Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 16 décembre 2024

Le détenu sauvé par CNN est en réalité un lieutenant des services de renseignement ayant caché son identité

 

La scène était trop belle. Dépêchée à Damas, tout juste libérée du joug de Bachar Al Assad, pour retrouver son compère états-unien Austin Tice, emprisonné dans une prison secrète syrienne depuis son arrestation en 2012, la reporter Clarissa Ward s’engouffre dans l’un de ces instituts pénitentiaires où la torture et la répression furent légion. La « correspondante internationale en chef » de la chaîne CNN, accompagnée d’un groupe d’individus armés, y découvre une forme suspecte, ensevelie sous des couvertures, au fond d’une cellule. Un homme s’approche, tire le tas de morceaux de tissu et découvre ce qui semble être un détenu. Le tout filmé par la caméra de CNN et sous les yeux d’une Clarissa Ward ébahie.

S’ensuivent plusieurs séquences, où la journaliste le fait sortir de la prison, lui annonce que le régime est tombé, lui apporte de l’eau et le questionne sur son parcours. L’individu affirme avoir été arrêté par les Mukhabarat, le service de renseignement militaire syrien, et interrogé pour donner les noms de terroristes. Le destin de « Adel Gharbal », ce prisonnier syrien originaire de la « ville de Homs », dans l’ouest du pays, et en cellule « depuis trois mois », au centre d’un reportage diffusé jeudi 12 décembre, devient alors viral.

« Vol, extorsion et coercition à l’encontre des habitants »

Il n’en est pourtant rien, selon le média de fact-checking syrien Verify-sy. Le site d’investigation révèle, dans une contre-enquête publiée dimanche 15 décembre, qu’« Adel Gharbal » aurait menti sur son identité et sur ses conditions d’emprisonnement. Il s’agirait, en réalité, de Salama Mohammad Salama, premier lieutenant des services de renseignement de l’armée de l’air syrienne.

Connu sous le nom d’Abu Hamza, il aurait géré plusieurs postes de contrôle de sécurité dans la ville de Homs et aurait été « impliqué dans des activités de vol, d’extorsion et de coercition à l’encontre des habitants pour qu’ils deviennent des informateurs », résume Verify-sy. Selon des habitants du quartier d’Al-Bayada interrogés par le média d’investigation, son incarcération – « qui a duré moins d’un mois » – est due à un différend avec un officier de rang supérieur, sur fond de partage des bénéfices provenant des fonds extorqués.

Dès la diffusion du reportage de CNN, le hasard de cette rencontre, comme l’état physique d’ « Adel Gharbal » (propre, sans blessure apparente et en bonne santé physique), ont interpellé plusieurs spectateurs. Clarissa Ward ne semble ainsi pas surprise que ce dernier soit le dernier détenu resté captif au sein de la prison, plusieurs jours après la chute du régime, dimanche 8 décembre. « L’homme, caché sous une couverture malgré les coups de feu utilisés pour forcer le verrou de sa cellule, a affirmé qu’il n’avait pas vu la lumière du soleil depuis trois mois, fustige le média syrien. Cependant, sa réaction ne correspondait pas à cette affirmation : il n’a pas bronché ni cligné des yeux, même lorsqu’il regardait le ciel, apparemment ravi de sa nouvelle “liberté”. »

Surtout, « malgré son attitude apparemment innocente et calme dans le reportage de CNN », Verify-sy révèle qu’Abu Salama a participé à des opérations militaires sur plusieurs fronts à Homs en 2014. Opérations durant lesquels il aurait tué des civils et a été responsable de la détention et de la torture de nombreux jeunes hommes, sans raison ou sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces.

« Nombre d’entre eux ont été pris pour cible simplement parce qu’ils refusaient de payer des pots-de-vin ou de coopérer, ou même pour des raisons arbitraires telles que leur apparence, annonce le site de fact-checking. Ces détails ont été corroborés par des familles de victimes et d’anciens détenus qui se sont entretenus avec Verify-Sy. »

Ces révélations amènent à de nouvelles questions : Clarissa Ward et son équipe de tournage étaient-ils au courant ? Jusqu’où Abu Hamza est-il allé pour apparaître comme un détenu civil, sans lien avec le régime autoritaire de Bachar Al Assad ? Interrogée par ses collègues de CNN sur son ressenti, lors du tournage de ce reportage, Clarissa Ward expliquait : « Être témoin d’un moment si surréel, voir une personne dans un état de joie absolue d’un côté et complètement traumatisée de l’autre, est quelque chose qu’aucun d’entre nous ne pourra oublier. » De futurs éclaircissements sur cette affaire pourraient revenir mettre en cause ce « moment si surréel ».

Tom Demars-Granja

humanite.fr