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mardi 13 mai 2025

Donald Trump : le meilleur ami d’Israël ?

 

Alors que la relation était difficile entre Joe Biden et Benyamin Netanyahou, dans quelle mesure le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche influence-t-il les relations entre les États-Unis et Israël ?

D’un point de vue personnel, il est certain que la relation entre l’actuel président américain et le Premier ministre israélien est bien meilleure que celle entre ce dernier et l’ancien président démocrate des États-Unis (1). Netanyahou souhaitait explicitement le retour de Trump à la Maison-Blanche (2). Mais si les relations personnelles ont grandement évolué depuis le début du second mandat de Trump, les relations entre les États-Unis et Israël n’évoluent pas significativement. Même si Joe Biden n’appréciait guère Netanyahou, il n’a jamais été jusqu’à remettre en cause le soutien indéfectible de sa propre administration au gouvernement israélien, en particulier après l’attaque du 7 octobre 2023.

Le 5 février dernier, le président Trump annonçait lors d’une conférence de presse commune avec Netanyahou, et visiblement à la surprise de ce dernier, qu’il voulait « prendre le contrôle » de Gaza (3). Comment expliquer cette déclaration ?

Il s’agit là de la principale illustration du changement de stratégie entre l’administration Trump et l’administration Biden. Ce dernier n’aurait en effet jamais osé aller jusqu’à proposer de prendre lze contrôle de la bande de Gaza, même si tout le monde sait que Gaza devra passer par un processus de reconstruction ambitieux et complexe à mettre en place, pour assurer la sécurité à long terme d’Israël et de la population palestinienne. La proposition de Donald Trump pousse la logique à son maximum. Il assume pleinement l’idée qu’il faut une intervention extérieure de très grande envergure pour reconstruire Gaza.

Par ailleurs, il faut aussi comprendre qu’en proposant cela, Donald Trump a « l’honnêteté » d’enterrer la solution à deux États. Si cela demeure l’horizon indépassable du conflit, cela fait une dizaine d’années que l’on sait que ça ne pourra pas se faire. Du côté palestinien, il n’y a pas les personnes pour le mettre en œuvre, et côté israélien, il y a des personnes qui ne veulent surtout pas d’un État palestinien. Lors de cette conférence de presse, Donald Trump reconnait, en proposant de prendre le contrôle de Gaza, que la solution à deux États relève de la chimère.

En parallèle, s’il n’y a pour le moment aucun plan concret pour avancer vers cette proposition, cela demeure néanmoins un signe clair envoyé à Israël qu’il n’y a pas d’efforts à fournir pour mettre en place les conditions préalables à l’établissement d’une solution à deux États. Israël est donc libre de continuer à procéder comme il l’entend, à Gaza ou en Cisjordanie.


Qu’en ont pensé les autorités israéliennes ?

Si Benyamin Netanyahou a semblé surpris en entendant cette annonce, il ne l’a pas non plus contredit, précisant même à son retour de Washington que « le président Trump est venu avec une vision complétement différente et bien meilleure pour Israël, une approche révolutionnaire et créative » (4). Par ailleurs, en Israël, si l’extrême droite israélienne fut très heureuse de cette annonce, il y a aussi une passivité de la société civile qui fait que l’on acte la disparition de la solution à deux États.

Netanyahou a déclaré que Donald Trump « est le meilleur ami qu’Israël ait jamais eu à la Maison-Blanche », après que Washington eut décidé d’envoyer une aide militaire d’environ 4 milliards de dollars à Israël. Que représente concrètement l’aide militaire américaine pour Israël ? Est-elle indispensable à la poursuite de ses opérations militaires ?

Il faut d’abord rappeler que Joe Biden était présenté comme le président le plus pro-israélien de toute l’histoire des États-Unis (5). Les Israéliens doivent donc se réjouir de connaitre les deux administrations les plus pro-israéliennes de l’histoire.

Pour un pays comme Israël, le montant de l’aide militaire fournie par les Américains n’est pas si significatif. D’autant plus qu’avant le 7 octobre 2023, des sénateurs républicains remettaient en question cette aide militaire, mais les évènements ont fait que cette réflexion n’était plus à l’ordre du jour.

Israël reste le premier bénéficiaire de l’aide militaire américaine — sauf cas particulier de l’Ukraine. Cette aide permet deux choses. D’une part une aide et un approvisionnement régulier en munitions et en outils militaires dont Israël semble encore assez largement dépendant. L’industrie militaire israélienne travaille d’ailleurs beaucoup avec son homologue américaine pour développer et améliorer ses armements. D’autre part, cette aide montre que, quoi que fasse Israël, les États-Unis demeurent un partenaire indéfectible de l’État hébreu.

Est-ce que les États-Unis suivraient Netanyahou dans une opération contre l’Iran (6), que Donald Trump ne porte pas spécialement dans son cœur, comme l’a montré son premier mandat ?

Il s’agit là du grand point d’interrogation sur lequel le Premier ministre israélien aimerait probablement avoir une réponse. La dernière opération israélienne en Iran, le 26 octobre 2024, lors de laquelle l’aviation israélienne aurait détruit une grande partie des défenses aériennes iraniennes, laisse présager que les conditions seraient réunies pour « finir le travail ». Si Joe Biden ne souhaitait clairement pas être embarqué dans un conflit avec l’Iran, en raison du risque de déstabilisation régionale, il n’avait néanmoins peut-être pas la capacité de totalement dissuader Netanyahou de se lancer dans une telle opération. En revanche, lorsque Donald Trump a rencontré le Premier ministre israélien à la Maison-Blanche, il lui a donné carte blanche concernant Gaza mais aurait déclaré qu’il ne voulait pas d’une solution militaire en Iran, même si le pays semble fortement affaibli. Trump ne veut pas la guerre, notamment au Moyen-Orient, et ne souhaite pas se retrouver engagé dans un conflit qui pourrait éventuellement dégénérer. Par ailleurs, le président américain semble convaincu de pouvoir négocier un accord avec les Iraniens. C’est pour cela qu’il a mis en place de nouvelles sanctions contre Téhéran, dans l’espoir de forcer le régime à venir à la table de négociation (7).

L’équation dépendra aussi des Iraniens et de la façon dont ils percevront la situation. Vont-ils accepter cette pression américaine pour négocier et éviter une opération militaire (8) ? Ou vont-ils se dire que leur seule garantie de survie est de développer l’arme nucléaire (9), au risque de précipiter une guerre ?

Justement, que se passerait-il dans le cas où Téhéran déciderait de franchir le cap et d’obtenir l’arme nucléaire ?

Cela donnerait l’argument clef à Israël pour intervenir et convaincre Donald Trump de les rejoindre dans une opération militaire, car un Iran nucléarisé serait inacceptable pour eux.

Lors de son premier mandat, Donald Trump a été à l’initiative des accords d’Abraham, dont le but était d’assurer une normalisation des rapports diplomatiques entre Israël et les États arabes. Doit-on s’attendre à une poursuite de ses efforts pour étendre les accords, notamment avec l’Arabie saoudite ?

Même après le départ de Donald Trump, à l’issue de son premier mandat, les efforts pour étendre les accords d’Abraham n’avaient pas été ralentis. L’administration de Joe Biden avait encouragé la poursuite des négociations entre Riyad et Tel Aviv. Le principal problème était que l’attaque du 7 octobre 2023, et la guerre à Gaza qui a suivi, ont mis en suspens un tel rapprochement, qui ne pouvait pas être acté de la part des Saoudiens ni des Israéliens. Au regard des bonnes relations existantes entre Donald Trump et Mohammed ben Salmane d’une part, et avec Benyamin Netanyahou d’autre part, il est concevable de voir le président américain appuyer, voire encourager, les deux pays à reprendre les négociations, puis à annoncer, probablement à la Maison-Blanche, la conclusion d’un accord entre eux. Avant d’envisager cela, il faudra néanmoins attendre de régler les répercussions du 7-Octobre. Par ailleurs, le projet de « Gaza-Riviera » empêche les Saoudiens d’appuyer le projet américain, qui préconise un déplacement des Palestiniens. Ce projet peut donc retarder la perspective d’un accord entre Israël et le royaume saoudien. Jamais Riyad ne pourrait signer un accord avec un Donald Trump qui annonce qu’il souhaite annexer Gaza (10).

Lors de son retour à la Maison-Blanche, en janvier dernier, Donald Trump a levé les sanctions mises en place par Joe Biden contre les colons israéliens (11). Quelle est la position du nouveau président américain vis-à-vis des colonies israéliennes ?

Donald Trump doit adhérer totalement à la logique de la colonisation, illustrant à quel point le nouveau président américain marque une rupture avec l’hypocrisie de ses précesseurs. En effet, depuis les accords d’Oslo en 1993, ces derniers ont toujours été réticents à prendre des mesures réellement efficaces pour freiner le processus de colonisation. Depuis les années 1990, la colonisation s’est donc poursuivie au point de constituer aujourd’hui un obstacle très concret à la possibilité d’imaginer une solution à deux États. L’ampleur de la colonisation en Cisjordanie ne permet pas d’imaginer l’embryon d’un État viable palestinien. Une fois encore, cela ne fait qu’enterrer encore plus concrètement la fiction de l’État palestinien.

Notes

(1) Alors qu’en mars 2024, Joe Biden jugeait que Netanyahou faisait « plus de mal que de bien à Israël » par sa conduite de la guerre à Gaza, il insinuait quelques mois plus tard, dans un entretien au magazine Time que le Premier ministre israélien prolongeait le conflit à Gaza pour sa propre survie politique, puis estimait en septembre que Netanyahou « n’en [faisait] pas assez » pour libérer les otages.

(2) À l’approche de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024, Donald Trump se vantait de ses conversations quasi quotidiennes avec Benyamin Netanyahou, assurant avoir une « très bonne relation »avec le dirigeant israélien. De son côté, le Premier ministre israélien a déclaré attendre impatiemment le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, dont les positions sont plus alignées avec celles de la droite israélienne (https://​www​.lepoint​.fr/​m​o​n​d​e​/​n​e​t​a​n​y​a​h​o​u​-​a​t​t​e​n​d​-​a​v​e​c​-​i​m​p​a​t​i​e​n​c​e​-​l​e​-​r​e​t​o​u​r​-​d​e​-​t​r​u​m​p​-​0​4​-​1​1​-​2​0​2​4​-​2​5​7​4​3​3​6​_​2​4​.​php).

(3) https://​www​.lapresse​.ca/​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​/​m​o​y​e​n​-​o​r​i​e​n​t​/​2​0​2​5​-​0​2​-​0​4​/​v​i​s​i​t​e​-​d​e​-​n​e​t​a​n​y​a​h​o​u​-​a​-​w​a​s​h​i​n​g​t​o​n​/​n​o​u​s​-​p​r​e​n​d​r​o​n​s​-​p​o​s​s​e​s​s​i​o​n​-​d​e​-​g​a​z​a​-​d​i​t​-​d​o​n​a​l​d​-​t​r​u​m​p​.​php

(4) https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250209-netanyahu-applaudit-le-plan-r%C3%A9volutionnaire-de-trump-pour-gaza

(5) https://​www​.lemonde​.fr/​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​/​a​r​t​i​c​l​e​/​2​0​2​4​/​0​2​/​0​3​/​j​o​e​-​b​i​d​e​n​-​p​o​u​r​r​a​i​t​-​e​t​r​e​-​l​e​-​d​e​r​n​i​e​r​-​p​r​e​s​i​d​e​n​t​-​p​r​o​-​i​s​r​a​e​l​i​e​n​-​i​s​s​u​-​d​u​-​p​a​r​t​i​-​d​e​m​o​c​r​a​t​e​_​6​2​1​4​5​9​7​_​3​2​1​0​.​h​tml

(6) https://​www​.lorientlejour​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​1​4​4​8​0​3​5​/​i​s​r​a​e​l​-​f​i​n​i​r​a​-​l​e​-​t​r​a​v​a​i​l​-​p​o​u​r​-​c​o​n​t​r​e​r​-​l​a​-​m​e​n​a​c​e​-​d​e​-​l​i​r​a​n​-​a​v​e​c​-​l​e​-​s​o​u​t​i​e​n​-​d​e​s​-​e​t​a​t​s​-​u​n​i​s​-​d​i​t​-​n​e​t​a​n​y​a​h​u​.​h​tml

(7) https://​www​.whitehouse​.gov/​f​a​c​t​-​s​h​e​e​t​s​/​2​0​2​5​/​0​2​/​f​a​c​t​-​s​h​e​e​t​-​p​r​e​s​i​d​e​n​t​-​d​o​n​a​l​d​-​j​-​t​r​u​m​p​-​r​e​s​t​o​r​e​s​-​m​a​x​i​m​u​m​-​p​r​e​s​s​u​r​e​-​o​n​-​i​r​an/

(8) Le 24 mars 2025, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, indiquait que son pays était ouvert à des négociations « indirectes » avec les États-Unis, après un ultimatum lancé par le président Donald Trump, mais rejetait des négociations directes avec les États-Unis « tant que l’approche de l’autre partie à l’égard de la République islamique n’aura pas changé ». Il a en parallèle ajouté que Téhéran reste engagé dans le dialogue avec les pays intéressés, notamment les trois États européens signataires de l’accord nucléaire de 2015 (JCPoA), pour assurer la transparence de son « programme nucléaire pacifique ».

(9) https://​www​.radiofrance​.fr/​f​r​a​n​c​e​i​n​t​e​r​/​p​o​d​c​a​s​t​s​/​l​e​-​m​o​n​d​e​-​a​-​1​8​h​5​0​/​l​e​-​m​o​n​d​e​-​a​-​1​8​h​5​0​-​d​u​-​l​u​n​d​i​-​2​4​-​m​a​r​s​-​2​0​2​5​-​2​6​0​5​896

(10) L’Arabie saoudite réaffirme « son rejet catégorique de toute atteinte aux droits du peuple palestinien, que ce soit par la colonisation, l’annexion des territoires palestiniens ou le déplacement forcé » (https://​www​.lorientlejour​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​1​4​4​6​5​2​6​/​l​a​r​a​b​i​e​-​s​a​o​u​d​i​t​e​-​d​i​t​-​e​c​a​r​t​e​r​-​t​o​u​t​e​-​n​o​r​m​a​l​i​s​a​t​i​o​n​-​a​v​e​c​-​i​s​r​a​e​l​-​s​a​n​s​-​c​r​e​a​t​i​o​n​-​d​u​n​-​e​t​a​t​-​p​a​l​e​s​t​i​n​i​e​n​.​h​tml).

(11) https://​www​.francetvinfo​.fr/​m​o​n​d​e​/​u​s​a​/​p​r​e​s​i​d​e​n​t​i​e​l​l​e​/​d​o​n​a​l​d​-​t​r​u​m​p​/​d​o​n​a​l​d​-​t​r​u​m​p​-​l​e​v​e​-​d​e​s​-​s​a​n​c​t​i​o​n​s​-​a​-​l​-​e​g​a​r​d​-​d​e​-​c​o​l​o​n​s​-​i​s​r​a​e​l​i​e​n​s​-​d​e​-​c​i​s​j​o​r​d​a​n​i​e​-​l​-​a​u​t​o​r​i​t​e​-​p​a​l​e​s​t​i​n​i​e​n​n​e​-​s​-​i​n​s​u​r​g​e​_​7​0​2​7​7​3​9​.​h​tml

Thomas Delage 

Julien Tourreille

areion24.news