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jeudi 10 avril 2025

Les programmes de sous-marins d’attaque russes (2000-2024)

 

En 2024, la Russie poursuit trois programmes de sous-marins d’attaque et en évoque trois autres pour l’avenir. Le premier concerne un Sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) et les deux autres des Sous-marins diesels-électriques (SMD).

Les trois programmes en cours remontent à la période soviétique : le projet de SNA 885M est dérivé du Projet 885 lancé en 1980 ; le projet de SMD 636.3 est la continuation des Projet 636 et Projet 877 remontant à 1974 ; le SMD Projet 677 date de 1987. Il devait succéder au précédent, qui se poursuit toutefois tant que le 677 ne donnera pas pleinement satisfaction. À terme, le Projet 677 devrait évoluer vers un sous-­marin doté d’un système de propulsion anaérobie (AIP).

La Russie a cité deux autres programmes de SNA et un futur programme de SMD AIP. Depuis 2000 et l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, les chantiers russes ont livré à la marine 6 SNA (5 Projet 885 et 1 Projet 971, loué à la marine indienne puis restitué en 2020) et 14 SMD (11 Projet 636.3 et 3 Projet 677), soit 20 sous-­marins d’attaque. Durant la même période, les États-Unis, la France et le Royaume-­Uni admettent en service 31 SNA (respectivement 24, 2 et 5), les autres nations de l’OTAN, 21 SMD (dont 16 AIP), soit 52 sous-­marins d’attaque construits depuis 2000 pour l’Alliance atlantique.

Alliés de Washington en Asie, la Corée du Sud et le Japon admettent respectivement en service 13 et 24 SMD, soit un total de 37 SMD (dont 11 AIP). Depuis 2000, la Chine acquiert 6 SNA et 46 SMD (dont 22 AIP) et l’Inde, 1 SNA et 6 SMD. Si l’on considère le rapport de forces numérique, l’alignement sino-­russe apparaît bénéfique, tant pour Moscou que pour Pékin, qui ont besoin l’un de l’autre face à la supériorité des États-Unis et de leurs alliés : 11 SNA et 60 SMD construits depuis 2000 pour la Russie et la Chine face aux 31 SNA et 58 SMD qui ont rallié les marines américaine et partenaires. Dominant encore le volet technologique des sous-­marins, la Russie s’est limitée à transférer des technologies de 2e et de 3e générations à la Chine.

SNA 885 Yasen et 885M Yasen-M

Conçu par le bureau d’études Malakhit de Leningrad à partir de 1980, mis sur cale le 21 décembre 1993, stoppé en 2004 pour permettre des modifications, lancé le 24 juin 2010 et admis au service en 2013, le K‑560 Severodvinsk, Projet 885 (Yasen), combine, dans une coque de près de 9 000 t, les fonctions d’attaque traditionnelle d’un Projet 971 (Shchuka‑B/Akula) avec celles des « tueurs de porte-­avions » des types 949 et 949A (Antei/Oscar I/II), et celles, stratégiques (nucléaires) ou tactiques, des missiles de croisière de frappe terrestre. Intégrant les progrès en discrétion acoustique réalisés sur les 971, le prototype Severodvinsk est doté d’un sonar sphérique Irtych-­Amphora à très hautes performances et d’armes plus nombreuses (54 contre 40) que celles du 971. Les armes sont lancées par 10 tubes lance-torpilles disposés en barbette sur l’avant du massif et par 24 tubes verticaux placés derrière le massif. L’installation de lancement vertical du complexe de tir universel embarqué (UKSK) 3R‑14V comprend deux rangées de quatre puits (chacun de 2 m de diamètre) derrière le kiosque. Ce compartiment missiles ajouté au compartiment torpilles situé à l’arrière de la grande antenne sphérique explique une longueur de 139 m, soit 25,7 m de plus que leurs prédécesseurs de 3e génération, les 971 (113,3 m). Très discret, le 885 doit détruire des cibles terrestres et navales avec ses missiles de croisière Kalibr (Mach 0,9 avec une accélération à Mach 2,9 en phase finale) et Oniks (Mach 2,6), auxquels s’ajoute désormais le Zircon hypersonique (Mach 8 avec une décélération à Mach 5 en phase finale).

Les huit unités suivantes correspondent au Projet 885M ou 08851. Outre l’amélioration des caractéristiques, la version modifiée est réalisée exclusivement par des entreprises russes. Plus petit, le sonar Ajax remplace l’Irtych-­Amphora, avec des antennes de flanc supplémentaires sur toute la coque. Cette modification permet de réduire la longueur du 885M à 130 m. L’armement reste le même. La durée de vie du réacteur nucléaire de 4e génération KTP‑6‑185SP est d’environ 25 à 30 ans, sans renouvellement du combustible. L’utilisation d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération doit améliorer la fiabilité du système électrique du navire. Une nouvelle technologie prévoit de disposer le circuit de refroidissement primaire dans la cuve du réacteur, réduisant le risque d’exposition aux radiations pour l’équipage. Un système d’information et de contrôle permet de surveiller le niveau de rayonnement du réacteur et d’alerter en cas de dépassement. Une hélice à faible bruit est préférée à la pompe-­hélice. Le kiosque des Yasen et Yasen‑M ne comporte qu’un seul compartiment amovible de sauvetage, qui peut contenir tout l’équipage, soit 90 personnes pour le Yasen et 64 personnes pour les Yasen‑M. Le Kazan et le Novossibirsk sont admis au service en mai et décembre 2021, suivi par le Krasnoyarsk en décembre 2023, ces deux derniers dans la flotte du Pacifique. Alors que l’Arkhangelsk débute ses essais, quatre autres sont en construction, un autre commandé et deux autres annoncés pour un total de onze 885M (1).

SNA Huskiy et/ou 545/585 Laika

À 50 milliards de roubles pièce, le prix unitaire d’un SNA Yasen est deux fois supérieur à celui d’un SNLE Borey, un coût trop élevé qui justifie la conception d’un SNA de 5e génération, plus économique, le Projet Huskiy rebaptisé 545 Laika. Les concepteurs espèrent utiliser des matériaux composites pour tout le bâtiment : revêtement de la coque, barres de plongée, gouvernail, stabilisateurs, hélices (ou propulseurs pump-jet), lignes d’arbres et peut-être même les deux coques, estimant que l’adversaire ne serait « pas en mesure d’obtenir le signal réfléchi par le sous-­marin parce que le matériau composite a un facteur de perte interne élevé et des propriétés d’absorption acoustique qui empêchent complètement la propagation de l’énergie vibratoire  ».

Si leur technologie est maîtrisée, les matériaux composites augmenteront la fiabilité du bâtiment et réduiront ses coûts d’exploitation. Les composites ne se corrodent pas et n’auraient donc pas besoin d’être peints. Contrairement aux Yasen qui disposent de tubes latéraux, ceux du Huskiy pointent directement vers l’avant avec l’antenne sonar conforme en dessous. En avril 2018, le PDG de Malakhit, Vladimir Dorofeïev, annonçait que la conception préliminaire du Huskiy était terminée. Un an plus tard, en avril 2019, Malakhit révélait la nouvelle désignation de Laika. Le 24 décembre, le Conseil du ministère de la Défense russe annonçait une mise sur cale entre 2027 et 2030. Le Laika déplacerait 11 340 t, avec une vitesse de 35 nœuds, une endurance de 90 jours, une profondeur de plongée maximale de 600 m. Son armement comprendrait des missiles Kalibr, Zircon, Oniks, des MANPADS Igla pour la défense aérienne, des missiles Otvet et Predator, des torpilles Fizik‑1 et USET‑80, des leurres Lasta, des mines-­torpilles MTPK‑1 (2). La construction en composite n’est plus évoquée.

SMD 636.3 Varshavyanka/Kilo

Lancé en 1997, le Projet 636 est une version améliorée du Projet 877 entrepris en 1974 par le bureau central de conception Rubin. Basé sur le Projet 877M destiné à l’exportation, le 636 généralise l’emploi de technologies d’absorption acoustique. Le Projet 636.1 (2004) correspond à une version modernisée comprenant une nouvelle centrale de navigation inertielle, un périscope avec un dispositif de vision nocturne, un télémètre laser, une antenne de communication remorquée (bandes VHF et HF). Il peut tirer des missiles de croisière Kalibr en immersion. Produite par le chantier Amirauté, cette version est destinée à la marine vietnamienne. Parallèlement, la variante 636.3 est développée pour la marine russe sous la direction d’Igor Molchanov. Le 20 août 2010, Amirauté livre à la flotte de la mer Noire la première unité, le B‑261 Novorossiysk. L’usine de Taganrog Priboi fournit l’antenne GAK MGK‑400V.1. Cinq autres suivent pour former une brigade basée à Sébastopol et à Novorossiysk, puis six unités pour la flotte du Pacifique. La série se poursuivra de nouveau pour la flotte de la mer Noire (3).

SMD 677 Lada

Sous-marin diesel-­électrique successeur des 877 développé à partir de 1987 par le bureau central de conception Rubin sous la direction de Yuri Kormilitsin, le Projet 677 est approuvé en 1993 puis de nouveau en 1997 après l’examen de 180 dessins intermédiaires. Par rapport au 636, le déplacement en surface est réduit d’un tiers – de 2 350 t à 1 765 t. La vitesse en immersion passe de 18 à 21 nœuds. La taille de l’équipage est réduite de 52 à 34 puis 36 hommes, tandis que l’autonomie reste inchangée : 45 jours. Il est prévu d’installer une propulsion AIP à partir de la quatrième unité. Confié à Okeanpribor, le système de combat est réattribué en 2005 à Elektropribor. Les deux têtes de série des variantes 677 Lada B‑585 Sankt Petersburg et Projet 677E Amur‑1650 sont mis sur cale à Amirauté (Saint-Pétersbourg) le 26 décembre 1997.

Lancé le 28 octobre 2004, le Sankt Petersburg effectue ses premiers essais du 14 au 21 décembre 2005. Il devait être livré à la marine en 2006, mais cette date est repoussée jusqu’au 22 avril 2010. Pendant ce temps, la construction du 677E Amur‑1650 destiné à l’exportation est abandonnée. En février 2012, les médias annoncent que la marine arrête le Projet Lada. Le 9 juillet 2013, nouveau revirement, Amirauté reprend la construction du second 677, le Kronstadt, prévoyant des modifications. Le 26 juin 2017, la marine annonce la poursuite du programme après la livraison des Kronstadt et Velikiye Luki. En juin 2019, un contrat est signé pour deux autres unités, les Vologda et Yaroslavl, mis sur cale le 12 juin 2022. Le 21 septembre 2021, le B‑585 Sankt Petersburg est admis au service après plus d’une décennie d’essais. Le 31 janvier 2024, le B‑586 Kronstadt est mis en service alors que le prototype, le Sankt Petersburg, est désarmé le 5 février. Le coût de l’installation des missiles Kalibr s’avère trop élevé (4).

SMD 777A Kalina

Le projet d’un sous-­marin non nucléaire de 5e génération est développé par Rubin depuis au moins une décennie. Les 18 mars et 24 avril 2013, il est rapporté que la conception du bateau a commencé. Le 5 novembre, le journal du chantier Amirauté donne le nom de Kalina au successeur du 677. Le 19 février 2014, le vice-­amiral Alexander Fedotenkov confirme des travaux préparatoires qui se seraient achevés en décembre pour un SMD AIP. Dans une interview du 21 janvier 2016, le commandant en chef de la marine, Viktor Chirkov, déclare lui que la conception du Kalina est toujours en cours. Le 16 octobre 2018, un représentant du groupe OSK/USC affirme qu’il n’y a toujours pas de commande d’État. Le 20 octobre 2020, le numéro du Projet 777A est révélé aux médias.

Notes

(1) http://​militaryrussia​.ru/​b​l​o​g​/​i​n​d​e​x​-​9​5​0​.​h​tml

(2) http://​militaryrussia​.ru/​b​l​o​g​/​i​n​d​e​x​-​1​1​0​7​.​h​tml ; https://​tvzvezda​.ru/​n​e​w​s​/​o​p​k​/​c​o​n​t​e​n​t​/​2​0​1​9​1​2​2​4​1​2​1​2​-​w​Z​v​E​2​.​h​tml

(3) http://​militaryrussia​.ru/​b​l​o​g​/​t​o​p​i​c​-​2​1​1​.​h​tml

(4) https://​tass​.ru/​a​r​m​i​y​a​-​i​-​o​p​k​/​1​9​9​0​0​159

 Alexandre Sheldon-Duplaix

areion24.news