Le 14 février 2024, l’Indonésie a élu comme président Prabowo Subianto, après avoir perdu les deux précédentes élections contre le président Joko Widodo, familièrement appelé Jokowi. Un mois et demi après cette élection, Prabowo, investi en octobre 2024, s’est rendu à Pékin à l’invitation du président chinois Xi Jinping. C’était le premier voyage à l’étranger du président élu. Pour Daniel Peterson, spécialiste des relations Indonésie-Chine à la Queen’s University of London, cela signale une intention de poursuivre la politique du président sortant Joko Widodo en matière de coopération avec la Chine (1).
Quelques semaines plus tard en Indonésie, Luhut Binsar Pandjaitan, ministre coordinateur des Affaires maritimes et de l’Investissement, déclarait lors d’une rencontre bilatérale avec la Chine que le futur gouvernement poursuivrait la politique de Jokowi et maintiendrait « les liens d’amitié et la coopération constructive avec la Chine » (2).
Brève histoire
Les relations de l’Indonésie avec la Chine ont connu des hauts et des bas. L’Indonésie a proclamé son indépendance le 17 aout 1945, deux jours après l’annonce de la capitulation du Japon, qui occupait l’archipel depuis mars 1942. Elle est ainsi la première colonie à se proclamer indépendante après la Seconde Guerre mondiale. Mais avec l’aide des Alliés, plus précisément des Australiens et des Britanniques, les Néerlandais avaient pu reprendre pied dans ce qu’ils considéraient toujours comme leur colonie.
Après plus de quatre années de conflit militaire et diplomatique entre la jeune République d’Indonésie et les Pays-Bas, le 27 décembre 1949 les Néerlandais, sous la pression des Nations Unies et des États-Unis, transfèrent aux Indonésiens la souveraineté sur leur ancienne colonie. En 1950, de nombreux pays reconnaissent la République d’Indonésie, dont la République populaire Chine, proclamée le 1er octobre 1949 par Mao Zedong. En avril 1955 se tient la conférence de Bandung, dans l’ouest de Java, organisée par la Birmanie, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan et le Sri Lanka ; 29 pays d’Afrique et d’Asie y participent, dont la Chine.
Au cours des dix années qui suivent, Soekarno se rapproche de plus en plus de la Chine. Les deux pays souhaitent en effet remplacer un monde bipolaire structuré par la guerre froide par un ordre international où ce qu’on appelle alors le tiers-monde, dont une grande partie correspond à des pays récemment décolonisés, peut faire valoir ses intérêts propres. Lors de la rupture entre la Chine et l’Union soviétique en 1963, le Parti communiste indonésien (PKI), qui avec 3,5 millions de membre revendiqués est le plus grand parti communiste en dehors du bloc socialiste, s’aligne sur Pékin. C’est dans ce contexte qu’en aout 1965, Soekarno prône la création d’un « axe Jakarta-Phnom Penh-Hanoi-Pékin-Pyongyang ».
Le 1er octobre 1965 au matin, un officier de la garde présidentielle annonce à la radio qu’un projet de coup d’État par un groupe de généraux a été déjoué. La nuit précédente, des soldats avaient réussi à enlever trois généraux et tué trois autres qui avaient résisté. Un général du nom de Soeharto prend la tête de la répression du mouvement. Le lendemain, le PKI organise une marche de soutien à Yogyakarta dans le centre de Java, tandis qu’à Jakarta le Harian Rakyat (« Quotidien du peuple »), le journal du PKI, publie un éditorial louant le mouvement. Le 3 octobre, les corps des six généraux et celui d’un aide de camp sont retrouvés près de la base aérienne de Halim près de Jakarta. Des organisations de jeunes descendent dans la rue à Jakarta et incendient le siège du PKI. Des massacres anticommunistes commencent dans les campagnes, qui feront plus de 500 000 morts.
En mars 1966, Soekarno remet les pleins pouvoirs à Soeharto. L’année suivante, ce dernier rompt les relations diplomatiques avec la Chine, accusée par l’armée d’avoir soutenu le PKI (3), et rétablit en revanche des relations étroites avec l’Occident et notamment les États-Unis. Ceux-ci sont alors engagés dans une guerre au Vietnam. L’arrivée de Soeharto au pouvoir dissipe leur crainte d’un second front. L’objectif du nouvel homme fort de l’Indonésie est de redresser une économie négligée par Soekarno. Il ouvre l’Indonésie aux investisseurs étrangers, notamment des pays développés.
Des relations économiques privilégiées avec Pékin
L’Indonésie reprend les échanges commerciaux avec la Chine en 1985. Pour des raisons de politique intérieure, les relations diplomatiques ne sont pas tout de suite rétablies (4). D’après Anthony L. Smith de l’Asia-Pacific Center for Security Studies, un institut du ministère américain de la Défense basé à Honolulu, les dirigeants indonésiens considéraient que la Chine restait une menace militaire (5).
Les relations diplomatiques seront finalement rétablies en 1990. C’est l’époque où le PIB chinois commence à prendre son essor. Il est alors de près de 400 milliards de dollars, plaçant la Chine au 12e rang mondial, derrière le Brésil. Le PIB de l’Indonésie est cette année-là de 138 milliards de dollars, ce qui la place au 25e rang mondial, derrière la Finlande.
En avril 1997, la chute de la bourse de Bangkok, suivie par celle du baht thaïlandais, déclenche une crise financière qui s’étend à d’autres pays d’Asie de l’Est. En Indonésie, la crise devient économique et politique. Dans les principales villes du pays, les étudiants manifestent contre le régime. À Jakarta, des émeutes éclatent le 14 mai 1998. Soeharto finit par démissionner une semaine plus tard. Le PIB de l’Indonésie chute de près de 14 % en 1998 et n’est plus qu’au 37e rang mondial alors que la Chine est passée au 7e rang, derrière l’Italie.
Le PIB indonésien retrouve son niveau d’avant-crise en 2004 et croît au rythme annuel de 5 %. En 2012, l’Indonésie est la 16e économie mondiale. Entretemps, la Chine est devenue la 2e économie, derrière les États-Unis.
La Chine est aujourd’hui le principal partenaire commercial de l’Indonésie, représentant 21 % des exportations de cette dernière et 31 % de ses importations en 2022 (6). Mohammad Faisal, du think tank indonésien Center of Reform on Economics, va jusqu’à affirmer que « la principale différence entre l’Indonésie et des pays comme la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines est que ces pays ne dépendent pas fortement de la Chine [pour leurs exportations] ». En 2023, alors que les exportations indonésiennes vers la plupart des pays augmentaient, notamment vers l’Inde, celles vers la Chine se sont contractées (7).
La Chine est également devenue le 2e investisseur en Indonésie après Singapour. En 2014, au début de son premier mandat, Jokowi formule son projet baptisé « Nawacita », consistant en neuf priorités pour le développement de l’Indonésie. Dans ce but, il proclame la nécessité de développer les infrastructures pour connecter la périphérie du pays avec les centres de croissance et relier les iles entre elles (8). L’Indonésie est constituée de plus de 16 000 iles qui s’étalent sur plus de 5 000 kilomètres d’ouest en est et a un grand besoin d’infrastructures. La part des dépenses en infrastructures dans le PIB est alors nettement inférieure à celle des autres pays d’Asie (9).
L’année précédente, Xi Jinping avait annoncé le lancement de la Belt and road initiative (BRI), les nouvelles routes de la soie. Ce projet a pour objectif d’améliorer les liaisons commerciales dans le monde. En particulier, il suggère une volonté de la Chine d’intégrer ses voisins dans un réseau d’infrastructures physiques en étoile (10).
La BRI a été présentée dans deux villes, Jakarta et Astana, la capitale du Kazakhstan, principale économie d’Asie centrale et 12e producteur de pétrole du monde. L’Indonésie est située sur l’ancienne route de la soie maritime, à la charnière des océans Pacifique et Indien par laquelle transite quelque 60 % du commerce maritime mondial. Avec près de 280 millions d’habitants, elle est le 4e pays le plus peuplé du monde et sa 16e économie, la plus importante d’Asie du Sud-Est. Le choix de Jakarta était un signe de l’importance de l’Indonésie pour la Chine.
L’Indonésie est devenue la plus grande bénéficiaire de la BRI en Asie du Sud-Est (11). La BRI a notamment financé la construction du premier TGV d’Indonésie, qui relie Jakarta à Bandung, la 3e ville du pays, et des fonderies de nickel, dont le gouvernement interdit désormais l’exportation. Prabowo a d’ailleurs déclaré qu’il ne remettrait pas en question la politique de Jokowi concernant ce minerai (12).
Il faut noter par ailleurs que durant la pandémie de Covid-19, la Chine a été le principal fournisseur de l’Indonésie en équipements de protection médicale et en vaccins.
La question de la mer de Chine méridionale
Cette mer en bordure de l’océan Pacifique s’étend de Taïwan au nord à l’Indonésie au sud, et de la Thaïlande à l’ouest aux Philippines à l’est, avec une superficie de 3,5 millions de kilomètres carrés. Sept pays la bordent, du nord au sud la Chine, Taïwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei et l’Indonésie.
La Chine considère qu’elle fait partie de ses eaux territoriales. Cette revendication remonte à 1947, lorsque le gouvernement nationaliste du Kuomintang délimita ses revendications par une « ligne en onze traits » qui couvre la plus grande partie de cette étendue. En 1953, le Parti communiste chinois (PCC), qui a pris le pouvoir en 1949, en retire le golfe du Tonkin, bordé par le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande et la Malaisie, ramenant la limite à une « ligne en neuf traits » (nine-dash line en anglais), qu’elle considère comme la base historique de sa revendication (13).
L’Indonésie et la Chine ont signé un « partenariat stratégique » en 2005. Dans les faits, les relations entre les deux pays sont réduites au minimum depuis cet accord. Les agissements de la Chine en mer de Chine méridionale (MCM) d’une part, la dépendance de l’Indonésie envers les pays occidentaux en matière de défense d’autre part, rendent les Indonésiens peu enthousiastes pour ce partenariat. En particulier, les exercices bilatéraux, une des principales composantes d’une coopération militaire entre deux pays, ont été suspendus en 2015 en raison des revendications chinoises sur la MCM qui touchent les iles indonésiennes des Natuna. En outre, pour Evan A. Laksmana de l’International Institute for Strategic Studies, un think tank basé à Londres, des questions de politique intérieure et le poids de l’histoire accentuent ce manque d’enthousiasme du côté indonésien (14).
Un incident va faire monter d’un cran la tension entre les deux pays. En mars 2016, un patrouilleur indonésien arraisonne un chalutier chinois qui pêchait dans les eaux territoriales indonésiennes autour des Natuna et arrête son équipage. Onze heures plus tard, deux garde-côtes chinois réussissent à libérer le chalutier mais le patrouilleur indonésien retourne à sa base avec l’équipage chinois à son bord.
Le mois suivant, Song Tao, chef du département international du PCC, rend visite au président Jokowi. Après l’entrevue, le secrétaire du cabinet Pramono Anung déclare à la presse que l’affaire était un « malentendu » et était considérée comme « réglée » (15). En mai, le ministre Luhut déclare à son tour que l’Indonésie a réglé le différend et que les relations entre les deux pays sont de nouveau normales (16).
Mais fin 2019 et début 2020, des garde-côtes chinois font de fréquentes incursions dans la ZEE indonésienne qui borde les Natuna. L’Indonésie réagit en détachant dans le secteur des avions F-16 de construction américaine et des navires de guerre. Depuis, les incursions ne sont plus que sporadiques. Lentement mais surement, l’Indonésie continue de renforcer ses mesures de sécurité dans le secteur.
Le mois d’avril 2021 est marqué en Indonésie par la disparition d’un sous-marin de la marine, le Nanggala, dans la région du détroit de Lombok, qui sépare l’ile du même nom de Bali. Plusieurs pays, dont les États-Unis, proposent leur aide pour sa recherche. La Chine est plus rapide et envoie trois navires de guerre. Pour Curie Maharani, experte dans le domaine de la défense à l’université privée Bina Nusantara à Jakarta, permettre l’accès au sous-marin à des pays avec lesquels il existe un conflit potentiel revient à « exposer nos faiblesses » (17). Mais malgré la possibilité que la Chine en profite pour recueillir des données océanographiques, l’Indonésie accepte (18). Dans ce contexte, les marines indonésienne et chinoise mènent un exercice conjoint au large de Jakarta en mai (19).
En juin, la Chine et l’Indonésie inaugurent un « high-level dialogue cooperation mechanism ». La réunion est coprésidée par Luhut et Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois. Pour Derek Grossman de la RAND Corporation, l’Indonésie et la Chine sont peut-être en train de s’améliorer, mais différentes contraintes risquent de limiter le potentiel de leurs relations (20).
En mars et avril 2024, l’Indonésie et la Chine ont tenu des réunions pour discuter de questions de défense bilatérales. Le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a rencontré le président Joko Widodo, la ministre des Affaires étrangères Retno Marsudi et Prabowo. En aout s’est tenu à Jakarta un Dialogue conjoint Chine-Indonésie sur les affaires étrangères et la défense, au cours duquel les deux pays se sont mis d’accord pour reprendre les exercices militaires conjoints.
Le non-alignement
En 1948, au début de la guerre froide, le vice-président Hatta prononce devant le Komite Nasional Indonesia Pusat, « Comité national central de l’Indonésie » — une instance qui joue le rôle de Parlement dans une Indonésie qui, encore en conflit avec l’ancienne puissance coloniale, ne peut pas encore organiser d’élections — un discours intitulé « Mendayung antara dua karang » (« Ramer entre deux récifs ») (21). Hatta prône une politique étrangère bebas dan aktif, (« libre et active »). Reconnue par la communauté internationale en décembre 1949, l’Indonésie établit des relations diplomatiques avec la Chine, dont le Parti communiste vient de prendre le pouvoir.
En 1955, l’Indonésie accueille la conférence de Bandung, une ville située à 150 kilomètres au sud-est de Jakarta, à laquelle participent 29 pays d’Afrique et d’Asie. Ces pays n’étaient pas tous non-alignés, certains étant militairement alliés aux États-Unis, d’autres dirigés par des partis communistes, étant alignés sur l’Union soviétique.
Quand le président Soekarno se rend aux États-Unis en 1956, c’est avec l’aura d’un « neutraliste » (22). L’Indonésie est un des cinq membres fondateurs du Mouvement des non-alignés en 1961, avec l’Égypte, le Ghana, l’Inde et la Yougoslavie. Mais Soekarno se rapproche progressivement de la Chine. Selon les sources, quelque part entre 1963 (Britannica) et 1965 (Sciences Po), il déclare à l’adresse des États-Unis « Go to hell with your aid » (« Allez au diable avec vos aides ») et rompt avec ces derniers.
Soeharto prend le contrepied de la politique de Soekarno. Nous avons vu qu’il rompait les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Il renoue avec les États-Unis. Nous avons vu que ce n’est qu’en 1990 qu’il rétablit les relations diplomatiques avec la Chine. Soeharto démissionne en 1998. Son vice-président, Bacharuddin Jusuf Habibie, devient automatiquement président. Il organise en 1999 les premières élections libres d’Indonésie depuis 1955. Il organise également un référendum au Timor oriental, une ancienne colonie portugaise que Soeharto avait annexée en 1975. Près de 80 % des habitants du territoire votent pour l’indépendance. Des violences éclatent aussitôt, commises par des milices pro-indonésiennes, sans que l’armée indonésienne intervienne. En rétorsion, les États-Unis et l’Union européenne suspendent toute coopération militaire avec l’Indonésie.
L’embargo est finalement levé en 2005. L’administration Bush considère en effet qu’isoler l’Indonésie, qui possède la plus grande population musulmane du monde, n’est pas dans l’intérêt des États-Unis, qui mènent une guerre contre les groupes terroristes islamistes (23). En outre, ils s’inquiètent d’une amélioration des relations entre la Chine et l’Indonésie (24).
En 2007, l’Indonésie et les États-Unis lancent un exercice militaire conjoint baptisé « Garuda Shield », d’après l’oiseau de la mythologie indienne que l’Indonésie a adopté comme emblème national. L’exercice, d’une durée de deux semaines, se déroule en Indonésie. Il devient annuel. En 2022, il prend une tout autre dimension, avec un plus grand nombre de soldats indonésiens et américains, la participation de troupes de trois nouveaux pays — l’Australie, le Japon et Singapour — et des observateurs détachés par neuf autres pays, dont la France, raison pour laquelle l’exercice est nommé cette fois-ci « Super Garuda Shield ». En outre, pour la première fois cette année-là, en plus des sites habituels, l’exercice s’est tenu dans des iles de la province indonésienne des Iles Riau, situées en MCM.
Le « Super Garuda Shield » de 2023 réunit, en plus des pays de 2022, des participants de France et du Royaume-Uni, ainsi que des observateurs de 12 pays. En 2024 se sont joints des participants du Canada, de la Corée du Sud, de la Nouvelle-Zélande, de la Thaïlande et du Royaume-Uni, tandis que neuf pays envoient des observateurs. Nombre de pays participants et observateurs de l’exercice 2024 étaient des alliés des États-Unis. Quelques-uns étaient non-alignés, notamment l’Inde. L’Indonésie avait néanmoins tenu à préciser que l’exercice ne visait pas de pays particulier et a rappelé qu’elle était non-alignée en matière de sécurité régionale (25).
Il est en tout cas fondamental pour l’Indonésie de se tenir à distance égale des différentes puissances. Plutôt que des partenariats bilatéraux, elle cherche des coopérations multilatérales avec des partenaires internationaux de poids. Le pays a mis sur pied sa propre diplomatie de défense correspondant à ses intérêts stratégiques. C’est ainsi qu’en 2014, l’Indonésie a organisé son premier « Multilateral Naval Exercise Komodo » (MNEK), exercice qui se tient tous les deux ans. Il n’a pas eu lieu en 2020 ni en 2022 en raison de la pandémie. En 2023, l’exercice a vu la participation de 36 pays, dont la Chine, les États-Unis et le Japon, malgré un contexte de tension, l’Indonésie insistant sur le fait que le MNEK est un exercice « non-militaire » qui vise à « renforcer les relations entre les marines » des participants (26).
En guise de conclusion
La vision purement technologique et économiste de Jokowi l’a poussé à faire appel aux financements que fournit la BRI chinoise, ce qui menace de rendre l’Indonésie dépendante de la Chine. Or, celle-ci, qui revendique comme sienne la MCM, est une menace pour les pays riverains de cette dernière, y compris l’Indonésie.
En 2021, Derek Grossman susmentionné écrivait que les relations de l’Indonésie avec la Chine dépendraient de celles avec les États-Unis (27). Or, d’après Felix K. Chang du Foreign Policy Research Institute, un think tank américain, il y a des faits qui suggèrent que le président Prabowo pourrait être moins favorable aux Occidentaux que Jokowi. Néanmoins, Prabowo, qui a été le ministre de la Défense de Jokowi, poursuivra probablement les mesures de sécurité en MCM. Cela risque de rendre inévitables des face-à-face avec des navires chinois, qui pourraient créer des incidents obligeant Prabowo à choisir entre les intérêts maritimes de l’Indonésie et les liens économiques de celle-ci avec la Chine (28).
Des frictions militaires avec la Chine ne manqueraient pas de provoquer des protestations nationalistes dans l’opinion indonésienne. Celle-ci est par ailleurs consciente que les liens économiques privilégiés avec la Chine sont motivés par les intérêts de certains groupes dans les mines, notamment de nickel, plus que par celui des populations, qui tendent à être bafoués par ces intérêts privés (29). Les manifestations parfois violentes des étudiants pendant le mois d’aout 2024 pour protester contre un projet de loi qui prétendait annuler une décision de la Cour constitutionnelle ont fait reculer le Parlement, montrant la capacité de la société civile à se mobiliser contre les abus de pouvoir.
Par ailleurs, face à la menace chinoise en MCM, l’Indonésie peut compter sur une convergence de ses intérêts avec ceux des États-Unis, qui reposent notamment sur la liberté de navigation. Mais elle doit alors éviter de paraitre trop liée à la Chine sur le plan économique.
Pour reprendre les termes de Menghu Xia de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, les projets d’infrastructures indonésiens auront des implications géopolitiques et économiques qui feront des relations entre l’Indonésie et la Chine un cadre d’action complexe pour Prabowo (30).
Notes
(1) Daniel Peterson, « Expect the expected with Prabowo’s incoming China policy », East Asia Forum, 11 juillet 2024.
(2) Tempo, « Indonesia-China Relations Will Get Stronger Under the Next Govt, Minister Says », 21 avril 2024.
(3) Taomo Zhou, « China and the Thirtieth of September Movement », Cornell University Press, Indonesia, n°98, octobre 2014, p. 29-58.
(4) Rizal Sukma, « Indonesia’s Response to the Rise of China: Growing Comfort amid Uncertainties », dans Jun Tsunekawa (éd.), The Rise of China – Responses from Southeast Asia and Japan, National Institute for Defense Studies, 2009.
(5) Anthony L. Smith, « From Latent Threat to Possible Partner: Indonesia’s China Debate », Asia’s China Debate, Asia-Pacific Center for Security Studies, décembre 2003.
(6) CIA.gov, « The World Factbook : Country Factsheet : Indonesia », dernière mise à jour le 3 octobre 2024.
(7) Arnoldus Kristianus, « Heavy Reliance on Exports to China Could Hurt Indonesia’s Trade: Analyst », Jakarta Globe, 23 juillet 2024.
(8) Wilmar Salim, Siwage Dharma Negara, « Infrastructure Development under the Jokowi Administration: Progress, Challenges and Policies », Journal of Southeast Asian Economies, vol. 35, n°3, décembre 2018, p. 386-401.
(9) Ibid.
(10) Menghu Xia, « How a Chinese railway helped Jokowi cement his infrastructure legacy », East Asia Forum, 8 décembre 2023.
(11) Ahmad Syarif, « Belt and Road Initiative’s new approach and what it means for Chinese investments in Indonesia », The Conversation, 9 décembre 2023.
(12) Emma Connors, « Presumed president Prabowo to plough ahead on nickel », Financial Review, 15 février 2024.
(13) Council on Foreign Relations, « 1895-2024 : China’s Maritime Disputes », 2024.
(14) Evan A. Laksmana, « The underwhelming defence ties between Indonesia and China », International Institute for Strategic Studies, 3 mai 2024.
(15) Leo Suryadinata, « Did the Natuna Incident Shake Indonesia-China Relations? », ISEAS-Yusof Ishak Institute, Perspective, n°19, 26 avril 2016.
(16) Marguerite Afra Sapiie, « Govt insists Jakarta-Beijing relations normal despite Natuna incident », The Jakarta Post, 31 mai 2016.
(17) Stanley Widianto, « Chinese naval ships join retrieval efforts for Indonesian submarine », Reuters, 6 mai 2021.
(18) Derek Grossman, « Indonesia Is Quietly Warming Up to China », RAND, 7 juin 2021.
(19) Laura Zhou, « China, Indonesia hold joint naval exercises near Jakarta », South China Morning Post, 9 mai 2021.
(20) Ibid.
(21) Mohammad Hatta, Mendayung antara dua karang, ministère de l’Information de la République d’Indonésie.
(22) Robert Alden, « “Bung Karno” Pays Us a Visit; Indonesia’s President Sukarno, making his first trip here, is a neutralist whose popularity is an important fact in Asian affairs. », The New York Times, 13 mai 1956.
(23) NBC News, « U.S. lifts arms embargo against Indonesia », 23 novembre 2005.
(24) Ibid.
(25) Gusty da Costa, « Indonesia to hold Super Garuda Shield joint military exercise next month », Indonesia Business Post, 4 juillet 2024.
(26) Reuters, « Indonesia kicks off multilateral naval exercise amid Asia-Pacific tension », 5 juin 2023.
(27) Derek Grossman, op. cit.
(28) Felix K. Chang, « Indonesia’s New Military Bases in the South China Sea: Preparing for Friction », Foreign Policy Research Institute, 11 juillet 2024.
(29) Voir notamment : Anda Djoehana Wiradikarta, « L’Indonésie, le nickel et la Chine » Asialyst, 14 février 2024.
(30) Menghu Xia, op. cit.
Anda Djoehana Wiradikarta