaque boosté par l’intelligence artificielle (IA) détruisant sa cible.

En fin de mois, pour la 1ère fois depuis 2018, un représentant de la Corée du Nord – le vice-ministre des Affaires étrangères – s’envolera pour New York afin d’assister à l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, où il prononcera, le 29 septembre, un discours très attendu puisque depuis maintenant six ans ce privilège avait été confié à l’ambassadeur de la RPDC à l’ONU. L’an passé, ce diplomate martela lors de son allocution que Pyongyang entendait bien continuer à renforcer ses capacités de dissuasion militaire (y compris nucléaire) dans le « contexte de tensions croissantes dans la péninsule coréenne. »

Tout récemment, le mercredi 17 septembre, à la surprise générale, les autorités nord-coréennes faisaient part de leur intention d’envoyer une importante délégation (forte de 300 individus dont 150 athlètes !) participer aux 20e Jeux asiatiques, les Aichi-Nagoya Asian Game 2026, organisés du 19 septembre au 4 octobre 2026 autour de Nagoya, chez le voisin nippon honni. Pour autant, sans préjuger du contenu du discours nord-coréen à l’ONU, on peine à imaginer un brutal retournement de posture sur le sujet.

Les clins d’œil de Pyongyang à l’Amérique

Il reste néanmoins des moments de surprise. Ainsi, le week-end dernier, prenant comme souvent à contrepied nombre d’observateurs (y compris l’auteur de cette Tribune), Kim Jong-un se fendait d’une sortie remarquée à destination de Washington : « Si les États-Unis abandonnent leur obsession creuse pour la dénucléarisation et souhaitent poursuivre une coexistence pacifique avec la Corée du Nord fondée sur la reconnaissance de la réalité, il n’y a aucune raison pour que nous ne nous asseyions pas à la table des négociations » avec ce pays. Et d’ajouter, à l’intention du locataire de la Maison Blanche : « Personnellement, je garde un bon souvenir du président américain [Donald] Trump. » En fallait-il davantage pour que les spéculations sur une éventuelle prochaine et quatrième rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump ne fusent. D’aucuns prophétisent hardiment un créneau peu ou prou propice entre fin octobre et début novembre en marge du prochain Sommet annuel de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) qui doit se tenir du 31 octobre au 1er novembre à Gyeongju en Corée du Sud.

A la Corée du Nord originelle 1.0 de Kim Il-sung, le fondateur du régime et grand-père de Kim Jong-un décédé en 1994, suivit la RPDC 2.0 confiée à son fils Kim Jong-il, dont la disparition fin 2011 propulsa l’actuel dirigeant Kim Jong-un, la trentaine à peine alors, aux commandes de la nation la plus répressive et la plus fermée du monde. A cette version 3.0 alternant successivement les épisodes de grandes crispations – dont celle de l’année 2017 et de sa frénésie d’annonces de nouveaux missiles balistiques et d’essais nucléaires – et les folles espérances d’une possible détente intercoréenne et de dialogues avec les Etats-Unis, semble en ce crépuscule estival 2025 se dessiner une version inédite 4.0 de la Corée du Nord, pétrie de confiance, de défiance, d’assurances, plus sûre de son fait qu’elle ne l’a probablement jamais été, emplie d’un sentiment de puissance, confiante en sa relative impunité, quoi qu’elle dise, fasse, décide.

Rien qui ne semble en soi a priori augurer à court terme des jours meilleurs dans la péninsule et au-delà.

Olivier Guillard

asialyst.com