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samedi 14 juin 2025

Patrouille et surveillance maritime. Anticiper l’indispensable complémentarité entre la composante pilotée et les systèmes autonomes

 

Imposée par la recomposition des équilibres internationaux, engagée à la suite de la pandémie de Covid-19 et de l’invasion de l’Ukraine, puis accentuée par l’entrée en fonction d’une nouvelle administration américaine, la révision des appréciations stratégiques nationales est conduite de manière accélérée, en France comme chez la plupart de nos partenaires européens.

Pour chacun des alliés, il s’agit de faire le point sur les risques et les menaces auxquels il est confronté, à titre individuel et collectif, et de tracer une trajectoire budgétaire réaliste vers les 3 % de PIB, voire au-delà, afin de répondre à la nécessité de renforcer les capacités nationales de défense et de préparer le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à La Haye le 25 juin 2025 – un rendez-vous décisif pour l’avenir de l’Alliance et pour l’autonomie de la défense européenne. Parmi la résolution des nouvelles équations de sécurité, nationale et européenne, il conviendra de ne pas perdre de vue celle de la modernisation de l’aviation de patrouille maritime (PATMAR) et de sa dronisation.

Pour la France, la surveillance et l’exercice de droits souverains sur 11 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, répartis autour de la planète, recouvrent à la fois des enjeux économiques, technologiques et stratégiques. Avec la robotisation et la numérisation des espaces communs, la patrouille et la surveillance maritimes remplissent deux fonctions opérationnelles séparables, mais non séparées, répondant au même objectif stratégique de connaissance et de maîtrise du domaine maritime.

Les moyens français pour la surveillance et la patrouille maritime

Les avions de surveillance maritime

La flotte française d’avions de surveillance maritime (SURMAR), non armés, est en cours de renouvellement, avec l’entrée en service prévue en 2027 des Albatros. Dans le cadre du programme AVSIMAR (Avions de surveillance et d’intervention maritime), douze appareils sont prévus, et sept ont déjà été commandés. Dérivé du Falcon 2000XLS de Dassault Aviation, et exploité par les garde-côtes du Japon, l’Albatros disposera d’équipements modernisés (système de mission, radar multifonction, tourelle optronique, SATCOM, système de largage de chaînes SAR…) et remplacera les actuels Falcon 50 et Falcon 200 Gardian.

Les avions de patrouille maritime

Le renouvellement de la flotte française d’avions de PATMAR, actuellement composée d’Atlantique 2 pouvant être armés de bombes, de missiles antinavires et d’autres torpilles, a été lancé par l’étude de définition de l’Airbus A321 MPA. Les missions de l’A321 MPA seront combinées à des systèmes de drones (Unmanned Aerial Vehicle ou UAV) et exploitées au travers de systèmes d’acquisition, de fusion et de gestion d’informations en provenance de senseurs multiples, assistés par l’intelligence artificielle (IA).

Recours indispensable aux drones aériens de SURMAR

Les UAV de ce type sont actuellement peu nombreux et limités à des missions ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), bien que des essais soient en cours pour leur permettre de larguer des capteurs acoustiques. Aucun système en service ne répond à la triple exigence de détection, de pistage et d’attaque d’un navire de combat ou d’un sous-marin. S’ils permettent d’assurer la permanence et la multiplication du nombre de capteurs déployés sur une zone d’opérations, les drones nécessitent aussi des liaisons de données (LdD) à longue distance et d’une ressource humaine importante pour assurer leur mise en œuvre et leur exploitation.

Transformer un UAV ISR en UAV de SURMAR n’est pas simple. Le RQ-4 Global Hawk et le MQ-4C Triton, deux HALE (High-Altitude Long Endurance) apparemment identiques, sont très différents en termes de capteurs, de LdD ou de génération électrique. Il en est de même pour les MALE (Medium Altitude Long Endurance) Sky Guardian et Sea Guardian. Leur mise au point a nécessité des développements et des financements spécifiques, ainsi que des délais supplémentaires par rapport aux versions ISR initiales.

En France, la déclinaison d’une version maritime du MALE Aarok de Turgis Gaillard, ou de ceux développés par Aura Aero, est possible. Il en est de même pour le futur MALE européen Eurodrone. À la différence des achats à l’étranger, ces systèmes répondent aux exigences de l’autonomie stratégique européenne.

PATMAR et SURMAR : moteurs intégrés de la fonction stratégique « connaissance-anticipation »

Comme pour la plupart des systèmes de surveillance et d’intervention, il s’agit de savoir pour prévoir, afin de pourvoir. La connaissance et l’anticipation, dans le domaine maritime, reposent désormais sur la collecte permanente de l’information et du renseignement d’intérêt maritime, ainsi que sur son traitement automatisé, pour permettre une intervention militaire ou de sécurité, nécessaire et suffisante, au bon endroit et au bon moment.

Le recours aux UAV HALE depuis la terre, ainsi qu’aux MALE ou VTOL (Vertical Take-Off and Landing) de surveillance maritime endurants, qu’ils soient embarqués ou non, est indispensable pour assurer la permanence et atteindre la densité de capteurs nécessaires sur zone, tout en répondant aux exigences de la sûreté maritime et des menaces hybrides. Toutefois, cela ne peut se faire sans une composante PATMAR pilotée, seule capable d’assurer la réactivité nécessaire au cœur de situations opérationnelles complexes, tout en répondant aux nécessités de conserver l’homme dans la boucle, notamment lorsqu’il est nécessaire d’utiliser des armes ou d’accéder à des LdD à longue distance en cas de déni.

Quelle solution ?

Dans ce contexte, la meilleure solution en termes de coût, d’efficacité, de performance, de fiabilité et de délais d’acquisition repose sur la conception et le développement incrémental d’une flotte mixte, combinant appareils pilotés et non pilotés. Toute la difficulté réside alors dans la juste répartition entre les deux types de vecteurs. Les critères de choix découlent des missions assignées et de l’environnement opérationnel, coopératif ou non, permissif ou non, dans lequel elles sont réalisées. Il s’agit de décisions propres à chaque nation, auxquelles s’ajoutent des critères d’interopérabilité, ainsi que l’indispensable mise en œuvre des divers systèmes, de PATMAR et de SURMAR, au travers d’un métasystème d’exploitation distribué. Ainsi, la France doit simultanément moderniser son aviation de patrouille maritime et rattraper le retard accumulé en matière d’UAV associés, afin de préserver la souveraineté maritime nationale sur toutes les mers du monde et de garantir la liberté d’action de sa force océanique stratégique.

Le prochain salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, ainsi que le sommet à venir de l’OTAN, devraient apporter des éléments clés de réponse pour faciliter les prises de décisions indispensables.

Christophe Pipolo

Marc Grozel

areion24.news