Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 31 janvier 2025

L’émergence des minidrones de combat

 

Si les drones de combat ne sont plus une nouveauté depuis bien longtemps, il est une catégorie parmi eux qui fait son apparition, à la fois sur les champs de bataille et dans les bureaux de développement de l’industrie de défense : les minidrones équipés d’Armes légères d’infanterie (ALI).

Développés à partir de quadcopters commerciaux tels que les DJI Mavic utilisés par l’armée ukrainienne, ces minidrones d’observation et de reconnaissance sont devenus armés à partir de la fin de l’année 2022, lorsque les dispositifs de largage ont été adaptés pour larguer des grenades, des roquettes ou d’autres types de charges explosives. Un procédé qui avait déjà été utilisé ponctuellement en Syrie par le Hezbollah en 2016, puis en Irak par l’État islamique. En Ukraine, l’industrialisation locale par des entreprises comme Army of Drones a pris le relais avec des appareils taillés sur mesure, et les drones FPV n’ont pas tardé à suivre dans le rôle de munitions suicides de précision, avec l’impact et le succès que l’on connaît.

Les drones armés d’ALI permettent de placer un tir d’infanterie à partir d’un point impossible à atteindre pour un fantassin, et ils recèlent le potentiel de faire évoluer certains concepts d’emploi, enrichis des possibilités inédites offertes par ces nouveaux systèmes d’armes. Pour le moment, la technologie disponible induit des contraintes en termes de capacité d’emport, d’endurance et de volume de feu, mais pour un groupe de combat, disposer d’un loyal wingman au-­dessus de sa tête, armé d’un fusil d’assaut ou d’une mitrailleuse légère, est un plus non négligeable qui permettra certainement de sauver des vies dans nombre de situations.

Les modèles industriels

Cependant, l’intention d’utiliser des minidrones équipés d’armes d’infanterie date d’avant l’invasion russe et diverses entreprises de défense avaient déjà dans leurs catalogues des appareils de ce type, sans doute un peu plus lourds et plus puissants, et armés de la plupart des armes légères d’infanterie : carabines, fusils d’assaut et mitrailleuses légères. Aux États-Unis, la société Aimlock a investi 10 ans dans le développement des technologies permettant de proposer des systèmes de stabilisation et d’acquisition de cibles, dévoilés au public en 2021 lors du salon AUSA. Cette gamme d’armes téléopérées, proposées en plusieurs tailles pour s’adapter à divers systèmes d’armes, permet d’en équiper différents types de drones.

Les solutions développées par Aimlock intègrent une composante informatique destinée à détecter, à analyser et à suivre des cibles de manière semi-­autonome afin de proposer des solutions de tir à l’opérateur, qui choisit ensuite de les traiter. Cet aspect semi-­autonome réduit significativement le temps de réaction pour engager une cible et obtenir de meilleures chances de coup au but.

À cela s’ajoute une composante de stabilisation, afin que le système d’armes soit constamment disponible pour faire feu et assurer le meilleur suivi de la cible. Sur un drone, ce dispositif robotisé viendra compenser ses mouvements, les micromouvements causés par le vent ou tout autre perturbateur de trajectoire. Ces solutions proposées par Aimlock trouvent des applications sur les minidrones, mais aussi sur des hélicoptères, des véhicules et des drones terrestres.

Le plus gros des trois systèmes proposés par Aimlock est le R‑M1, un tourelleau semi-­autonome téléopéré prévu pour supporter les mitrailleuses alimentées par bandes allant du 7,62 mm OTAN au .338 Norma Magnum. Le R‑M1 inclut une optronique jour/nuit, une stabilisation active et un dispositif de détection capable d’acquérir une cible, de la classer parmi un ensemble de profils (incluant combattants ennemis, véhicules, et drones de taille réduite) et d’opérer un suivi, le tout de manière autonome. Son affût à attache rapide permet de le fixer rapidement sur un drone pour le déployer par les airs.

Le R‑S1, version plus légère et réduite du R‑M1, est conçu pour embarquer une mitrailleuse légère ou un fusil d’assaut en 5,56 mm OTAN. Ce petit tourelleau téléopéré peut être monté sur trépied, sur un véhicule, un petit drone ou sur un hélicoptère télécommandé à partir duquel il peut offrir une couverture de sniping à un groupe débarqué ou à un convoi, ou être utilisé en défense aérienne contre des drones.

Enfin le I‑M1 est un support semi-­autonome stabilisé pour fusil de précision. Il détecte et suit des cibles depuis un hélicoptère ou un drone. Une fois la cible accrochée, il corrige constamment sa visée pour offrir au tireur une solution de tir avec les meilleures chances de coup au but.

À Taïwan, Drone Vision a mis au point l’AR‑1, un drone hexarotor doté d’un affût stabilisé permettant d’y monter un fusil d’assaut ou une carabine en 5,56 mm, ou encore un pistolet mitrailleur en 9 mm. Mesurant 123,1 cm de large sur 149,9 cm de long en ordre de vol, son poids à vide de 11 kg (porté à 15 kg avec les batteries) lui permet d’emporter une charge utile de 8,5 kg avec une endurance de 20 minutes. Sa vitesse de croisière est de 46,8 km/h et il peut tenir face à des vents de force 6. Une fois replié, il mesure 44 cm de large sur 85,1 cm de long, ce qui le rend plus facilement transportable à pied sur de grandes distances. Une fois en vol, son rayon d’action oscille entre 10 et 15 km. Ces caractéristiques donnent une certaine idée de la capacité d’emport en munitions selon l’arme qui sera montée sous l’appareil. Un fusil d’assaut en 7,62 × 51 mm peut placer des tirs précis à longue distance s’il est utilisé correctement, a fortiori depuis les airs avec un angle avantageux.

C’est également Drone Vision qui a développé le Revolver 860, un octorotor largueur de munitions dont la particularité est d’être équipé d’un barillet contenant huit obus de 60 mm. Les précédents drones armés larguent généralement leur charge militaire en une fois avant de retourner à leur point de décollage pour recharger. Mais l’industrialisation de ces minidrones fait évoluer le volume de feu et le prochain pas en avant sera d’accroître le nombre de coups qu’ils peuvent porter en une seule sortie.

Enfin, le Smash Dragon développé par Smart Shooter, en Israël, est un drone hexarotor équipé d’armes d’infanterie et d’une conduite de tir informatisée, le Smash 2000. Celle-ci utilise des algorithmes de ciblage pour suivre et frapper des cibles avec précision. Si le drone de Smart Shooter n’est pas encore opérationnel, son logiciel de ciblage a déjà été utilisé avec succès en 2019 contre des drones du Hamas et des ballons incendiaires lancés depuis la bande de Gaza. Contre les minidrones évoluant à grande vitesse, l’algorithme offre une précision suffisante pour garantir un coup au but en mouvement dès le premier tir jusqu’à une distance de 120 m.

L’innovation ukrainienne

Du côté de l’armée et de la base industrielle de défense ukrainiennes, on voit apparaître depuis peu des images de drones armés d’ALI, notamment d’une mitrailleuse PKM en août dernier. La visée se fait de manière assez rudimentaire à l’aide d’une croix placée dans le cadre de la caméra, zérotée sur l’arme embarquée. En septembre, ce sont les Dragon Drones équipés de lanceurs de thermite qui sont apparus dans les médias.

La thermite est un composé incendiaire extrêmement puissant sous forme de granules d’oxyde de fer et de poudre d’aluminium. La chaleur générée par réaction chimique peut atteindre 2 200 °C et l’incendie reste inextinguible tant que la totalité de la thermite n’a pas fini de brûler, ce qui rend très efficaces les munitions incendiaires qui en contiennent : la thermite peut ainsi trouer le blindage et mettre le feu à des chars, et brûle y compris sous l’eau. Un drone FPV peut ainsi emporter 500 g de thermite et mettre le feu à une tranchée sur une longueur impressionnante. Associé à la vitesse très élevée que peuvent atteindre ces drones, la thermite produit ainsi un effet psychologique redoutable sur les troupes au sol, en plus de l’effet d’interdiction provoqué par l’incendie dans une tranchée.

Un drone MALE d’appui au sol

Dans un autre registre, la société américaine General Atomics a mené en avril 2024 un test à munitions réelles à l’US Army Yuma Proving Ground, en Arizona, lors duquel un drone Mojave a engagé de multiples cibles terrestres à l’aide de deux pods DAP‑6 armés de mitrailleuses Dillon Aero M‑134 Minigun. La M‑134 est une mitrailleuse rotative de type Gatling dont les six canons lui permettent d’atteindre une cadence de tir de 6 000 coups/min. Elle est fréquemment utilisée par les forces spéciales à partir de véhicules, d’embarcations ou d’hélicoptères, son volume de feu étant dissuasif pour faire baisser les têtes ou neutraliser des véhicules.

Les pods DAP‑6 permettent l’emport de 3 000 coups de 7,62 mm OTAN et le Mojave, un drone MALE dérivé du MQ‑1C Gray Eagle optimisé pour les décollages courts à partir de terrains sommaires, peut devenir une plateforme à longue endurance apportant de solides capacités de strafing telles qu’on les trouve sur l’hélicoptère d’attaque AH‑6 Little Bird utilisé par les forces spéciales américaines. Ce type d’appui peut avoir une utilité dans de nombreux schémas opérationnels où un tir de Hellfire ou de Small diameter bomb s’avérerait surdimensionné, tout en offrant, si l’on considère l’endurance élevée d’un Mojave ou d’un Reaper, un ratio coût/efficacité bien mieux adapté. 

Emmanuel Vivenot

areion24.news