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jeudi 13 mars 2025

Les migrations internationales aujourd’hui et demain

 

L’espèce humaine a toujours migré. C’est ainsi qu’elle a peuplé la planète à partir des premiers Homo sapiens apparus il y a environ 300 000 ans en Afrique de l’Est. Le reste de l’Afrique, le Proche-Orient, l’Europe, l’Asie, l’Australie et l’Amérique ont été peuplés progressivement par des immigrants descendants de ces premières populations. Et les humains continuent de migrer de nos jours.

Jusque dans les années 1950, l’Europe demeurait la principale région de départ des migrants qui allaient en Amérique du Nord et du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Même si ce mouvement existe toujours, d’autres flux se sont développés, devenus aujourd’hui plus importants. D’abord un premier flux, en sens inverse, du Sud vers le Nord. Ainsi, les Africains vont en Europe, les Mexicains et les Latino-Américains en Amérique du Nord, et les habitants des pays pauvres d’Asie du Sud et du Sud-Est (Inde, Bangladesh, Philippines) dans les deux régions. Les mouvements se sont par ailleurs diversifiés avec une montée des flux entre pays du Nord et aussi entre pays du Sud.

D’où partent les migrants ?

Les pays de départ peuvent être regroupés en trois types comme proposé par Gildas Simon (1). Un premier type rassemble les pays émetteurs de main-d’œuvre peu qualifiée. Aux Philippines ou au Bangladesh, au Mexique ou en Haïti, au Maroc ou en Algérie et au Mali ou au Sénégal, les migrants quittent leurs pays dans l’espoir d’une vie meilleure pour eux et pour leur famille. Dans leur pays d’accueil, ils occupent souvent des emplois peu qualifiés, même s’ils ont de l’instruction et des qualifications acquises dans leur pays d’origine.

Le deuxième type est celui des pays exportateurs de compétences. La mondialisation pousse les grandes entreprises à mener leurs activités à l’échelle internationale. Une part croissante des professionnels de haut niveau sont par ailleurs recrutés dans les pays du Sud qui, comme l’Inde, fournissent de plus en plus d’ingénieurs et d’informaticiens participant eux-mêmes à la mobilité internationale.



Le troisième type regroupe les pays producteurs de réfugiés. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ceux-ci seraient 38 millions mi-2024. L’Afrique en compte beaucoup en raison du nombre important de conflits en Afrique de l’Est et du Centre et au Sahel. Au Proche et au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Afghanistan), les tensions et les crises ont produit des flux de réfugiés tandis que, plus de soixante-dix ans après leur départ forcé, les réfugiés palestiniens vivent toujours dans l’attente d’un règlement du conflit israélo-palestinien.

Quels sont les pays d’accueil ?

Si on classe les pays selon le solde migratoire  différence entre les entrées et les sorties de migrants d’après les statistiques des Nations Unies (2), le pays venant en tête avec le solde migratoire le plus élevé sur la période 2015-2019, avant la Covid-19, est les États-Unis (1,3 million de solde migratoire en moyenne annuelle). Viennent ensuite l’Allemagne et la Russie (400 000 chacune), le Canada et la Colombie (300 000 chaque), le Royaume-Uni, l’Australie et l’Espagne (plus de 200 000 chaque). La France vient plus loin (120 000 personnes par an pour cette période d’après l’Insee).

Si l’on rapporte le solde migratoire à l’effectif de la population, le classement est tout à fait différent. Le Qatar vient en tête avec un taux de solde migratoire de 3 % en moyenne annuelle, suivi du Koweït (2 %). Le pays européen ayant le taux de solde migratoire le plus élevé au cours de cette période est l’Islande (1,5 %). Se situent plus bas dans le classement la Nouvelle-Zélande (1,4 %), le Canada, l’Australie et le Chili (0,9 % chacun), la Suède (0,8 %), l’Autriche (0,7 %), la Suisse (0,6 %), la Belgique, l’Allemagne, la Norvège et l’Espagne (0,5 % chaque), le Royaume-Uni et les États-Unis (0,4 % chaque), et la Russie (0,2 %). La France est relativement loin derrière avec seulement 0,1 % au cours de cette période.


Les stocks de population immigrée

Intéressons-nous maintenant non plus aux flux mais aux stocks d’immigrés (voir définitions dans l’encadré ci-contre). À l’échelle mondiale, le nombre d’immigrés — les personnes vivant dans un autre pays que celui où elles sont nées, qui ont donc changé de pays à un moment de leur vie — est estimé par les Nations Unies à 281 millions en 2020. Ils ne représentent qu’une petite minorité de l’humanité (3,6 %), la plupart des humains vivant dans leur pays de naissance. Ils ont pu arriver il y a longtemps dans le pays où ils habitent. Ils font partie du stock d’immigrés et doivent bien être distingués des flux constitués par les migrants qui sont en train d’arriver ou de partir.

Les immigrés se répartissent en quatre grands groupes dont les trois plus importants numériquement sont les personnes nées dans un pays du Sud et qui ont migré dans un autre pays du Sud — plus de 100 millions de personnes en 2020 —, celles ayant migré d’un pays du Sud vers un pays du Nord (en Europe, Amérique du Nord, Australie…) — un peu moins de 100 millions — et celles ayant migré d’un pays du Nord vers un autre pays du Nord — plus de 60 millions. Se rajoute le quatrième groupe des personnes nées dans un pays du Nord et vivant dans un pays du Sud : autrefois important, il est aujourd’hui minoritaire comme déjà mentionné, soit moins de 20 millions.


Quels sont les grands pays d’immigration ?

Examinons maintenant quels sont les grands pays d’immigration au vu du nombre et de la part des immigrés dans leur population, et voyons de façon plus générale comment les immigrés se répartissent à l’échelle de la planète.

Les États-Unis sont le pays ayant sur son sol le plus grand stock d’immigrés du monde : plus de 50 millions en 2020 (3). C’est près de quatre fois plus que l’Arabie saoudite (13 millions) et six fois plus que le Canada (8 millions). Mais proportionnellement à leur taille, ces deux derniers pays ont nettement plus d’immigrés : 39 % et 21 %, contre 15 % aux États-Unis. Si l’on rapporte de façon systématique le nombre d’immigrés à l’effectif de la population, cinq types de pays à fort pourcentage d’immigrés apparaissent :

• un premier groupe de pays, peu peuplés mais richement dotés en ressources pétrolières, où les immigrés sont parfois majoritaires. C’est dans ce groupe que l’on observe en 2020 les proportions les plus élevées sur le plan mondial : Émirats arabes unis (88 %), Qatar (77 %), Koweït (73 %), Arabie saoudite, Bahreïn et Oman ayant des taux compris entre 38 % et 55 % ;

• un deuxième groupe, formé de très petits territoires, des micro-États souvent dotés d’un statut particulier, notamment sur le plan fiscal : Monaco (68 %), Macao (62 %), Singapour (43 %) ;

• un troisième, qui correspond aux pays qualifiés autrefois de « pays neufs », dotés d’immenses espaces mais encore faiblement peuplés : Australie (30 %) et Canada (21 %) ;

• un quatrième, proche du précédent pour le mode de développement, celui des démocraties industrielles occidentales où la proportion d’immigrés est généralement comprise entre 10 % et 20 % : Suède (20 %), Autriche (19 %), Allemagne (19 %), Belgique (17 %), Espagne (15 %), États-Unis (15 %), Royaume-Uni (14 %), Pays-Bas (14 %), France (13 %) (4), Italie (10 %) ;

• un cinquième et dernier groupe, celui des pays dits de « premier asile », qui reçoivent des flux massifs de réfugiés du fait de conflits dans un pays voisin : le Liban hébergeait ainsi près d’un million de réfugiés syriens ou irakiens en 2020, soit l’équivalent de 20 % de sa population, et le Tchad 400 000 réfugiés (3 % de sa population) originaires du Soudan.


Peut-on anticiper les migrations de demain ?

Pourquoi les migrants partent-ils ? Qui migre ? Qui ne migre pas ? Les mêmes facteurs sont à l’œuvre dans les grands flux migratoires d’aujourd’hui. La probabilité qu’une personne migre d’un pays ou d’une région du monde à l’autre dépend ainsi de son niveau d’instruction et des ressources dont dispose sa famille. Les personnes totalement dépourvues d’instruction et de ressources migrent peu en comparaison de celles en ayant. Le flux migratoire entre deux pays, l’un de départ et l’autre de destination, est par ailleurs d’autant plus important que l’écart de revenu moyen est élevé entre les deux. Le fait de partager ou non une même langue, un passé colonial, une diaspora déjà installée et son importance, joue également un rôle (5).

L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes

L’Afrique subsaharienne devrait représenter 22 % de la population mondiale en 2050 au lieu de 15 % en 2025. Le nombre de migrants originaires de cette région devrait donc augmenter. Mais de combien et vers quelles destinations ? En replaçant les migrations africaines dans le tableau mondial des diasporas, il apparait que le scénario pour 2050 d’une Europe peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens (6) ne tient pas la route. L’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre (7).

L’Afrique subsaharienne connait en effet le taux d’émigration internationale le plus faible du monde (8). Si elle émigre peu, c’est en raison même de sa pauvreté. Et lorsqu’elle émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15 % seulement en Europe, le reste se répartissant entre les pays du Golfe et l’Amérique du Nord (9). De façon générale, plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chance de migrer au loin. S’ils émigrent, c’est d’abord dans les pays limitrophes, généralement aussi pauvres qu’eux.

La migration d’Afrique subsaharienne vers l’Europe ne fait donc pas exception aux courants migratoires d’aujourd’hui et les flux dans son cas sont sensibles aux mêmes facteurs que ceux à l’œuvre dans d’autres régions du monde, par exemple en Amérique, entre les pays d’Amérique latine, en particulier le Mexique, et les États-Unis. La migration subsaharienne n’a rien de spécifique.


La modélisation des migrations internationales

Les différents facteurs des migrations internationales peuvent être rassemblés dans un modèle migratoire. Dans une étude publiée en 2016, le Fonds monétaire international (FMI) a utilisé un modèle de ce type pour projeter le nombre de migrants subsahariens dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec pour résultat que celui-ci passerait de 6 millions en 2013 à 18 millions en 2040 et 34 millions en 2050 (10). La part des immigrés subsahariens dans la population totale des pays de l’OCDE serait multipliée par six, passant de 0,4 % en 2013 à 2,4 % en 2050. Projeter les migrations internationales reste cependant un exercice incertain car les mouvements peuvent changer rapidement, mais ce type d’étude a le mérite de montrer que même en hausse très importante, la part des immigrés subsahariens dans la population des pays du Nord devrait rester modeste, en tout cas très loin pour l’Europe des 25 % annoncés par certains à l’horizon 2050 (11).

L’immigration et le renouvellement de la population

Deux tiers de l’humanité vivent dans un pays ou une région où la fécondité est inférieure au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants en moyenne par femme). La tendance de la fécondité à la baisse, qui se poursuit, annonce des naissances moins nombreuses que les décès dans de plus en plus de pays à terme, comme c’est déjà le cas en Chine ou dans la majorité des pays d’Europe. Mais cet excédent de décès peut être compensé, en totalité ou en partie, par un solde migratoire positif. L’évolution de la population d’un pays, notamment sa diminution ou son augmentation, dépendra de plus en plus de l’importance des flux migratoires.

Prenons l’exemple de l’Europe. Les projections démographiques publiées par Eurostat en 2023 annoncent dans leur scénario central que les naissances continueraient de diminuer dans l’Union européenne à 27 pays dans les prochaines décennies, et les décès d’augmenter, de telle sorte que le déficit des naissances sur les décès, un million en 2023 (quatre millions de naissances contre cinq millions de décès), se creuserait pour atteindre deux millions en 2060 (12). L’augmentation des décès est pratiquement inévitable même si l’espérance de vie continue de progresser. Les générations nombreuses nées pendant le baby-boom, qui ont entre 60 et 80 ans en 2025, vont en effet vieillir puis mourir. En écho au baby-boom, on enregistrera un boom des décès 80 à 90 ans plus tard. Le scénario d’Eurostat suppose un relèvement progressif de la fécondité jusqu’à un niveau de 1,85 enfant par femme, les différents pays convergeant vers ce niveau en 2150. Il suppose aussi que l’immigration va continuer, le solde migratoire se situant autour de 1,2 million par an tout au long de la projection. À ce niveau, les migrations compenseraient l’excédent des décès sur les naissances, mais qu’en partie, la population des 27 diminuant de 6 % d’ici 2100, passant de près de 450 millions en 2023 à 420 millions en 2100.


Pour illustrer le rôle de l’immigration dans l’évolution démographique de l’Europe, Eurostat a calculé des projections en faisant l’hypothèse qu’à partir de 2023 le solde migratoire était nul. Ce scénario « sans migration » est irréaliste mais il a une portée pédagogique : il montre ce que serait l’évolution si l’immigration était stoppée en Europe à partir d’aujourd’hui. Dans ce cas, la population des 27 diminuerait jusqu’à atteindre 295 millions en 2100, soit une réduction d’un tiers (155 millions) par rapport à 2023. La population de l’Europe ne pourra se maintenir à terme à un niveau proche de celui d’aujourd’hui que grâce à une immigration importante, même dans le cas où la fécondité se relèverait.

Notes

(1) Gildas Simon, « Les migrations internationales », Population & Sociétés, n°382, aout 2002 (https://​rebrand​.ly/​b​3​3​b62).

(2) Nations Unies, « International Migrant Stock 2020 » (https://​www​.un​.org/​d​e​v​e​l​o​p​m​e​n​t​/​d​e​s​a​/​p​d​/​c​o​n​t​e​n​t​/​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​-​m​i​g​r​a​n​t​-​s​t​ock) ; « Global Migration Database » (https://​www​.un​.org/​d​e​v​e​l​o​p​m​e​n​t​/​d​e​s​a​/​p​d​/​d​a​t​a​/​g​l​o​b​a​l​-​m​i​g​r​a​t​i​o​n​-​d​a​t​a​b​ase).

(3) Ibid.

(4) Ce chiffre diffère de celui publié par l’Insee (10 %). Les Nations Unies comptent en effet comme immigrée toute personne née à l’étranger alors que l’Insee réserve la dénomination d’immigré aux seules personnes « nées étrangères à l’étranger », en excluant les personnes nées à l’étranger de parents expatriés, ayant donc la nationalité de leur pays de résidence depuis leur naissance.

(5) Jesus González-García et al., « Sub-Saharan African Migration, Patterns and Spillovers », Fonds monétaire international, Spillover Note 9, novembre 2016 (https://​rebrand​.ly/​0​e​6​45b).

(6) Stephen Smith, La ruée vers l’Europe : la jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, Grasset, 2018.

(7) François Héran, « L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes », Population & Sociétés, n°558, aout 2018 (https://​www​.cairn​.info/​r​e​v​u​e​-​p​o​p​u​l​a​t​i​o​n​-​e​t​-​s​o​c​i​e​t​e​s​-​2​0​1​8​-​8​-​p​a​g​e​-​1​.​htm).

(8) Jesus González-García et al., op. cit.

(9) François Héran, op. cit.

(10) Gilles Pison, Atlas de la population mondiale, Autrement, 2023.

(11) Stephen Smith, op. cit.

(12) Eurostat, « EUROPOP2023 – Projections de population au niveau national (2022-2100) », 2023 (https://​ec​.europa​.eu/​e​u​r​o​s​t​a​t​/​f​r​/​d​a​t​a​/​d​a​t​a​b​ase).

Gilles Pison

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