Reuters a publié aujourd’hui une dépêche qui, sur la base des témoignages de plus d’une douzaine de collaborateurs de Bachar al-Assad, relate les dernières heures au pouvoir du dictateur déchu. En voici un résumé exhaustif :
1/ Quelques heures seulement avant sa « démission », al-Assad a une réunion avec une trentaine de responsables militaires et sécuritaires au siège du ministère de la Défense à Damas. À cette occasion, l’intéressé leur assure que l’aide russe est en chemin et qu’elle va arriver à temps pour préserver encore le régime, comme en 2015. Mais en réalité, al-Assad a, à ce moment, déjà échafaudé son plan pour s’échapper à Moscou.
2/ En fait, dès ses entretiens avec Poutine le 29 novembre au Kremlin, al-Assad a compris que la Russie ne viendrait pas à la rescousse, trop embourbée qu’elle était en Ukraine. Dès lors, il commence à envisager son exil, après plus de 24 ans au pouvoir. C’est d’ailleurs sans sa femme, Asmaa, et ses trois enfants, restés à Moscou, qu’il reprend le 30 novembre le chemin de Damas (sans jeu de mots).
3/ Mais c’est d’abord aux Émirats qu’al-Assad pense à s’établir pour sa « retraite ». Le 1er décembre, il a au téléphone MBZ. Problème, autant les relations d’Abou Dabi avec Damas ont été au cours des dernières années plutôt bonnes, les Émiratis ayant même joué un rôle clé dans la réadmission de la Syrie dans la Ligue arabe en mai 2023, autant ils n’étaient tout de même pas trop chauds pour accueillir un chef d’État présumé coupable de recours aux armes chimiques contre son peuple. al-Assad doit donc voir ailleurs.
4/ Revient donc sur le tapis l’alternative russe. Comme on l’a vu, la famille y est déjà, et en plus la Russie n’a pas les mêmes scrupules que les Émirats – elle est partante pour accorder à al-Assad un statut de réfugié politique. Reste toutefois à négocier son exfiltration ; ce que le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, réussit en marge de sa participation, les 7 et 8 décembre, au Forum de Doha. À cette occasion, la Turquie et le Qatar, premiers soutiens des rebelles de HTC, s’engagent à ne pas entraver la fuite d’al-Assad.
5/ Le plan est le suivant : al-Assad doit se rendre dans le plus grand secret à la base aérienne russe de Hmeimim, et de là, prendre la poudre d’escampette pour l’Oural. Pour ce faire, il doit faire diversion. Dans cette nuit fatidique du 7 au 8 décembre, ce n’est pas que les militaires qu’il mène en bateau ; les civils aussi y passent. Quelques instants après sa rencontre avec les premiers cités, il appelle son premier ministre, Mohammad Ghazi al-Jalali, pour l’informer qu’il rentre chez lui pour souffler un coup. Par ailleurs, il demande à sa conseillère ès-média, Bouthaina Shaaban, de commencer à plancher sur un discours pour lui à lire aux Syriens.
6/ Même Maher al-Assad, le frère cadet, n’est pas tenu au parfum. Il doit, par ses propres moyens, rallier la Russie, après une escale par hélicoptère en Irak. Les deux célèbres cousins maternels d’al-Assad, Ehab et Eyad Makhlouf, sont appréhendés par les rebelles en tentant de quitter Damas, le premier étant même tué sur le coup.
7/ Douze ans après s’être payé la tête des réfugiés syriens à l’étranger sur Al-Jazeera, al-Assad en devient lui-même un. L’arroseur est, en quelque sorte, lui-même arrosé.