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mercredi 20 novembre 2024

La mer : colonne vertébrale de l’économie mondiale

 

Malraux écrivait que « le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer ». Mais la mer n’est pas qu’une vaste étendue dont la tranquillité n’est dérangée qu’au gré des humeurs changeantes du vent. Force est de constater qu’elle n’a également cessé de devenir un espace dans lequel se manifeste toute la complexité du monde. Dans ce contexte, l’économie bleue française, par son dynamisme et son importance stratégique, constitue un élément central de la puissance et de la résilience nationale, faisant de la France une nation maritime de premier plan.

Depuis l’Antiquité, où la Méditerranée représentait un enjeu stratégique pour l’Empire romain, jusqu’au Moyen Âge, où les navires vénitiens témoignaient de la puissance économique de la cité des Doges, la mer a toujours été au cœur des échanges mondiaux. Mais au XXe siècle, le commerce maritime est entré dans une nouvelle ère. En particulier depuis les années 1970, le transport de marchandises par voie maritime a connu un essor sans précédent. La mondialisation découle en effet d’une maritimisation croissante des échanges [voir p. 16]. Chaque année dans le monde, ce sont aujourd’hui environ 9 marchandises sur 10 qui transitent par voie maritime à bord de porte-conteneurs.

Des paquets de riz aux smartphones, en passant par le carburant, une immense partie des produits que nous consommons partent et arrivent d’un port. Au total, le transport maritime mondial représente un marché de près de 2 000 milliards d’euros. Mais au-delà, ce sont aussi les océans qui rendent possible la quasi-totalité de nos communications par l’intermédiaire de câbles sous-marins et qui nous fournissent en ressources fossiles et halieutiques, entre autres [voir p. 20]. 

Aujourd’hui, l’économie bleue est la colonne vertébrale de l’économie mondiale. Elle englobe tous les secteurs liés aux océans, aux mers et aux littoraux, qu’ils relèvent directement du milieu marin, comme le transport maritime, la fourniture de produits de la mer, ou du milieu terrestre, tels que les ports, les chantiers navals ou les infrastructures côtières. Toutefois, elle se trouve confrontée à des défis de taille. À l’échelle nationale, la France doit impérativement se mobiliser, car l’avenir de son économie maritime, et par extension de l’économie nationale, en dépend.

Entre tensions géopolitiques et nouveaux enjeux sécuritaires et environnementaux

L’instabilité géopolitique et la multiplication des conflits de toute nature constituent pour l’économie maritime une première difficulté notable [voir p. 27]. L’essor du commerce maritime s’inscrit dans la dynamique d’interconnexion croissante des échanges. Or, dans une économie mondialisée, les répercussions économiques des guerres et des conflits sont démultipliées. Certaines tensions géopolitiques ont tout particulièrement révélé la vulnérabilité des principales routes maritimes mondiales. Depuis fin 2023, les attaques perpétrées par les rebelles houthistes du Yémen, près du détroit de Bab el-Mandeb, conduisent plusieurs grandes compagnies du transport maritime à suspendre le passage de leurs navires dans la région, une décision non sans conséquences [voir p. 42]. 

En effet, la mer Rouge voit transiter 12 % du commerce maritime mondial de marchandises et joue un rôle crucial dans les échanges entre l’Asie et l’Europe. Renoncer à y passer et opter pour le cap de Bonne-Espérance conduit par exemple un navire voulant rallier Rotterdam depuis Shanghai à allonger sa durée de navigation de 14 jours. Or, l’allongement des routes empruntées contribue à l’augmentation de la consommation de carburant, perturbe les chaines d’approvisionnement et engendre des surcouts, surtout pour les compagnies maritimes et dans une moindre mesure pour les consommateurs.

Enjeu ancien, la piraterie affecte l’économie bleue. Dans sa conception moderne, elle cible indifféremment les navires de commerce, de pêche ou de plaisance et aggrave de surcroit l’insécurité de certaines routes maritimes. Plusieurs régions sont particulièrement touchées, parmi lesquelles le golfe de Guinée, devenu l’épicentre de l’insécurité maritime avec un tiers des actes de piraterie mondiaux, et l’Asie du Sud-Est, où les menaces d’enlèvement par des groupes criminels restent préoccupantes. Or, la piraterie en haute mer entraine des pertes financières annuelles de plusieurs milliards de dollars. Ce phénomène risque de s’intensifier, entrainant une hausse des primes d’assurance maritime et, par conséquent, une augmentation des couts de transport. Ainsi, l’un des premiers défis pour l’économie maritime est de rétablir la sécurité et la stabilité nécessaires à la prospérité des échanges.

Mais il existe aussi d’autres tensions en mer, moins visibles, mais tout aussi importantes, qui renferment des enjeux de souveraineté économique importants : la gestion et le contrôle des câbles sous-marins. Ils s’étendent sur 1 200 000 kilomètres, soit 32 fois le tour de la Terre. Les géants technologiques, tels que les GAFAM ou leurs homologues chinois tel Huawei, accroissent leur influence sur ces infrastructures vitales, soulevant des questions cruciales concernant la neutralité du net et la sécurité des communications internationales.

Les espaces maritimes et littoraux naturels sont en péril, principalement en raison des activités humaines. Les indicateurs sont alarmants, notamment sur des problématiques telles que la pollution plastique, le réchauffement climatique, l’acidification des océans, la montée des eaux, la surpêche ainsi que la diminution de la biodiversité. Bien que ces défis soient intégrés dans certains accords internationaux, comme le traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), ils doivent s’accompagner d’une transition profonde de nos sociétés, incluant l’économie maritime. Au-delà de la nécessaire reconfiguration des filières existantes, le secteur maritime offre également des alternatives prometteuses, que ce soit dans le domaine énergétique avec des énergies renouvelables, en matière d’alimentation avec une aquaculture en relais de la pêche respectueuse de l’environnement, ou encore dans le domaine sanitaire grâce à la découverte de nouvelles molécules.

La transition écoénergétique de l’économie maritime : une opportunité sous tension

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au transport maritime international représentent seulement 2,89 % du total des émissions au monde (étude 2020 de l’Organisation maritime internationale — OMI). C’est le mode de transport le moins polluant à la tonne transportée.

Fort de ce constat, les organisations internationales et les États se sont engagés ces dernières années en faveur de trajectoires de réduction plus ambitieuses en ciblant spécifiquement l’économie maritime. L’Union européenne (UE), à travers le paquet « Fit for 55 », découlant du Pacte vert, et son initiative « FuelEU Maritime » adoptée en juillet 2023, doit contribuer à amorcer la production à grande échelle de carburants marins renouvelables bas-carbone, tout en garantissant la fluidité du trafic maritime. Ces initiatives doivent aussi permettre de placer le transport maritime sur la trajectoire des objectifs climatiques de l’UE pour 2030 et atteindre enfin la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, l’UE s’est également engagée à soutenir le développement de la filière de l’éolien offshore en fixant l’objectif de porter la capacité européenne de production de 12 à au moins 60 GW d’ici à 2030. Sur ce volet, le président Macron a fixé l’objectif de la mise en service en France de 45 GW à l’horizon 2050 lors des « Assises de l’économie de la mer » de novembre 2023, ainsi que l’attribution de 2 GW par an dès 2025.

L’OMI a également renforcé ses positions concernant la décarbonation de l’économie maritime et des navires de ses États membres en adoptant en 2023 une stratégie révisée comprenant des objectifs revus à la hausse pour lutter contre les émissions nocives. Cette ambition commune doit permettre la réduction à zéro des émissions nettes de GES provenant du transport maritime international avant ou vers 2050. Pour ce faire, plusieurs mesures ont été suggérées par l’OMI, une norme sur les combustibles en fonction d’objectifs tendant à la réduction progressive de l’intensité des émissions de GES et une autre fondée sur un mécanisme de tarification des émissions du secteur.

Si les projets autour des e-carburants se multiplient et suscitent certains espoirs, ils sont pour l’heure particulièrement onéreux et demeurent loin de se concrétiser par une production à l’échelle industrielle. Ces opportunités nécessitent ainsi des investissements considérables et une collaboration plus étroite entre les pouvoirs publics, l’industrie ainsi que les autres parties prenantes. Ce sont ces apports collectifs qui permettront ensuite de poursuivre les investissements dans la recherche et le développement (R&D) de technologies de décarbonation innovantes, de même que dans les infrastructures de production de e-carburants nécessaires pour accompagner leur déploiement. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une diplomatie nationale des carburants de synthèse doit conduire la France à sécuriser ses ressources les plus compétitives et à projeter son industrie dans les pays qui disposent de celles-ci.

Dans le même temps, le transport vélique, reposant sur une propulsion en partie ou en totalité par la force du vent, connait un essor certain à travers une multiplication des projets, notamment en France, et ce, malgré une exclusion de ce type de propulsion de la taxonomie européen de la catégorie zéro émission et des financements qui y concourent. Le slow steaming, reposant quant à lui sur la réduction de la vitesse des navires pour diminuer les émissions, évoqué lors du sommet du G7 de Biarritz en 2019 par le président Macron, constitue une autre possibilité, mais qui comprend des effets pervers potentiels qui ne peuvent être sous-estimés, la répercussion financière sur les supply chains et l’augmentation des flottes par les armateurs pour maintenir un niveau de service équivalent en termes de délais étant les craintes le plus évoquées.

L’économie bleue française : colonne vertébrale de la souveraineté nationale

L’économie bleue française s’impose aujourd’hui comme un pilier essentiel de notre économie nationale, contribuant directement à la souveraineté alimentaire, énergétique, industrielle et sanitaire de la France. Elle joue un rôle crucial dans la préservation et le développement de notre nation car 72 % de nos importations et exportations transitent par voie maritime. Nos communications sont toutes autant concernées : 95 % d’entre elles transitent par des câbles sous-marins, accroissant la dimension stratégique de ce secteur.

En pleine mutation et toujours en quête d’innovation, l’économie bleue française a généré une valeur de production de 116 milliards d’euros en 2023 (1), tout en offrant plus de 530 000 emplois directs. D’ici 2030, l’ambition du secteur est d’atteindre une valeur de production de 150 milliards d’euros ainsi qu’un million d’emplois.

La France possède le deuxième plus grand espace maritime au monde, qui s’étend grâce aux territoires ultramarins répartis dans tous les océans. Il confère à la France un statut unique, celui d’un pays où le soleil ne se couche jamais. Cette immensité impose une présence militaire constante, assurée par une Marine nationale de premier rang en Europe et la septième au monde en termes de tonnage. Cette dernière dispose du seul porte-avions nucléaire non-américain, ainsi que d’une panoplie de moyens d’actions exceptionnelle, notamment ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) [voir p. 70]. 

Ce territoire implique également des milliers de kilomètres carrés inexplorés, avec notamment les grands fonds marins, dont 92 % sont encore inconnus mais déjà convoités, qui font l’objet d’une stratégie nationale avec comme objectif principal d’explorer pour mieux connaitre.

Les trois façades maritimes de la France hexagonale et son vaste domaine maritime ont favorisé l’essor de fleurons industriels nationaux. Dans le transport maritime, la compagnie marseillaise CMA CGM se distingue en tant qu’un des trois leaders mondiaux, avec une capacité de 3,56 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) et une flotte de plus de 500 navires. Louis Dreyfus Armateurs (LDA) est un autre acteur clé, jouant un rôle majeur dans le transport et la logistique de l’éolien offshore. LDA est également un pilier dans le secteur stratégique des câbles sous-marins, en armant la flotte d’Alcatel Submarine Networks, désormais retourné dans le giron de l’État qui, avec Orange Marine, fait partie des leaders mondiaux dans la fabrication, la pose et l’entretien de ces infrastructures vitales.

Cette tradition maritime française s’étend également à l’industrie navale, où les carnets de commande des chantiers sont remplis. Les Chantiers de l’Atlantique, spécialisés dans la construction de paquebots, affichent des carnets de commandes bien remplis. Sur le plan militaire, Naval Group consolide la défense nationale à travers ses constructions navales, tout en affirmant sa présence à l’international, qui constitue plus du tiers de son chiffre d’affaires. Côté plaisance, la France excelle, notamment dans la construction de voiliers grâce au groupe Beneteau, leader mondial dans ce domaine.

À toutes ces filières bien développées s’ajoutent des filières en plein boom de croissance, portée par les mutations de la société et l’évolution technologique. Ainsi, la filière française des énergies marines renouvelables (2) connait une croissance considérable sur ces dernières années, son chiffre d’affaires à l’export ayant triplé en l’espace d’un an. L’éolien en mer contribue à la diversification du mix énergétique français et la filière doit continuer son développement pour atteindre l’ambitieux 45 GW d’éolien en mer d’ici 2050.

Terre d’innovation, la France accueille des start-up maritimes dans bien des domaines : numérique, robotique, alimentation, énergie, transport, biodiversité, santé (3). Cet écosystème en pleine ébullition apporte des solutions en faveur de la protection des océans, de la décarbonation des navires, de la pêche et de l’aquaculture durable ou encore du traitement des données numériques maritimes.

Des menaces pouvant altérer l’essor de l’économie maritime française

Dans un contexte de mutations profondes accompagnant l’essor de l’économie maritime au niveau mondial, les différentes filières de l’économie bleue française font face à un nombre croissant de menaces. Parmi celles-ci, certaines, pouvant être considérées comme traditionnelles telles que la piraterie ou la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), connaissent un renouveau récent qui n’est pas sans risques.

En effet, si la zone économique exclusive (ZEE) française constitue un vecteur de croissance fort, son étendue à travers de vastes surfaces réparties sur tout le globe incite certains groupes ou acteurs locaux à s’adonner à des pratiques illicites mais particulièrement rémunératrices. Face à cela, la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) définit et met en œuvre la politique de lutte contre la pêche INN à travers son Bureau de liaison unique (BLU), avec le concours essentiel de la Marine nationale.


Toutefois, certaines zones demeurent particulièrement exposées à des pratiques de prédation, notamment Clipperton, en dépit de l’accord franco-mexicain reconduit en 2017, et la Guyane, où le président de la République s’est engagé en mars 2024 à renforcer les dispositions de contrôle et les opérations de démantèlement qui ont conduit à la destruction de 10 navires utilisés pour des activités illicites.

De façon plus globale, le contexte géostratégique est marqué par une « augmentation du désordre international », comme le soulignait l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, dans le bilan annuel 2023 sur la sureté des espaces maritimes du MICA Center (4). Si les zones internationales les plus exposées ont concentré l’essentiel des moyens déployés, le territoire national est quant à lui exposé à des menaces plus insidieuses. C’est ce que la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France (5) a souligné : il existe de nombreuses inquiétudes quant aux menaces identifiées dans les ports secondaires français, pour l’heure insuffisamment armés pour faire face au « tsunami blanc » du trafic de drogues dénoncé par différentes parties prenantes.

Concernant les risques liés au dumping social et à la concurrence déloyale affaiblissant les armateurs français, la récente prise de conscience issue des licenciements massifs de marins européens de la compagnie transmanche P&O Ferries s’est finalement traduite par la loi Le Gac du 26 juillet 2023. Les décrets d’application publiés fin mars 2024 permettent de mieux lutter contre le dumping social transmanche et renforcent la sécurité du transport maritime. Pour autant, si la loi Le Gac constitue une réponse forte au niveau national, celle-ci doit désormais être portée au niveau européen, alors même que le paquet législatif de révision des directives relatives au transport maritime présenté fin 2023 ne contenait aucune disposition visant à réduire les pratiques de dumping et que de nombreuses lacunes demeurent au niveau mondial.

Concernant la filière pêche, les professionnels sont confrontés à des obstacles structurels anciens, qui se sont accentués au gré des crises conjoncturelles récentes (Covid-19, crise de l’énergie, épisodes inflationnistes). Alors que les navires sont âgés en moyenne de 31 ans (6), la filière fait face à un important taux d’érosion, avec une diminution des effectifs de marins pêcheurs de près de 10 % rien qu’entre 2020 et 2021 (7). Aussi, la pêche professionnelle française est fragilisée par de nombreux phénomènes qui s’amplifient, tels que la concurrence accrue avec les États membres de l’UE et les États tiers, couplée à une réduction croissante des zones de pêche en raison d’accords politiques (par exemple entre l’UE et le Royaume-Uni en 2022 à l’issue du Brexit), d’un effondrement des ressources halieutiques, des restrictions liées à des considérations environnementales (comme l’illustrent les arrêtés successifs du Conseil d’État en 2023 pour mieux préserver ponctuellement les populations de mammifères marins dans le golfe de Gascogne (8)) et des nouveaux usages de la mer liés au déploiement des énergies marines renouvelables.

En ce qui concerne les ports français, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a montré à quel point ils constituaient, et notamment les trois principaux — HAROPA, Marseille et Dunkerque —, aussi bien des instruments de souveraineté incontournables que des atouts stratégiques indispensables au maintien et au développement de la compétitivité économique. Partant de ce constat, la stratégie nationale portuaire de 2021 identifie les priorités afin de surmonter les limites actuelles du modèle français en ciblant un objectif de reconquête des parts de marché devant porter à 80 % à l’horizon 2050 (contre 60 % aujourd’hui) la part du fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France qui est manutentionnée dans les ports de commerce français, et ainsi reconquérir les flux européens. L’ambition est de pouvoir à terme se positionner comme des concurrents réels au « Delta d’Or », qui rassemble les ports d’Anvers, Zeebrugge et Rotterdam, et plus largement de consolider notre position dans la rangée nord-européenne.

Enfin, concernant l’industrie navale, à l’échelle européenne, il convient de mettre en place une véritable stratégie industrielle maritime pour lutter contre le dumping asiatique qui gonfle anormalement les carnets de commande chinois ou sud-coréens à coup de subventions et sans aucun règlement de l’UE pour y faire face. En agissant sur les incitations financières, l’investissement continu pour la R&D et l’outil de production au profit du « made in Europe », un cadre réglementaire plus favorable pour soutenir la compétitivité et former plus de main-d’œuvre qualifiée, l’industrie navale européenne et en particulier française pourra construire 10 000 navires décarbonés et digitalisés à l’horizon 2035 (9).

Des défis réels restent à relever pour assurer un développement pérenne à moyen et long terme

D’une part, les enjeux de formation et d’attractivité demeurent une problématique majeure pour un grand nombre de filières de l’économie maritime, qui voient pour l’heure leur activité freinée en raison d’une main-d’œuvre qualifiée trop largement insuffisante, comme en attestent les quelque 400 000 emplois vacants, dont 100 000 rien que pour la filière pêche.

D’autre part, la crise en Nouvelle-Calédonie a provoqué une situation de quasi-effondrement économique alors que les acteurs locaux estiment les pertes entre 20 et 30 % du PIB local en seulement trois mois. Cette situation fragilise de fait la position française dans l’Indo-Pacifique, dont la mise à jour de la stratégie de 2019 a été repoussée sine die.

Aussi, dans la situation politique et institutionnelle actuelle, il existe un enjeu de cohérence réel quant à la poursuite des objectifs énergétiques fixés, tandis que la France est déjà en retard sur les cibles européennes en matière d’énergies renouvelables.

Malgré les récentes mesures entreprises qui ont permis d’engager l’État et les collectivités dans une trajectoire plus ambitieuse devant permettre à terme de faire de la France la nation leader de l’éolien offshore d’ici 2050, la récente dissolution de l’Assemblée nationale a rebattu les cartes. Les filières se retrouvent confrontées à des risques de sécurité juridique et d’absence de visibilité qui pourraient s’avérer préjudiciables pour leurs investissements, les procédures étant placées en stand-by en attendant l’avènement d’un nouveau gouvernement dont les marges d’action sont nombreuses dans le domaine.

Enfin, les besoins de financement de l’économie bleue française sont également prégnants. La décarbonation, les infrastructures et les technologies maritimes innovantes mobilisent en effet des ressources financières plus importantes par rapport aux moteurs gazoles traditionnels. Divers projets enclenchés conjointement par l’État et des acteurs privés constituent des solutions novatrices qui doivent permettre de soutenir les mutations du monde maritime, des petits navires de pêche aux grandes installations portuaires. Plus largement, l’engagement de l’écosystème maritime dans une démarche stratégique doit permettre d’assurer une visibilité de moyen et long terme et de mobiliser, en lien avec les banques et les assurances, des capacités d’investissements publiques et privées pérennes.

La France a pris le tournant de la maritimisation, qui a conduit à faire de la mer un objet politique central, dans lequel l’économie bleue assure un rôle pivot, vecteur de développement et de souveraineté. Les crises actuelles, qu’elles soient militaires, économiques ou environnementales, mettent en lumière la nécessité d’une flotte stratégique capable d’assurer les intérêts vitaux du pays. C’est en renforçant ses capacités maritimes tout en développant ses filières historiques et émergentes que la France pourra faire face aux défis contemporains de l’économie maritime.

Notes

(1) Chiffres 2023 de l’économie bleue française, Cluster Maritime Français.

(2) Observatoire des énergies de la mer, « La construction des premiers parcs éoliens en mer bat son plein », rapport n°8, juin 2024 (https://​merenergies​.fr/​l​a​-​c​o​n​s​t​r​u​c​t​i​o​n​-​d​e​s​-​p​r​e​m​i​e​r​s​-​p​a​r​c​s​-​e​o​l​i​e​n​s​-​e​n​-​m​e​r​-​b​a​t​-​s​o​n​-​p​l​e​i​n​-2/).

(3) CMF, « Index French Blue Tech : lancement du 1er index des startups maritimes françaises », recensant les 35 start-up du maritime les plus prometteuses, 19 décembre 2023 (https://​www​.cluster​-maritime​.fr/​2​0​2​3​/​1​2​/​1​9​/​i​n​d​e​x​-​f​r​e​n​c​h​-​b​l​u​e​-​t​e​c​h​-​l​a​n​c​e​m​e​n​t​-​d​u​-​1​e​r​-​i​n​d​e​x​-​d​e​s​-​s​t​a​r​t​u​p​s​-​m​a​r​i​t​i​m​e​s​-​f​r​a​n​c​a​i​s​es/).

(4) Voir le site du Maritime Information Cooperation & Awareness Center : https://​www​.mica​-center​.org/.

(5) Sénat, « Commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier », 14 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​g​i​j​4​wn7).

(6) Ifremer, Système d’informations halieutiques (SIH), « Synthèse de la flotte : France métropolitaine », 2020 (https://​archimer​.ifremer​.fr/​d​o​c​/​0​0​7​4​6​/​8​5​8​01/).

(7) Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la pêche, « Rapport national 2021 », décembre 2022 (https://www.ocapiat.fr/wp-content/uploads/RAPPORT-2021-PÊCHE-VD.pdf).

(8) Conseil d’État, décisions n°449788, 449849, 453700, 459153, lecture du 20 mars 2023 et n°489926, 489932, 489949, ordonnance du 22 décembre 2023.

(9) SEA Europe, « Setting sail to build in Europe 10,000 sustainable and digitalised vessels by 2035 », avril 2024 (rebrand​.ly/​o​x​c​h​s4e).

Nathalie  Mercier-Perrin

areion24.news