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mardi 19 novembre 2024

L’équipe de Donald Trump présage des relations orageuses avec Pékin

 

Donald Trump, élu 47ème président des États-Unis, a nommé une équipe qui laisse présager le retour du tumulte dans les relations sino-américaines. En particulier avec celui qu’il a choisi comme chef de la diplomatie : Marco Rubio, sénateur de Floride et « faucon » connu pour ses positions radicales à l’égard du régime communiste chinois.

Macro Rubio sera « un défenseur ardent de [la] nation [américaine], un véritable ami pour [les] alliés [du pays] et un guerrier intrépide qui ne reculera jamais face [aux] adversaires » des États-Unis, a déclaré le président élu dans un communiqué le 13 novembre. S’il s’est fait connaître pour sa défense de la souveraineté de Taïwan, le sénateur de 53 ans, fils d’immigrés cubains, est ouvertement partisan d’une ligne dure envers la Chine. « Je pense que l’avenir du XXIème siècle sera défini par ce qui se passe dans l’Indo-Pacifique », avait-il affirmé sur le plateau de la chaîne catholique américaine EWTN après la victoire de Donald Trump le 5 novembre.

Tandis que le milliardaire new-yorkais avait, pendant sa campagne électorale, laissé entendre que l’île devrait payer les États-Unis pour sa défense, Marco Rubio a, lui, insisté sur le fait qu’une nouvelle administration Trump soutiendrait Taipei face à Pékin. Au Sénat, il avait également appelé à armer Taïwan, en passant par des livraisons directes d’équipements militaires américains plutôt que par la vente d’armes classique.

Né en 1971 en Floride, un État du Sud où habitent de nombreux immigrés cubains, Marco Rubio a grandi dans un environnement de grande hostilité à l’égard des régimes communistes – qu’il a clairement fait sienne. « C’est un élément très important, tant les origines comptent en politique américaine, car il fait de lui un anticommuniste viscéral », souligne Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, cité par Le Figaro.

« Il s’oppose frontalement à une réconciliation avec Cuba, à un accord sur le nucléaire iranien, et se dit même favorable à une intervention militaire en Iran. Des positions jamais vues depuis les néoconservateurs sous Georges Bush ! », souligne Romuald Sciora, directeur de l’observatoire politique et géopolitique des États-Unis de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Marco Rubio a également soutenu l’idée d’une nouvelle politique industrielle américaine adaptée pour concurrencer l’économie chinoise. Sous le mandat de Joe Biden qui s’achève, il avait parrainé un projet de loi visant à bloquer l’importation de produits chinois fabriqués par le travail forcé des Ouïghours, cette minorité ethnique de confession musulmane en Chine victime d’une répression brutale. Marco Rubio avait aussi évoqué la « menace substantielle pour la sécurité nationale du pays » que représente TikTok, le réseau social de conception chinoise accusée d’espionnage aux États-Unis.

Si le sénateur de Floride milite toutefois, comme Donald Trump, pour que l’Ukraine accepte de négocier avec la Russie pour mettre rapidement un terme à la guerre avec la Russie, il défend, à la différence du président élu, l’importance d’alliances comme celle de l’OTAN.

Marco Rubio fait l’objet de sanctions décrétées par les autorités chinoises pour « s’être mal comporté sur les questions liées à Hong Kong ». Lors de la répression qui s’était abattue sur les contestataires dans l’ancienne colonie britannique, il avait pris des positions claires en faveur des mouvements hongkongais pro-démocratie. Mais, comme le souligne un commentateur de CNN, après sa nomination à la tête de la diplomatie américaine, la Chine pourrait bien être contrainte de lever ses sanctions pour pouvoir traiter avec lui.

Faucons et protectionnistes

Autre nomination qui n’est pas pour plaire à Pékin, celle de Mike Waltz, élu de Floride lui aussi mais à la chambre des Représentants. Waltz enfilera les habits très stratégiques de conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche. Cet officier des forces spéciales à la retraite est lui aussi en faveur d’une politique étrangère interventionniste, une opinion clairement inverse de l’isolationnisme de Donald Trump pendant son premier mandat et de son slogan « America First » encore brandi tout au long de sa campagne électorale.

« Monsieur Waltz est un faucon déclaré contre la Chine mais il est aussi d’avis que l’Amérique a pris des décisions erronées en Afghanistan et en Irak et devrait de ce fait en tirer les leçons, souligne The Economist. À propos de la Chine, Waltz s’est parfois fait l’écho de la rhétorique propre à la guerre froide : « Je vais combattre jusqu’à la fin cette fois-ci pour m’assurer que les États-Unis et le monde libre ne se mettront jamais à genou devant le Parti communiste chinois », a-t-il écrit sur X (ex-Twitter) en 2021. »

Autre nomination qui symbolise la volonté déjà clairement affirmée du président élu pendant sa campagne d’en découdre avec la Chine sur le plan des échanges commerciaux, celle de Robert Lighthizer. À 77 ans, cet ancien représentant américain au commerce lors du premier mandat de Trump, est lui aussi un fidèle adepte du protectionnisme, y compris avec Pékin. Il avait été à la Maison Blanche l’une des figures de proue de la guerre commerciale que les États-Unis avaient livrée à la Chine. Il voit dans la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et surtout de l’adhésion de la Chine à cette institution en 2001 la source de tous les maux. Il est allé jusqu’à qualifier l’OMC de « gâchis » qui a « trahi l’Amérique » et attribue au libre-échange la perte d’emplois dans le secteur manufacturier américain.

Robert Lightsizer a ainsi appelé à la mise en place d’un « nouveau système américain » de politique commerciale qui fasse appel aux droits de douane pour compenser le déficit commercial des États-Unis. Des prises de position qui sont donc dans la droite ligne des intentions affichées par Donald Trump d’imposer des taxes douanières uniformes de 60 % pour toutes les importations de produits chinois. Même si Lighthizer aurait toutefois expliqué qu’il ne fallait pas s’attendre à de telles taxes dans l’immédiat, cette menace étant plutôt un moyen de conclure des accords.

Mais l’artisan du nouveau protectionnisme américain pendant le premier mandat de Donald Trump, pourrait bien être à nouveau appelé à modifier en profondeur l’équation des échanges commerciaux des États-Unis avec le reste du monde. Ceci en particulier avec la Chine au moment où son économie traverse de fortes turbulences et affiche une fragilité inédite depuis plusieurs décennies avec un recul marqué de la croissance du PIB qui a chuté à moins de 5 % l’an et une hausse sans précédent du chômage, en particulier celui des jeunes.

Un autre choix de Donald Trump risque de renforcer les craintes à Pékin de fortes tensions à venir avec Washington : celui de nommer le commentateur de la chaîne de télévision Fox News Pete Hegseth secrétaire à la Défense. Ce dernier ne ménage pas ses critiques contre Pékin. En juin dernier, il avait à l’antenne prévenu du « danger immédiat » que poseraient les Chinois aux Américains : « La Chine échafaude une puissance militaire pour vaincre les États-Unis. » Lors de cette interview, Hegseth avait accusé Pékin de poursuivre une stratégie de « guerre ouverte » contre Washington, notamment en stationnant « des dizaines de milliers de citoyens chinois » à ses frontières sud.

Xu Jinping mieux préparé à Trump qu’en 2016 ?

Dans un message de félicitations envoyé à Donald Trump après sa victoire électorale, le président chinois Xi Jinping a souligné que « l’histoire nous enseigne que la Chine tout comme les États-Unis profitent de la coopération et perdent de la confrontation ». Pékin pourrait certes tirer parti sur le plan géopolitique d’un nouvel isolationnisme américain pendant le second mandat de Donald Trump, ce qui permettrait à la Chine d’avancer ses pions en Asie où elle espère chasser l’Amérique. La composition de la nouvelle administration Trump risque toutefois de contrecarrer ses plans dans ce domaine. Reste cependant le caractère hautement imprévisible du milliardaire de Manhattan qui rend toute prédiction hasardeuse.

« L’opinion répandue est que la politique chinoise de Trump qui a infligé un choc économique sérieux à la Chine était à mettre au compte du découplage [économique] sino-américain, écrit Katsuji Nakazawa, ancien correspondant à Pékin et éditorialiste du Nikkei Asia dans un commentaire publié le 14 novembre. Mais la vérité est que ce découplage avait été suscité par la Chine bien avant la première présidence de Trump. La politique haute en couleurs de Trump n’a fait que le rendre visible et l’accélérer. »

« Lorsqu’il reprendra la présidence [des États-Unis] dans deux mois, poursuit Katsuji Nakazawa, Trump trouvera une économie chinoise plongée dans des courants contraires, très différente de la forte puissance qui régnait en 2017, lorsque son mandat de quatre ans avait commencé. Cependant, en dépit de la menace de taxes douanières brandie par Trump, abandonner la [politique] d’autosuffisance de la Chine n’est pas une option pour Xi. » Pourquoi cela ? En réalité, « Xi n’a pas le choix sinon de continuer à plein régime vers son objectif de 2035. S’il échoue dans la réalisation de son projet de « Rêve chinois », des questions seront posées sur ses capacités à maintenir son règne au-delà de 2027, lorsque le Parti [communiste chinois] réunira son 21ème Congrès. »

Dans cette atmosphère où les deux dirigeants vont probablement l’un et l’autre camper sur leurs positions, le risque est fort de voir les relations entre les deux premières économies du monde, déjà très tumultueuses, se tendre encore davantage. Le quotidien britannique Financial Times souligne dans un article paru le 13 novembre que la Chine s’est déjà préparée à répliquer fortement à l’éventualité d’une nouvelle guerre commerciale avec le retour de Donald Trump au pouvoir.

Si Xi Jinping avait été pris par surprise en 2016 par la victoire de Trump, il a cette fois-ci déjà préparé des « contre-mesures fortes » pour permettre à l’économie chinoise de résister à une nouvelle guerre commerciale, affirme le quotidien des affaires britannique qui cite des conseillers et des analystes à Pékin. Les autorités chinoises ont ainsi déjà adopté un arsenal législatif permettant à la Chine d’inscrire des entreprises étrangères sur une liste noire et d’imposer des sanctions revenant à interdire l’accès aux États-Unis à certaines chaînes d’approvisionnement cruciales.

« Il s’agit d’un processus double, explique Wang Dong, directeur général du Institute for Global Cooperation and Understanding de l’Université de Pékin, cité par le Financial Times. La Chine va évidemment tenter d’engager le dialogue avec le président Trump pour, d’une façon ou d’une autre, essayer de négocier. Mais si, comme ce fut le cas en 2018, la négociation n’apporte rien et si nous devons lutter, nous allons défendre de façon résolue les droits et les intérêts de la Chine. »

Parmi les contre-mesures chinoises figure la possibilité pour Pékin d’imposer un contrôle strict des exportations de produits stratégiques tels que les métaux rares et le lithium qui sont des matériaux clés utilisés dans les hautes technologies à la fois civiles et militaires. La Chine « ferait de la sorte un usage de nature militaire de sa domination globale » dans ce secteur où ses ressources excèdent largement celles du reste du monde, analyse le Financial Times.

Pour Andrew Gilholm, directeur Chine au cabinet de conseil Control Risks, nombreux sont ceux aux États-Unis qui ont minimisé les dégâts que pourrait causer de telles mesures sur les intérêts américains. Des « coups de semonce » ont déjà été tirés par Pékin ces derniers mois, révèle Guilhom, dont des sanctions décrétées par la Chine contre Skydio, le plus grand fabricant américain de drones livrés par les États-Unis à l’armée ukrainienne, lequel n’a plus accès à des composants chinois critiques pour leur fabrication.

Pékin a également brandi la menace de sanctions contre PVH, un groupe dont fait partie Calvin Klein qui pourraient être écarté du marché chinois, capital pour son chiffre d’affaires. « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, estime Andrew Gilhom. Je ne cesse de dire à nos clients : « Vous pensez que vous avez correctement évalué le risque géopolitique lié à une guerre commerciale sino-américaine, mais ce n’est pas le cas car la Chine n’a pas encore réellement contre-attaqué pour le moment ». » Or tout serait déjà prêt à Pékin dans ce registre. « Tout le monde [en Chine] s’attendait déjà au pire et il n’y aura donc pas de surprise. Tout le monde est prêt », assure Wang Chong, un expert en relations internationale de la Zhejiang International Studies University, que cite le Financial Times.

L’Amérique pénalisée par une nouvelle guerre commerciale avec la Chine ?

Il reste que si Donald Trump met à exécution sa menace de droits de douanes à 60 % ou plus sur toutes les importations chinoises, les conséquences sur l’économie de la Chine pourraient bien se révéler gravissimes compte tenu de ses difficultés actuelles. Mais des mesures protectionnistes décidées contre la Chine pourraient également avoir un effet négatif sur les États-Unis.

Aux yeux de Joe Mazur, analyste basé à Pékin, expert des relations commerciales sino-américaines pour le groupe de consultants Trivium, une telle politique pourrait même se retourner contre l’Amérique. À la lumière d’un regain du protectionnisme américain, « si d’autres grandes économies commençaient à considérer les États-Unis comme un partenaire commercial non fiable, elles pourraient rechercher des liens commerciaux plus forts avec la Chine dans le but de trouver des marchés plus favorables à leurs exportations ».

Mais de l’avis prépondérant des analystes occidentaux, des représailles chinoises massives contre les États-Unis ne manqueraient pas d’avoir un impact majeur à long terme sur l’économie chinoise et les entreprises de ce pays. James Zimmerman, un responsable du cabinet d’avocats Loeb & Loeb à Pékin, juge que le gouvernement chinois pourrait en réalité être « totalement impréparé » au second mandat de Donald Trump, en particulier au « chaos et au manque de diplomatie qui va avec ». Or, dit-il, « la probabilité d’une guerre commerciale étendue pendant le second mandat du président élu des États-Unis est élevée. »

Pour le média américain Politico, la présence à la tête de l’administration Trump de « responsables hostiles à la Chine augure mal des relations sino-américaines dans les quatre prochaines années ». « La réponse de Pékin pourrait être de doubler la mise dans ses politiques belliqueuses dans le détroit de Taïwan ainsi qu’en mer de Chine du Sud », estime Lyle Goldstein, fondateur du China Maritime Studies Institute de l’Académie maritime américaine et actuellement analyste expert de l’Asie au think tank américain Defense Priorities basé à Washington.

Pour d’autres observateurs, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait néanmoins être à terme bénéfique à la Chine. « Je m’attends en effet à ce que les relations économiques entre les États-Unis et la Chine deviennent plus volatiles avec Trump mais je pense que, globalement, ceci pourrait se révéler mieux pour la Chine », relève Chen Zhiwu, professeur d’économie à l’Université de Hong Kong, cité par la chaîne de télévision américaine CBS. En effet, si Donald Trump met à exécution ses menaces de taxes douanières, ceci « pourrait forcer la direction à Pékin à n’avoir plus comme choix que de se concentrer sur l’économie parce que l’économie chinoise rencontre actuellement de grands problèmes ».

Quoi qu’il en soit, le maître de la Chine communiste connaît suffisamment Donald Trump pour ne pas se faire d’illusion. « Quelle que sera la rhétorique de Trump, Pékin a probablement déjà conclu qu’après sa première présidence, Trump a l’intention d’installer une rivalité féroce avec la Chine, quoi qu’il dise », estime le New York Times.

« Xi Jinping est un dirigeant dénué de sentiment et doté d’une interprétation sombre des intentions de l’Amérique à l’égard de la Chine, note Ryan Hass, directeur du John L. Thornton China Center de la Brookings Institution, cité par le quotidien new-yorkais. Il pourrait se montrer ouvert à une relation plus amicale avec Trump, mais il ne s’attend pas à une relation personnelle plus chaleureuse qui puisse le conduire à mettre de l’eau dans son vin dans son désir de compétition avec la Chine. »

En définitive, les incertitudes sur l’avenir des relations entre les deux grandes puissances de la planète sont d’autant plus grandes que, bénéficiant désormais de la majorité dans les deux chambres du Congrès américain, Donald Trump ne se sentira plus guère d’obstacles dans les décisions qu’il pourra prendre concernant la Chine.

« Personne ne sait ce que l’avenir réserve aux relations américano-chinoises, peut-être même pas Donald Trump lui-même, écrit ainsi Evan Medeiros, professeur à l’université Georgetown et ancien membre du National Security Council américain dans les colonnes du Financial Times. Les opinions du président élu sur la Chine sont si nombreuses et si contradictoires. »

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com