Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 27 juin 2025

Les enseignements des bombardements américains sur l’Iran pour la Chine

 

Le régime chinois, encore relativement silencieux sur le sujet, ne manquera pas de tirer des enseignements précieux des bombardements intensifs menés par l’armée américaine sur l’Iran samedi 21 juin qui, selon le directeur de la CIA, ont infligé « de sérieux dommages » sur les sites nucléaires de ce pays.

John Ratcliffe, le directeur des services de renseignements américains, a expliqué que des sites nucléaires clés iraniens ont été détruits, sans préciser si ces bombardements ont permis de mettre à bas le programme nucléaire de l’Iran. Le président américain a été beaucoup plus loin, affirmant que ces raids aériens avaient « effacé » les installations nucléaires iraniennes. De son côté, le secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth a fait état d’un « succès sur toutte la ligne. » « Le président Trump a dirigé l’opération la plus complexe de l’histoire miltaire du pays et s’était un succès sur toute ligne […] Il a mis un terme à la guerre, » a-t-il affirmé.

S’exprimant mercredi en marge du sommet de l’OTAN à La Haye, le président américain a affirmé que les bombardements avaient été « très sévères, » permettant aux forces américaines « d’effacer » les installations iraniennes. A l’appui de ces déclarations, la directrice du renseignement national américain, Tulsi Gabbard, a donné des précisions sur ce même sujet. « Si les Iraniens choisissent de reconstruire, ils devront reconstruire entièrement les trois sites (Natanz, Fordo, Ispahan), ce qui prendrait des années, » a-t-elle ajouté sur le réseau X.

Des images satellite diffusées jeudi montraient six grands cratères autour de deux entrées du site nucléaire de Fordo ainsi que d’autres cratères autour de celui de Ispahan, sans qu’il soit possible de savoir si les installations souterraines ont ou non été endommagées. Mais, selon la Commission à l’énergie atomique israélienne, la frappe contre le site de Fordo a « détruit les installations critiques du site. »

Le même jour, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmail Baghaei, a déclaré à la chaîne de télévision qatari Al Jazeera que « pour sûr, nos installations nucléaires ont été gravement endommagées. » Mehdi Mohammadi, un conseiller du président du parlement iranien, a, pour sa part, affirmé que les installations du site de Ford n’avaient subi « aucun dommage irrémédiable. »

Des responsables familiers du dossier cités par la BBC ont toutefois estimé prématuré toute possibilité d’évaluer avec précision l’ampleur des dégâts réels infligés aux installations nucléaires ciblées par les bombardiers américains. Les Etats-Unis disposent de 18 agences de renseignement dont les informations ne sont pas toujours concordantes.

Mercredi, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Grossi a estimé que l’Iran avait peut-être réussi à disperser la plus grande partie de ses stocks d’uranium enrichi avant les frappes américaines. Selon un diplomate européen de haut rang interrogé par Asialyst, l’Iran n’a, en réalité, pas été pris par surprise car la présence dans la zone dans les heures précédant l’opération américaine d’avions ravitailleurs américains présageait de l’imminence de bombardements. Les autorités iraniennes ont de la sorte eu la possibilité de se préparer.

Des frappes qui donneront matière à réflexion aux dirigeants chinois

Cependant, de toute évidence l’armée américaine a infligé un revers cuisant à l’Iran. Cette opération pourra de ce fait donner matière à réflexion au régime chinois, d’autant que la Chine enregistre depuis des mois une cascade de déconvenues au Moyen-Orient avec en particulier la chute brutale du régime syrien et la quasi-disparition du Hezbollah au Liban. Autant d’avertissements pour Pékin sur le fait que les autocraties ne sont pas éternelles.

La déroute de l’Iran, bien que partielle, a été spectaculaire. Il reste à savoir si elle constitue ou non une réelle bascule sur le plan militaire de nature à inquiéter le régime communiste chinois avec en toile de fond la rivalité multiforme toujours plus aigüe entre la Chine et les Etats-Unis et, surtout, la volonté affichée par le président Xi Jinping d’envahir Taïwan.

Certes l’Iran n’est pas la Chine. Beaucoup s’en faut. Le théâtre d’opération iranien pour les Etats-Unis n’a rien à voir avec celui de Taïwan. De plus, l’arsenal militaire chinois, à la fois dans les airs, sur les mers et sur terre, n’a rien à voir non plus avec celui de l’Iran. Tandis que ce pays en était encore à enrichir l’uranium pour fabriquer une première bombe atomique, une échéance qui lui aurait demandé au bas mot au moins un an, la Chine possède plusieurs centaines d’ogives nucléaires qui peuvent frapper tout endroit de la planète. De plus, l’armée chinoise aligne des centaines de chasseurs et de bombardiers dernier cri, au moins trois porte-avions, des sous-marins à propulsion nucléaire, des centaines de navires de guerre pour certains sophistiqués, de même que des milliers de fusées et missiles balistiques ou hypersoniques qui auraient, en cas de conflit armé, un effet dévastateur sur l’ennemi, qu’il soit américain ou autre.

Cette guerre éclair qui prend l’allure d’une démonstration de force américaine

Il reste que cette guerre éclair menée en moins d’une journée le 21 juin aura donné l’occasion aux Etats-Unis de montrer leurs capacités militaires impressionnantes lorsque sept avions furtifs B-2 ont largué quatorze bombes GBU-57 capables de percer 60 mètres de béton avant d’exploser à l’intérieur des bunkers abritant trois sites nucléaires iraniens. L’Amérique est la seule à posséder cette bombe qui n’avait, à ce jour, jamais été utilisée. Des images prises par satellite révèlent l’ampleur des destructions sur le site nucléaire de Fordo ultra-protégé, celui de Natanz et celui d’Ispahan.

L’ensemble de l’opération a duré 18 heures et a été parfaitement coordonné. Toutes les cibles ont été touchées en quelque 25 minutes, selon l’administration Trump. Au total, 74 bombes et missiles de précision largués par 125 avions et un sous-marin ont été utilisés en appui des bombardements. Ce qui a fait dire à Pete Hegseth que la mission a permis la destruction « puissante et claire » des capacités nucléaires de l’Iran.

Les bombardiers américains « sont entrés, sortis [de l’espace aérien iranien] sans que le monde ne s’en soit aperçu, » a ajouté Pete Hegseth face à la presse, soulignant de la sorte les capacités de l’armée américaine à tromper l’ennemi en faisant usage de systèmes de camouflage et de leurres divers. Alors que l’opération, baptisée « Midnight Hammer, » débutait samedi, des bombardiers B-2 ont décollé de leur base dans le Missouri dans le Midwest américain et ont été repérés en direction de l’île de Guam, dans le Pacifique, ce que les experts ont interprété comme un prépositionnement en vue d’une éventuelle frappe contre l’Iran. Mais il s’agissait d’un leurre.

Comment l’Amérique a trompé l’ennemi iranien

Le véritable groupe de sept bombardiers furtifs B-2 aux ailes en forme de celles des chauve-souris, quant à lui, faisait au même moment tranquillement son chemin vers l’est sans être détecté, le tout pendant 18 heures, en limitant au minimum les communications et en se ravitaillant en vol. Alors que les bombardiers approchaient de l’espace aérien iranien, un sous-marin américain a de son côté lancé plus d’une vingtaine de missiles de croisière Tomahawk. Des avions de chasse américains ont pour leur part décollé pour servir de leurres afin de protéger les bombardiers contre tout avion de chasse ou missile iranien.

L’attaque contre les trois principaux sites nucléaires iraniens a été la plus grande opération jamais menée par des bombardiers furtifs B-2, et la deuxième plus longue opération jamais réalisée par des B-2, après celle qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis par Al-Qaïda. Le constat est le suivant : les bombardiers B-2 ont largué un total de 14 bombes GBU-57, pesant chacune 30 000 livres, soit 1,4 tonne, capables de détruire en profondeur des bunkers. L’opération, selon le Pentagone, a mobilisé plus de 125 avions militaires américains.

Pour l’armée américaine, l’opération restera comme un succès tactique retentissant. Les forces armées iraniennes n’ont pas été en mesure de tirer un seul coup contre les avions américains, selon le général Dan Caine, le chef d’état-major des armées américaines. « Les chasseurs iraniens n’ont pas pu prendre l’air et il semble que les systèmes de missiles sol-air iraniens ne nous aient pas repérés pendant toute la durée de la mission, » a-t-il déclaré dimanche. « Nous avons mis à profit l’effet de surprise. »

Les sites nucléaires iraniens seulement partiellement détruits

Mais l’évaluation précise des dommages infligés au programme nucléaire iranien prendra du temps. Selon diverses sources citées par l’agence Reuters, les trois sites nucléaires iraniens n’ont été que partiellement détruits. Citant des agences de renseignement américaines, l’agence Reuters affirmait mercredi que les dommages subis ne font que retarder de quelques mois le programme nucléaire iranien.

Le quotidien Washington Post, citant une source anonyme familière du dossier, soulignait mercredi qu’une partie des centrifugeuses qui servent à l’enrichissement de l’uranium étaient intactes. Cela n’a pas empêché le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de déclarer : « Nous avons éliminé deux menaces existentielles immédiates pour nous : la menace d’une annihilation nucléaire et la menace d’une annihilation par 20 000 missiles balistiques. »

L’opération « Midnight Hammer » était hautement confidentielle, a déclaré M. Caine. « Très peu de personnes à Washington connaissaient le timing ou la nature du plan. » De nombreux hauts responsables américains n’en ont pris connaissance que samedi soir, après la première annonce du président Donald Trump sur les réseaux sociaux. Pete Hegseth a donné des explications précises aux médias américains sur le fait que les préparatifs avaient pris plusieurs mois pour que l’armée américaine soit prête à frapper pour le cas où le président américain Donald Trump devait leur donner l’ordre de le faire. L’opération elle-même n’a demandé que quelques semaines de préparatifs.

L’administration Trump avait préalablement secrètement informé l’Iran qu’elle ne cherchait pas à élargir le conflit, exhortant Téhéran à entamer des négociations. Donald Trump avait néanmoins averti l’Iran qu’en cas de refus iranien, les Etats-Unis étaient prêts à frapper d’autres cibles en utilisant une force bien plus importante. Lundi, l’Iran et Israël ont annoncé un cessez-le-feu total qui demeurait néanmoins précaire.

Une crise qui pourrait accentuer les difficultés de la Chine au Moyen-Orient

Confrontée à la crise en Iran et prise en totale surprise, la Chine n’a pratiquement pas réagi. Xi Jinping s’est contenté d’exprimer sa « profonde inquiétude » avant le début des frappes, appelant les belligérants à la désescalade et proposant les bons offices de son pays. Outre l’aspect strictement militaire, cette crise risque d’accentuer les difficultés rencontrées par la Chine au Moyen-Orient qui lui fournit la moitié de son pétrole, selon le Centre for Strategic and International Studies (CSIS). La région lui livrerait même 60 % de ses approvisionnements en énergie, selon le Quotidien du peuple, l’organe du PCC. Cette guerre était donc une mauvaise nouvelle de plus pour la deuxième économie mondiale alors même qu’elle est confrontée à une croissance en berne.

« La Chine est profondément préoccupée par l’escalade pour des raisons de sécurité énergétique et de positionnement géopolitique. Toute perturbation menace ses importations et donc sa stabilité économique. L’instabilité régionale compromet également ses nouvelles routes la soie, projet stratégique du président Xi, » jugeait Emilie Tran, chercheuse à la Hongkong Metropolitan University, avant le début des frappes américaines.

L’avenir de l’Iran, plus incertain que jamais, représente un enjeu clé pour les stratèges de Zhongnanhai, le cœur du pouvoir chinois à Pékin. Après la chute de Bachar el-Assad en Syrie, un changement de régime en Iran priverait Pékin d’un point d’appui précieux dans la région. Or le spectre d’un changement de régime demeure prégnant, d’autant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a plusieurs fois laissé entendre qu’Israël pourrait chercher à le provoquer.

Une cascade de revers diplomatiques au Moyen-Orient

Pékin gardera longtemps en mémoire la chute spectaculaire de Bachar El-Assad le 8 décembre dernier alors que Xi Jinping avait alors promis un soutien indéfectible au régime sanguinaire syrien. Cet épisode avait fait voler en éclats l’image de puissance et d’influence que Pékin voulait cultiver au Moyen-Orient. « Tout cela montre que la Chine s’était un peu trop engagée dans son approche de la politique régionale, » analyse Jonathan Fulton, chercheur au Conseil de l’Atlantique. « Elle pensait pouvoir peser de manière décisive sur le sort de la Syrie mais la réalité est bien plus complexe qu’elle ne le pensait, » ajoutait-elle, citée par l’agence Reuters le 9 décembre 2024.

Pour le commentateur du Financial Time Edward White, « les attaques menées par Israël contre l’Iran pourraient éloigner la Chine de ses partenaires commerciaux pétroliers essentiels. » « Depuis des années, la Chine utilise ses relations avec l’Iran pour étendre son influence au Moyen-Orient, » ajoutait-il le 20 juin dans les colonnes du quotidien britannique. « Bien sûr, [cette crise] inquiète la Chine, » souligne de son côté Gedaliah Afterman, expert de la Chine et du Moyen-Orient à l’Institut Abba Eban pour la diplomatie et les relations étrangères en Israël. « Si cette situation devait encore s’aggraver, ils auraient beaucoup à perdre, tant en termes de sécurité énergétique que sur le plan stratégique puisque l’Iran représente une carte cruciale pour la Chine, » explique-t-il dans le même journal.

Pékin ne publie pas officiellement le volume de ses réserves stratégiques de pétrole. Mais pour Michal Meidan, responsable de la recherche sur la Chine à l’Oxford Institute of Energy Studies, le pays dispose, tous types de stockage confondus, d’environ 90 à 100 jours d’approvisionnement en cas de restriction des flux vers son territoire. Au-delà de sa dépendance croissante vis-à-vis du pétrole saoudien, les analystes de S&P Global estiment que plus de 25 % des importations chinoises de gaz naturel liquéfié provenaient l’année dernière du Qatar et des Émirats arabes unis.

Pourquoi la leçon de l’Iran devrait donner à réfléchir à Pékin

Autre sujet à caractère hautement sensible : selon plusieurs sources informées, des agents du Mossad, les services secrets israéliens, auraient réussi à introduire des drones chargés d’explosifs à l’intérieur de plusieurs installations militaires en Iran et les auraient activés pour paralyser les systèmes de défense et permettre ainsi aux avions de combat israéliens d’entrer dans l’espace aérien iranien sans être inquiétés.

Cette opération secrète fait écho à celle elle tout aussi spectaculaire menée par l’Ukraine fin mai lorsque des drones militaires, introduits clandestinement en Russie, ont pulvérisé des avions militaires russes, dont certains étaient les plus sophistiqués de l’armée russe. Ces deux exemples constituent une illustration éclatante de la capacité dont disposent des petits pays pour infliger de lourdes pertes militaires à des adversaires bien plus puissants. C’est là la démonstration du potentiel d’une guerre asymétrique.

« Les similitudes entre les récentes opérations israéliennes et ukrainiennes qui ont combiné sabotage et attaques de drones au cœur du territoire ennemi, feront probablement l’objet d’études de cas dans les écoles militaires au cours des prochaines années, » y compris en Chine, explique Jean-Loup Samaan, Senior Research Fellow au Middle East Institute de Singapour, cité par la chaîne FR24.

Pour Derek Grossman, professeur de science politique et de relations internationales à la University of Southern California, Taïwan a bien entendu tiré les leçons de l’opération ukrainienne. « Je pense que Pékin a beaucoup à réfléchir sur la façon dont Taïwan pourrait mener de telles opérations asymétriques [contre les forces armées chinoises] qui, aujourd’hui, pourraient être non plus potentielles mais probables, » a-t-il expliqué, cité le 17 juin par le média japonais Nikkei Asia.

Pour autant, si la guerre éclair, que l’Iran a clairement perdue, donne à la Chine matière à réflexion quant au bien-fondé d’une opération militaire contre Taïwan, Xi Jinping notera que Donald Trump se sera contenté de frappes limitées dans le temps, s’abstenant de précipiter un changement de régime. Ceci s’ajoute au fait que depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier dernier, il n’a jamais dit clairement ce qu’il ferait si un conflit devait éclater à Taïwan. Un mutisme que Pékin pourrait interpréter comme une volonté de ne pas s’engager militairement au côté de Taïwan si ce conflit devait avoir lieu.

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com