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jeudi 9 janvier 2025

Les prisons en Russie : opacité et répression

 


Le 16 février 2024, la Russie annonce la mort d’Alexeï Navalny, l’opposant le plus connu au régime de Vladimir Poutine. Passé par plusieurs prisons de haute sécurité, le militant a été retrouvé sans vie dans la colonie pénitentiaire IK-3 de Kharp, en Arctique. Cet événement souligne l’opacité qu’entretient le Kremlin sur un système carcéral hérité de la période stalinienne (1922-1953) et critiqué pour les conditions imposées aux détenus.

Pour avoir des renseignements sur les prisons, il est impossible de se diriger vers le Service fédéral pénitentiaire de la Fédération de Russie, organisme relevant du gouvernement et ne fournissant que de rares informations chiffrées sur les centres de détention du pays. Selon le World Prison Brief, base de données mondiale créée en 2000 avec le soutien de l’université Birkbeck de Londres, il y avait 433 006 prisonniers en Russie au 1er janvier 2023, soit un taux d’incarcération de 300 pour 100 000 habitants, l’un des plus élevés au monde (en France, il est de 109) (1). Ces personnes – hommes, femmes, enfants – seraient réparties dans 872 établissements : 642 colonies, 204 institutions préventives, 18 centres pour mineurs et huit prisons. Cela n’inclut pas d’autres lieux de privation de liberté, comme les cellules des postes de police ou les bataillons disciplinaires pour les militaires.

Héritage stalinien

Ces chiffres reflètent une géographie à l’image de la superficie de la Russie, le pays le plus étendu de la planète avec 17,1 millions de kilomètres carrés. Les prisons se trouvent réparties partout, du nord au sud et d’est en ouest, notamment autour de Moscou, mais surtout dans des régions isolées et inhospitalières de Sibérie ou d’Arctique. Il est impossible d’en connaître la cartographie exacte. Toutefois, elle reprend plus ou moins celle des goulags soviétiques, établie grâce au travail de l’ONG Memorial, créée en 1989 dans un contexte de perestroïka et de glasnost en URSS et avec le but de prévenir le retour du totalitarisme et de réaliser un devoir de mémoire vis-à-vis des victimes des répressions (2). En russe, le mot « goulag » est l’acronyme de Direction principale des camps, organe de gestion d’un système concentrationnaire envoyant en « rééducation par le travail » des opposants, des intellectuels, des minorités, des condamnés de droit commun… Entre 1929 et 1954, jusqu’à 20 millions de personnes sont passées par l’un des 476 camps connus à la mort de Joseph Staline en 1953 ; 4 millions y ont perdu la vie.

Sous la dictature stalinienne, le goulag était destiné à « casser » les individus, à les soumettre au régime en place, sans permettre ni rédemption ni réinsertion. Le système carcéral russe actuel fonctionne peu ou prou de la même manière. Si les taux d’incarcération ont baissé ces vingt dernières années – il était de 729 en 2000 –, cela s’explique notamment par la crise démographique et des réformes pénales destinées à réduire le nombre de prisonniers. Toutefois, ce n’est synonyme ni d’une diminution des condamnations ni d’une amélioration des infrastructures. Au contraire, les procès politiques se multiplient depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence en 2012 et le début du conflit en Ukraine deux ans plus tard.

Des espaces de non-droit

Plusieurs ONG de défense des Droits de l’homme dénoncent régulièrement les conditions d’incarcération en Russie, notamment dans les centres situés dans le nord polaire, où les basses températures ne sont que le moindre mal imposé aux détenus. Violences, tortures, harcèlement, maladies contagieuses, pas de lumière, manque d’hygiène, de nourriture et d’eau…, la liste des mauvais traitements est longue. La colonie IK-3 de Kharp, dite du « Loup polaire », où se trouvait Alexeï Navalny, est considérée comme l’une des pires de Russie. Certains pays démocratiques, à l’instar de la France ou des États-Unis, ont critiqué le système carcéral russe, présenté comme corrompu et disposant de moyens financiers et humains (près de 300 000 employés) importants jusqu’à incarner un « État dans l’État » (3).

De plus, la Russie gérerait des prisons là où elle exerce une influence importante, comme en Centrafrique, voire libérerait des détenus locaux en échange d’enrôlement dans l’armée russe pour aller combattre en Ukraine. Cette méthode serait appliquée en Russie même, expliquant la baisse du taux d’incarcération. Par ailleurs, les services de renseignement ukrainiens accusent le directeur du Service fédéral pénitentiaire de la Fédération de Russie, le général Arkady Gostev, un proche de Vladimir Poutine nommé en 2021, d’avoir créé un réseau de camps de concentration dans les territoires occupés.

Les colonies pénitentiaires de Russie obéissent à leurs propres lois, internes aux établissements, et à celles dictées par le Kremlin, quitte à violer le droit international. Le pays n’est plus partie à la Convention européenne des Droits de l’homme depuis 2022 et, sous sanctions internationales, il se replie sur lui-même. L’ONG Memorial a même été dissoute en 2021. Déjà opaque, outil de répression du régime, le système carcéral russe n’est pas près de se réformer.  

Notes

(1) Le World Prison Brief est disponible sur : https://​prisonstudies​.org

(2) La cartographie des goulags est sur : https://​gulag​.online

(3) OFPRA/DIDR, Fédération de Russie : Les conditions de détention, avril 2023.

Guillaume Fourmont

Laura Margueritte

areion24.news