Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 5 mai 2025

En Afrique, les services secrets français sont-ils aveugles ?

 

Après la multiplication des coups d'État sur le continent africain, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et l'avènement de régimes hostiles à la France, les services secrets français sont-ils désormais aveugles ? C'est l'une des questions posées par un rapport officiel d'une centaine de pages que Le Point a consulté en avant-première, avant sa publication.

Produit chaque année par la délégation parlementaire au renseignement, qui rassemble huit sénateurs et députés habilités secret-défense, ce document ressemble à une sorte d'audit des services secrets. Même si de nombreux passages sont classifiés et volontairement caviardés, le contenu de ce document est riche. Il donne plusieurs recommandations (pour la plupart classées secret-défense, qui ne peuvent donc pas être diffusées par les parlementaires).

Il se concentre cette année sur plusieurs grands thèmes : la guerre cyber, le bilan sécuritaire des JO, l'utilisation des fonds secrets. Il fait aussi un zoom particulier sur le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais une des parties du rapport parlementaire évoque aussi la situation de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) ou de la DRM (Direction du renseignement militaire en Afrique).

Trois exemples concrets

Si les parlementaires ne reviennent pas sur l'incarcération de quatre agents de la DGSE au Burkina Faso et leur libération en janvier, ils ont tenté de comprendre comment la France avait pu passer à côté de plusieurs coups d'État. Ils expriment leurs « préoccupations sur l'occurrence répétée de renversements de régimes non anticipés ».

La délégation dévoile quelques éléments précis pour nuancer ou appuyer son propos. Ainsi, au Mali, le 24 mai 2021, lorsque le colonel Assimi Goïta, vice-président, renverse le président de transition Bah N'Daw, « la DGSE dispose de renseignements sur l'intention putschiste en amont des événements » (le détail de ces renseignements figure dans le rapport mais a été classifié et ne peut donc pas être dévoilé).

Au Burkina Faso, en septembre 2022, en revanche, les services français confessent avoir été dépassés lorsque le capitaine Ibrahim Traoré a évincé le président Paul-Henri Sandaogo Damiba après plusieurs jours de pourparlers. « De l'aveu des services, la spontanéité des événements, au-delà d'un climat pré-insurrectionnel permanent, et le niveau de plus en plus bas des protagonistes dans la hiérarchie font qu'il faudrait descendre de plus en plus bas dans le système pour recueillir du renseignement. »

« Le capitaine Traoré, on ne l'a pas détecté », confie ainsi le responsable d'un des services de renseignement aux parlementaires, qui notent aussi qu'au Niger, en juillet 2023, lorsque le général Tiani, commandant la garde présidentielle, chasse le président Bazoum, les services français n'ont encore une fois rien vu venir. À leur décharge, note encore le rapport parlementaire, les protagonistes n'avaient eux-mêmes aucune intention putschiste en pénétrant dans les locaux présidentiels.

« Faille dans le renseignement humain »

Verdict des parlementaires : « Les enseignements de ces trois années d'instabilité politique au Sahel qui ont conduit à des régimes défavorables à la France, tout comme le contexte de désinformation et d'ingérences étrangères hostiles à la France, montrent que le travail d'anticipation est un exercice ni facile ni anodin. En effet, quand bien même un renseignement permettrait de prévenir un événement, la question du respect de la souveraineté d'un État auquel la France est liée par un accord reste intangible. La délégation a, en effet, entendu ce dilemme qui finalement, l'exemple nigérien étant typique, relève de la souveraineté de l'État en question. »

« Cependant, poursuit le rapport, après un large débat, la délégation a tenu à exprimer sa préoccupation sur l'occurrence répétée de renversements de régimes non anticipés, révélant une faille dans le renseignement humain sur le commandement intermédiaire et subalterne des forces armées partenaires. Le constat d'échec – pour les cas avérés susmentionnés – appelle, selon la délégation, les services à une remise en question sur la détection des signaux faibles. Le retrait des forces françaises de l'ensemble de la zone sahélienne entraîne de facto une nécessaire réarticulation des services de renseignement, notamment de la DGSE, de la DRM et de la DRSD. »

Romain Gubert

lepoint.fr