Le 13 mai, à Portsmouth [Royaume-Uni], l’entreprise innovante Helsing, spécialiste des applications militaires d’intelligence artificielle [IA], a dévoilé le système Lura/SG-1 Fathom qu’elle a décrit comme étant capable de rendre « transparents » les océans… Et donc de détecter les sous-marins.
Concrètement, il s’agit d’associer un logiciel d’IA à un « essaim » de SG-1 Fathom, c’est-à-dire des planeurs sous-marins [ou « gliders »], pouvant rester sous l’eau pendant trois mois, « sans interruption ». Ce qui, selon Helsing, permettrait ainsi de détecter des cibles dix fois plus silencieuses que les systèmes existants. Et cela quarante fois plus rapidement qu’une oreille humaine.
« Équipé de capacités de calcul embarquées, le SG-1 Fathom exécute les modèles Lura directement sous l’eau, détectant et classifiant les menaces en temps réel », que ce soit dans les grands fonds de l’Atlantique ou du Pacifique, explique Helsing. Et d’ajouter que « des centaines de planeurs peuvent être déployés simultanément, formant une constellation mobile de capteurs, équivalente à des satellites surveillant les océans ».
Cette technologie pourrait-elle mettre en péril le déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la composante océanique de la dissuasion française ? Le chef d’état-major de la Marine nationale, l’amiral Nicolas Vaujour, ne le croit pas.
« Helsing fait de la publicité, non pas mensongère mais très optimiste », a-t-il lancé devant les députés de la commission de la Défense, ce 21 mai. « Les gliders, ça fait un certain nombre d’années qu’on les expérimente dans la Marine. Et ça fait quelques temps maintenant qu’on opérationnalise vraiment leur emploi », a-t-il fait observer.
Cela a été le cas lors de l’exercice franco-italien Mare Aperto 24.1, organisé en mai 2024. Ainsi, la frégate multimissions [FREMM] Provence en avait déployé quatre, fournis par l’industriel français ALSEAMAR. Et, comme l’a expliqué l’amiral Vaujour, ils contribuèrent à « détecter quelques navires » de la Marina Militare, lesquels furent ensuite virtuellement « strikés » par les Rafale M du porte-avions Charles de Gaulle.
« C’était une avancée intéressante, qui montrait qu’il y avait un espace pour les gliders. En revanche, en passif pur, vous ne détectez pas tout. Un SNLE, aujourd’hui, n’émet pas. Détecter un SNLE avec un glider, je ne veux pas dire qu’on n’y est pas encore mais il y a quand même loin de la coupe aux lèvres », a fait valoir le CEMM.
« Donc, les essaims passifs peuvent être intéressants pour détecter un certain nombre de choses, mais avec beaucoup d’intelligence artificielle derrière. On y travaille vraiment. On estime que les gliders auront leur place dans la surveillance et la capacité à améliorer notre perception de l’environnement », a poursuivi l’amiral Vaujour.
Cela étant, « détecter » est une chose… encore faut-il rendre compte et analyser… « Aujourd’hui, il y a encore pas mal de choses à améliorer. Le capteur qui détecte tout dans tous les océans ? Non, ce n’est pas la réalité. On travaille dessus. Il y a de vrais objets opérationnels, qu’on a déjà développés en national, avec de vraies capacités mais avec également de vraies limites. Donc, l’industriel qui dit qu’il va rendre les océans transparents, il n’est pas encore crédible. Alors, il peut faire de la pub… », a développé le CEMM.
D’autant plus que le point crucial est d’être en mesure de traiter les données acoustiques. Telle est la mission du Centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique [CIRA] ainsi que celle des « oreilles d’or ».
Dans ce domaine, « nous sommes vraiment très très bon », a fait valoir l’amiral Vaujour. Or, a-t-il ajouté, le CIRA est « une unité qui a complétement basculé dans le monde de l’intelligence artificielle. Elle récupère, traite et analyse des téraoctets de données. Elle développe des algorithmes pour être encore meilleure ».
Seulement, a-t-il souligné, l’IA ne peut pas tout… « Ce qui est intéressant de noter, c’est que l’intelligence artificielle apporte beaucoup moins que l’oreille humaine et que, à ce stade, elle n’a pas remplacé le bon vieux maître principal ‘oreille d’or’ sur nos sous-marins, même si on a mis beaucoup d’argent pour le remplacer », a-t-il dit.
Et l’amiral Vaujour d’insister : « La réalité, c’est qu’il faut avoir le maître principal ‘oreille d’or’ qui comprend ce qu’est l’intelligence artificielle et qui va aider l’intelligence artificielle à l’aider. Grosso modo, ça s’arrête là ».