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mardi 19 août 2025

La Mongolie, entre équilibre et opportunisme face à l’enclavement

 

La Mongolie constitue un État singulier dans l’espace postsoviétique. Le pays a fait le choix de la démocratie et de l’économie de marché au début des années 1990 et cette orientation constitue un élément clé de l’affirmation de sa souveraineté et de son indépendance. Ce choix l’expose néanmoins à un dilemme : comment assurer sa sécurité et son indépendance alors que la Mongolie doit composer avec son enclavement géographique et avec deux voisins, la Chine et la Russie, avec lesquels elle entretient des relations profondément asymétriques et qu’elle soupçonne de ne pas avoir renoncé à leurs velléités irrédentistes. Face à cette situation, les autorités mongoles ont formalisé une stratégie de sécurité nationale dite « multi-piliers », qui vise à préserver leur autonomie dans un contexte très contraint. Elle illustre l’ingéniosité diplomatique dont peuvent faire preuve les petits États. Dans un contexte international particulièrement tendu, notamment depuis l’invasion russe de l’Ukraine, cette stratégie a été mise en débat, mais confirmée comme étant l’orientation la plus efficace pour préserver les intérêts mongols. Sa mise en œuvre repose néanmoins sur la nécessité d’une grande agilité et sur une capacité à conjuguer les contraires, dans un jeu d’équilibriste souvent précaire.

Stratégie multi-piliers et politique de « troisième voisin »

La stratégie de sécurité de la Mongolie a été structurée autour de l’idée d’une triangulation des relations que le pays entretient avec ses voisins. Elle s’articule autour de trois priorités : 

• Le maintien de bonnes relations avec ses voisins géographiques 

La diplomatie mongole s’efforce tout d’abord de développer des relations approfondies et amicales avec ses deux voisins géographiques. Cela se traduit par des mesures de réassurance à l’égard de Pékin et de Moscou. C’est par exemple le cas de l’inscription dans la Constitution du pays de l’interdiction de stationnement de troupes étrangères sur son territoire ou encore par l’adoption d’un statut de zone exempte d’armes nucléaires, reconnu en 2011 par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela se traduit également par l’affirmation d’une stricte neutralité dans toutes les affaires qui concernent leurs voisins, que cela concerne la guerre que mène la Russie en Ukraine ou encore pour ce qui est de la situation de la minorité mongole en Mongolie intérieure. Par ailleurs, les autorités s’attachent également à maintenir leur pays à équidistance de la Chine et de la Russie. Un développement en miroir des relations entre la Mongolie et ses deux voisins est ainsi notable, avec la signature de partenariats stratégiques avec les deux pays.

• La diversification de ses partenaires extérieurs

Afin de desserrer les contraintes liées à l’enclavement, la diplomatie mongole s’attache également à trianguler ses relations avec ses deux voisins. Cela se traduit par une volonté de développer des relations privilégiées avec des pays démocratiques et développés, les « troisièmes voisins ». Ces voisins théoriques constituent autant de partenaires susceptibles de contribuer à la préservation du modèle politique adopté par la Mongolie, donc à la protection de son indépendance et de sa souveraineté. Les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la France, l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni sont reconnus par les autorités mongoles comme des « troisièmes voisins ». Ce concept a été principalement utilisé dans les années 2000 et au début 2010. Les autorités mongoles cherchent aujourd’hui à densifier leurs relations avec ces « troisièmes voisins ». Il s’agit d’adosser des accords politiques, notamment des accords de partenariat stratégique, avec des projets économiques concrets. Les accords conclus avec le Japon, l’Inde, les États-Unis et dans une moindre mesure la Corée du Sud attestent de cette ambition. Le développement rapide des relations entre la France et la Mongolie à la suite de la visite du président Macron en Mongolie et de la visite du président Khurelsukh à Paris en 2023 constitue un exemple des résultats que peut produire cette orientation politique. Le développement de la relation bilatérale franco-mongole est associée à des projets stratégiques pour les autorités mongoles, dans le domaine de l’uranium, des télécommunications, des transports ou de la sécurité civile.

• Un engagement en faveur de la paix et de la sécurité internationale

La dernière ligne de force de la stratégie déployée par la Mongolie concerne le rôle actif qu’elle entend jouer dans la vie internationale. Cela se traduit par un engagement important au sein des organisations internationales, notamment des Nations Unies, mais aussi d’autres organisations, comme la Communauté des démocraties ou encore le groupement des pays enclavés en développement, ainsi que par une implication remarquée dans les opérations de maintien de la paix. Les forces mongoles ont par exemple été déployées en Afghanistan ou encore au Soudan du Sud. Cette ambition passe également par une volonté de contribuer à la stabilité en Asie du Nord-Est. Les autorités mongoles organisent par exemple chaque année le « dialogue d’Oulan-Bator » sur la sécurité en Asie du Nord-Est afin de favoriser une meilleure compréhension entre les pays de la zone et d’identifier de potentielles opportunités de coopération économique.

Intégration régionale ou diversification des partenaires ?

La stratégie de sécurité de la Mongolie a pendant longtemps fait l’objet d’un consensus transpartisan autour de sa mise en œuvre. Ce dernier a néanmoins été remis en cause dans le courant des années 2010 du fait de son incapacité à produire des résultats concrets sur le plan économique. Les critiques émises dénoncent principalement le caractère illusoire de cette approche face à la réalité géographique à laquelle le pays est confronté, notamment l’obligation de transiter par le territoire de ses deux voisins pour accéder au marché mondial.

Afin de s’extraire de cet enclavement, les autorités mongoles ont cherché à s’inscrire dans le rapprochement sino-russe à l’œuvre depuis le début des années 2010. Cette initiative s’est traduite par la mise en place d’un format de dialogue trilatéral qui culminait avec une rencontre annuelle entre les chefs d’État des trois pays organisée en marge du sommet des chefs d’État de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS). Ces rencontres ont donné lieu à la signature en 2016 d’un accord pour la création d’un corridor économique entre les trois pays. Il devait permettre le développement des infrastructures de connectivité nécessaires au développement du commerce trilatéral, qu’elles soient ferroviaires, routières, numériques ou encore énergétiques. Malgré des espoirs importants mis dans ces initiatives, les réalisations concrètes sur le terrain se font encore attendre. 

Ce manque d’allant de la Russie et de la Chine à investir en Mongolie a été interprété comme le résultat d’une forme de défiance. La Mongolie n’a par exemple jamais été pleinement intégrée à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie. À l’image de l’ancien président Battulga, certains acteurs mongols ont donc plaidé pour un recentrage de la stratégie internationale de la Mongolie afin que cette dernière se focalise sur une meilleure intégration régionale. Une des conditions de cette intégration portait notamment sur l’opportunité pour la Mongolie de devenir membre à part entière de l’OCS. Le pays ne dispose pour le moment que du statut d’observateur au sein de l’organisation. Une adhésion, souhaitée par Pékin et Moscou, constituait pour ses partisans l’opportunité de s’inscrire pleinement dans le rapprochement sino-russe. 

Mais l’hypothèse d’une adhésion de la Mongolie à cette organisation semble pour le moment écartée. L’ensemble des forces politiques s’accorde aujourd’hui sur la nécessité pour la Mongolie de rester observateur au sein de l’OCS. Un engagement plus marqué est pour le moment considéré comme trop risqué, notamment du fait de ses potentielles conséquences sur les relations que la Mongolie entretient avec ses partenaires occidentaux.

Une stratégie d’équilibrisme et d’opportunisme

La question de la position de la Mongolie à l’égard de l’OCS est un révélateur des tensions et des contraintes avec lesquelles doivent composer les autorités mongoles dans la mise en œuvre de leur stratégie. Elles doivent à la fois contenter leurs voisins tout en veillant à garder une image positive auprès de leurs « troisièmes voisins ». 

La visite du président russe Vladimir Poutine en Mongolie en septembre 2024 a aussi mis en exergue les limites d’une telle approche. Elle a suscité de vives réactions, notamment de la part de l’Ukraine et de certains pays occidentaux qui ont vivement appelé la Mongolie à appliquer le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale. La Mongolie s’y est opposée, justifiant maladroitement sa position en invoquant l’immunité des chefs d’État en exercice, tout en réaffirmant son attachement au droit international et son souhait de voir le conflit en Ukraine se résoudre par la voie pacifique. 

Pour autant, contrairement à ce que l’on observait à la fin des années 2010, les grandes orientations de politique étrangère mongole font aujourd’hui l’objet d’un relatif consensus entre les principales forces politiques en présence. Toutes soulignent aujourd’hui l’importance de la stratégie de « troisième voisin » pour préserver l’indépendance et la souveraineté du pays. La politique de « troisième voisin » est perçue comme un pilier essentiel de la stratégie de sécurité mongole. L’ensemble des acteurs soulignent qu’elle est inextricablement liée à la situation d’enclavement géographique à laquelle le pays est confronté. La politique de « troisième voisin » constitue un garde-fou pour préserver l’originalité du système politique mongol et son ancrage dans la démocratie. Elle souligne la difficulté pour la Mongolie de défendre l’originalité de son modèle face à ses voisins géographiques.

La décision russe d’envahir l’Ukraine a constitué dans ce cadre un élément de remobilisation des autorités mongoles autour de la nécessaire diversification de leurs partenaires étrangers. Le partenaire russe, dont les Mongols ont pendant longtemps conservé une image très positive, constitue aujourd’hui un élément d’inquiétude du fait de sa brutalité et d’un comportement stratégique perçu comme plus imprévisible.

Les autorités mongoles font d’ailleurs preuve d’un activisme diplomatique important ces derniers mois. La mise en œuvre d’un dialogue stratégique global avec les États-Unis annoncé au mois d’aout 2024 en constitue un exemple, tout comme la visite du président russe en Mongolie au début du mois de septembre, puis celle du Premier ministre mongol en Chine au début du mois de novembre. Ces trois évènements témoignent de la volonté de poursuivre leur stratégie d’équilibre diplomatique et de conjugaison des contraires, en accueillant par exemple le même jour, à Oulan-Bator, la présidente du Sénat australien, alors que le Premier ministre participait au sommet des chefs de gouvernement de l’OCS à Islamabad. 

Cette approche originale constitue l’une des caractéristiques historiques de la diplomatie mongole. Cette dernière a souvent cherché à jouer de la compétition d’influence autour du pays et de ses ressources. Les autorités mongoles continuent de déployer une politique opportuniste afin de maximiser l’ensemble des opportunités qui s’offrent à elles dans un contexte pourtant compliqué. 

Légende de la photo en première page : Le 3 septembre 2024, deux mois après le sommet trilatéral ayant réuni les ministres des Affaires étrangères de Chine, de Russie et de Mongolie, Vladimir Poutine était reçu à Oulan-Bator par son homologue mongol, Ukhnaagiin Khürelsükh, malgré un mandat d’arrêt international visant le président russe. Prise en étau entre la Russie et la Chine, la Mongolie tente de maintenir des rapports cordiaux avec Pékin et Moscou tout en développant ses relations avec des tiers dans le cadre de sa politique du « troisième voisin ». (© Kremlin)

Antoine Maire

areion24.news