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samedi 2 août 2025

La Suisse cherche à se débarrasser de la famille Biya

 

Pour la Confédération helvétique, le président du Cameroun qui séjourne l’essentiel de son temps à Genève, est un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock dans « L’affaire Tournesol ». Elle veut s’en débarrasser, mais il revient périodiquement dans son palace favori à Genève pendant des semaines.

En condamnant sa fille Brenda pour « injure », les magistrats suisses espèrent précipiter le départ de toute la famille.

Contrairement à son grand frère Franck Biya, pressenti pour succéder à leur père Paul Biya (au pouvoir depuis 1982) à la tête du Cameroun, Brenda Biya est certainement, de tous les enfants de Paul Biya (et même des autres chefs d’États de la sous-région), la plus iconoclaste.

Âgée de 26 ans, la jeune femme, qui a suivi une scolarité en Suisse dans un collège prestigieux à Versoix avant de poursuivre ses études aux États-Unis, puis d’être admise à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) du Cameroun, n’a pas suivi le chemin qui semblait lui être tracé.

Jet-setteuse et rappeuse

La jeune femme est très active sur les réseaux sociaux, où elle affiche un train de vie particulièrement luxueux. Un train de vie qui peut paraître indécent au regard de la situation dans laquelle vit l’écrasante majorité de ses compatriotes au Cameroun, et qui a été très abondamment critiqué dans la presse. C’est sur ces réseaux sociaux qu’elle s’était plainte d’être victime de racisme de la part d’un chauffeur de taxi à Los Angeles, qu’elle avait pris pour une course à 400 dollars (alors que le revenu mensuel brut d’un Camerounais en 2022 était de 138 dollars). Des courses de ce montant, qu’elle affirme prendre tout le temps.

Après s’être lancée dans la mode sans grand succès, Brenda Biya s’est tournée vers la musique, particulièrement dans le rap. Si son choix n’est pas une première pour un enfant de chef d’État africain (Ali Bongo a bien tenté une carrière musicale avant elle, et plus récemment, la princesse d’Eswatini s’est lancée dans le rap), ce choix a particulièrement surpris et embarrassé le pouvoir camerounais. King Nasty, son nom de scène, n’a pas encore, pour l’heure, conquis le haut des classements musicaux.

Brenda Biya et Reprudencia Sonkey, surnommée la « Lady Gaga africaine », chanteuse et créatrice de mode, étaient les meilleures amies du monde. Puis elles se sont fâchées et la fille du président Biya a traité son ex-copine de « dealeuse de drogue » et de « petite pute cocaïnomane ». Reprudencia Sonkey a déposé plainte à Genève car les messages insultants ont été envoyés depuis les bords du lac Léman. La chanteuse assurait que la fille du président camerounais résidait « depuis plusieurs années à l’hôtel intercontinental à Genève (…) Elle poste régulièrement sur les réseaux sociaux des photographies d’elles prises à Genève », écrit le site suisse Gotham City.

Brenda condamnée pour « injure »

Pour pousser son père, Paul Biya, hors de Genève où il séjourne la plupart du temps, la justice suisse vient de condamner sa fille, Brenda Biya, pour « diffamation », « calomnie » et « injure ». Brenda Biya a été condamnée à une amende de 2 400 francs suisses (2 570 euros) et à 60 jours-amendes à 200 francs avec un sursis de trois ans. Une bagatelle pour la dernière fille du président camerounais, née en 1997 quand son papa était déjà au pouvoir depuis quinze ans. Reprudencia Sonkey avait tout de même réclamé 100 millions de dollars de dommages et intérêts ! Le procureur général Olivier Jornot a surtout voulu insister sur le train de vie de la famille Biya qui réserve des chambres à l’année à l’Intercontinental alors que la majorité de la population camerounaise vit dans une grande pauvreté. C’est une petite épine dans le pied de Paul Biya, 92 ans depuis le 13 février dernier, qui se représente une nouvelle fois à la présidence de la République cet automne.       

« Haine, violence et tribalisme »  

En 2019 un consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) avait calculé que Paul Biya avait déjà passé quatre ans et demi à l’hôtel Continental, un palace planté à proximité du palais des Nations. Au sixième étage, il y occuperait une suite facturée autour de 150 00 euros par mois. Le problème, c’est que ses allées et venues en jet privé sont suivies sur des sites de tracking d’avions avant d’être relayés par la communauté camerounaise sur les réseaux sociaux. Résultat, les Camerounais, venus parfois de toute l’Europe, se relaient alors devant (et parfois dedans) l’hôtel pour tenter de lui rendre la vie impossible. En juin 2019, une quarantaine d’opposants ont ainsi forcé la porte d’entrée de l’établissement et se sont battus avec le service de sécurité du chef de l’État camerounais.

Cela fait désordre en perturbant le séjour de la clientèle fortunée qui fréquente habituellement l’Intercontinental. L’ambassade du Cameroun en Suisse avait aussitôt parlé de « bandits » venus « perturber le séjour de notre grand camarade », et de « projet barbare », expression de « la haine, de la violence et du tribalisme »… La même année, cinq membres de la garde rapprochée du maître de Yaoundé avait molesté un journaliste de la radio-télévision suisse. Ils se sont emparés de son matériel professionnel et de ses effets personnels et ils lui ont cassé ses lunettes. Les gardes du corps s’étaient prévalus d’une immunité diplomatique, que le tribunal a écarté. Aux yeux d’Olivier Jornot, le procureur général de Genève, « des représentants d’un État étranger se sont permis de faire la chasse à un journaliste qui ne représentait aucun danger, mais également à des opposants ». Ils se sont comportés comme « un État dans l’État ». Le pire, c’est que ce jour-là, Paul Biya, loin d’être en danger, n’était même pas sur place au moment des faits.  

« Ce n’est pas aux Genevois de payer »

En 2021, une centaine d’opposants camerounais avait occupé la place des Nations, devant le siège européen de l’ONU, criant « Paul Biya assassin, la Suisse complice ». Tandis que des activistes forçaient l’entrée de l’Intercontinental. Un député socialiste, Sylvain Thévoz, avait alors estimé que la Suisse pouvait accueillir Paul Biya dans le cadre de négociations politiques. « Mais là, il vient à des fins privés. Ce n’est pas à nous, Genevois, de payer pour un déploiement policier afin que monsieur Biya puisse aller faire les boutiques à la rue du Rhône ». Une artère réputée pour ses banques, ses bijouteries et des boutiques de luxe.  

Bref, la Cité de Calvin en a marre de ce chef d’État qui passe plus de temps au bord du lac Léman que dans son pays. Mais comment convaincre Paul Biya et sa famille de ne plus remettre les pieds dans un pays qui vit depuis si longtemps des riches touristes et surtout de leurs économies ?

      Ian Hamel

mondafrique.com