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mercredi 9 avril 2025

Tous contre Trump, et avec Xi?

 

Pour la Russie, Washington se croit au-dessus «des règles»

La Russie a dénoncé mercredi la décision du président américain Donald Trump d'imposer de lourds droits de douane à de nombreux pays, notamment la Chine, une attitude qui «montre» que Washington se croit hors des «règles» du droit économique international.

«La dernière décision douanière de la Maison Blanche (...) viole les règles fondamentales de l'OMC, et montre que Washington ne se considère pas lié par les normes du droit commercial international», a dénoncé la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, lors de son briefing hebdomadaire. La guerre douanière entre Washington et Pékin «est d'autant plus inquiétante qu'elle concerne les deux principales économies mondiales», a-t-elle ajouté.

Trump triple les droits de douane sur les petits colis chinois

Le président américain Donald Trump a signé mardi un décret multipliant par trois les droits de douane sur les petits colis envoyés de Chine, un moteur de croissance des géants du commerce électronique comme Shein ou Temu, les faisant passer de 30 à 90%.

Dans le cadre du relèvement très fort de 84% des droits de douane imposés aux marchandises chinoises mardi, le président américain a aussi relevé ces droits de douans sur les petits colis qui doivent s'appliquer à partir du 2 mai, selon le décret publié mardi.

De 30 à 90%

Donald Trump avait signé le 2 avril un décret annulant l'exemption de droits de douane dont bénéficiaient ces colis d'une valeur maximale de 800 dollars, pour les taxer à 30% du montant déclaré, ou 25 dollars au minimum. Les Etats-Unis augmenteront le taux de 30 à 90% et le plancher de 25 à 75 dollars.

Le président avait annoncé une première fois, début février, le rétablissement de droits de douane pour ces petits envois, avant de suspendre sa décision pour laisser le temps au gouvernement et à ses agences de se préparer.

L'exemption s'inscrivait dans le cadre d'une loi adoptée par le Congrès américain en 1930, le US Tariff Act. Elle est appelée «de minimis», en référence à l'adage latin «de minimis non curat praetor» (le magistrat ne se préoccupe pas de choses mineures).

La Chine riposte une nouvelle fois et augmente ses surtaxes contre les Etats-Unis

La Chine a annoncé mercredi qu'elle allait porter ses surtaxes de rétorsion contre les produits américains à 84%, et non pas à 34% comme initialement prévu, une nouvelle escalade dans la guerre commerciale entre Pékin et Washington.

«Le taux de droits de douane supplémentaires» sera «relevé de 34% à 84%» à compter de ce jeudi à 12h01 heure chinoise (04h01 GMT), a indiqué le ministère chinois du Commerce dans un communiqué. Pékin n'a donc pas tardé à répliquer du tac-au-tac à la dernière salve de surtaxes douanières mises en place plus tôt dans la journée par Donald Trump.

La Chine s’attaque à l’un des points faibles des Etats-Unis: les terres rares

Le 10 avril prochain, la Chine appliquera une taxe de 34 % sur l’ensemble des produits américains importés sur son territoire. Cette mesure répond directement aux droits de douane décidés par Washington et plus spécifiquement par l’actuel président des États-Unis, Donald Trump, qui a décidé d’en faire son cheval de bataille. La date n’a pas été choisie au hasard, puisque la décision américaine sera, quant à elle, appliquée le 9 avril prochain.

En outre, la riposte chinoise ne se limite pas à ces nouveaux tarifs douaniers. Pékin a décidé de suspendre les licences d’importation des produits de six entreprises américaines et de renforcer le contrôle des exportations de certaines terres rares. Ce n’est pas la première fois que l’administration de Xi Jinping utilise les restrictions d’exportation de ces matières premières comme moyen de pression sur les États-Unis et leurs alliés. Il s’agit là d’un outil de pression géopolitique.

En effet, le 21 décembre 2023, la Chine avait déjà limité l’exportation de certaines technologies de traitement des terres rares pour protéger ses intérêts stratégiques en pleine confrontation avec les États-Unis et leurs alliés. Début décembre 2024, elle avait également interdit l’exportation de minéraux critiques vers les États-Unis, notamment trois éléments chimiques essentiels à l’industrie des semi-conducteurs (gallium, germanium et antimoine) ainsi que certains matériaux d’une dureté extrême utilisés à des fins militaires. Officiellement, cette réglementation vise à « préserver la sécurité nationale », mais personne n’est dupe.

Une ressource essentielle… et un quasi-monopole

Les terres rares sont un groupe de 17 éléments utilisés dans la fabrication d’un grand nombre de technologies : smartphones, batteries, éoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques, satellites, missiles, et même puces électroniques. Sans ces matériaux, une grande partie de notre économie moderne serait paralysée.

Et sur ce terrain, la Chine est en position de force : elle assure environ 90 % de la production mondiale. En d’autres termes, si la Chine ne possède pas toutes les réserves mondiales, elle contrôle une bonne partie de leur extraction et surtout de leur traitement industriel. Ce monopole lui confère un levier considérable face à des pays occidentaux encore très dépendants de ses exportations.

Une manœuvre à double tranchant

Si cette mesure renforce la position de la Chine dans la guerre commerciale, elle n’est pas sans risques. En 2010, le recours aux restrictions sur les terres rares avait provoqué un sursaut stratégique de la part de plusieurs pays, qui ont alors commencé à chercher d’autres fournisseurs et à développer des alternatives. Ce genre de réaction pourrait se reproduire à long terme, avec un impact sur la domination chinoise dans ce secteur.

À court terme toutefois, les États-Unis et leurs alliés disposent de peu de marge de manœuvre. Les chaînes de production restent très dépendantes du raffinage chinois, et la mise en place d’infrastructures locales est lente et coûteuse. Même en cas de diversification, Pékin resterait une pièce centrale du puzzle pendant encore plusieurs années.

Cette nouvelle escalade confirme une chose : le conflit entre la Chine et les États-Unis dépasse largement le simple cadre commercial. Il s’agit désormais d’un affrontement stratégique, où chaque décision vise à affaiblir les positions de l’autre dans la course à la domination technologique.

Et dans cette guerre invisible, les terres rares apparaissent comme l’un des nerfs les plus sensibles. Un point faible reconnu de longue date par les États-Unis… et que Pékin semble bien décidé à exploiter. Une nouvelle guerre froide, placée sous le signe des terres rares, en somme.

Tous les pays émergents d'Asie sont sur la même longueur d'onde: mieux vaut donc se ranger derrière la Chine

Certains, comme le Premier ministre vietnamien, se sont rués vers leur téléphone pour joindre Donald Trump, dès le lendemain de ses annonces douanières. D’autres, à savoir la plupart des dirigeants des pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), préparent l’envoi de négociateurs à Washington. Tous partagent en revanche une conviction: Donald Trump a trahi leurs économies émergentes, que les Etats-Unis considéraient jusque-là comme une alternative à «l’atelier du monde» chinois.

La grande guerre commerciale asiatique est déclarée. Et rien ne prouve que Washington va la remporter. «La Chine sort renforcée à tous points de vue», titrait ce mardi 8 avril le quotidien thaïlandais «Bangkok Post». «Elle résiste. Elle incarne le refus de l’Asie de se soumettre.»

Escalade avec Pékin

L’avenir dira, bien sûr, jusqu’où va l’escalade tarifaire entre Washington et Pékin. Donald Trump parle maintenant d’imposer aux Chinois 50% de tarifs douaniers supplémentaires, s’ils osent taxer à 34% les produits américains importés, en riposte aux annonces de la Maison Blanche. Mais dans cette Asie du Sud-Est où la décolonisation s’est, presque partout, accompagnée de guerres et de bains de sang, la nouvelle Amérique économique fait peur et n’inspire pas confiance.

Deux pays incarnent plus que les autres cette colère: le Cambodge et le Vietnam. Tous deux ont été détruits par l’armée américaine durant deux décennies de guerre civile, entre 1955 et 1975. Et tous deux se sont retrouvés en tête de la liste de Trump le 2 avril. 49% de tarifs douaniers pour le Cambodge, 46% pour le Vietnam!

Souvenirs des guerres

Aussitôt, les souvenirs de la guerre américaine sont remontés à la surface. Quand les bombardiers B-52 anéantissaient les populations rurales cambodgiennes, les poussant dans les bras des guérilleros communistes Khmers rouges. Quand l’emploi généralisé du Napalm par l’US Air Force défigurait les campagnes vietnamiennes. Ironie du calendrier: ces deux pays s’apprêtent, ces jours-ci, à commémorer le cinquantième anniversaire de la fin des hostilités. Le 17 avril 1975, Phnom Penh tombait aux mains des Khmers rouges de Pol Pot, qui plongèrent ce pays tranquille dans un génocide. Le 30 avril 1975, les derniers hélicoptères quittaient le toit de l’ambassade des Etats-Unis à Saïgon. Des images assurées de ressortir, alors que le conflit tarifaire bat son plein.

Et que dire des pays de la région qui, eux, croyaient être les alliés durables des Etats-Unis? La Thaïlande, bastion américain durant la guerre du Vietnam et bien au-delà? 37% de droits de douane. L’Indonésie, où les Etats-Unis soutinrent longtemps la dictature du général Suharto et où l’un des gendres de ce dernier, Prabowo Subianto, est aujourd’hui au pouvoir? 32%. Deux pays de la région seulement échappent à cette guillotine des tarifs: les Philippines, où la marine américaine est en train de reprendre le contrôle de son ex-base navale de Subic Bay (18%), et le centre financier régional de Singapour (10%), plaque tournante offshore des banques suisses en Asie.

Basculement vers la Chine

Cette guerre commerciale déclarée par Trump risque d’avoir deux conséquences, prévient l’Institut de recherche stratégique de Singapour, l’île-Etat où se tiendra, du 30 mai au 1er juin, la fameuse conférence Shangri-La sur la sécurité. La première est l’augmentation rapide de l’emprise chinoise sur deux pays quasi contrôlés par Pékin: le Cambodge (où la marine chinoise aménage un port près de Sihanoukville) et le Laos (où la Chine a construit l’unique liaison ferroviaire qu’elle contrôle entièrement).

La seconde est un possible basculement stratégique en mer de Chine, où le Vietnam et la Malaisie (24% de tarifs) – en lutte avec Pékin pour le contrôle des îles Spratleys et Paracels – pourraient réviser leurs positions. Un nouveau front maritime s’ouvrirait alors en mer de Chine pour les Etats-Unis, avec le risque de voir Pékin y préparer le futur blocus de Taïwan.

Bien plus qu’une guerre commerciale

Guerre commerciale? Bien plus, en réalité. Car si les Etats-Unis maintiennent leur surenchère douanière, deux Asie risquent de se retrouver face à face: l’Asie pro-Washington composée des Philippines, de la Corée du Sud (25%), du Japon (24%) et de Taïwan, écartelée entre la présence de troupes américaines et ces barrières protectionnistes; et l’Asie courtisée par la Chine, qui disposera alors d’un levier de poids avec les 600 millions de consommateurs des dix pays membres de l’ASEAN.

Oui, la grande guerre commerciale asiatique est déclarée. Et Donald Trump est loin, très loin, d’être sûr de la gagner…

 AFP