Depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, il était régulièrement question d’un possible embrasement du conflit notamment vers le Sud du Liban et secondairement la Cisjordanie où l’on compte 700 morts depuis un an. Mais on ne voulait pas y croire!
Selon les derniers bilans publiés mercredi matin, les explosions israéliennes ont provoqué près de 3200 blessés, dont l’ambassadeur iranien au Liban, et une trentaine de tués dont six membres du Hezbollah et trois enfants, sans parler la saturation du système de santé et l’écroulement des systèmes de sécurité. L’ampleur et la sophistication des moyens ont provoqué une sorte de sidération. Toutes choses étant égales, les explosions sont l’équivalent d’un 7 octobre palestinien pour le Hezbollah confronté à l’infinie supériorité de l’armée israélienne et à la carence de ses propres services de sécurité.
Depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, il était régulièrement question d’un possible embrasement du conflit notamment vers le Sud du Liban ou éventuellement la Cisjordanie. Une façon de conjurer le sort, on ne voulait pas croire! au pire, surtout chez des Libanais habitués au pire et toujours prêts à faire face avec leur détermination légendaire.
Il faut ainsi préciser ici qu’au même titre que les réserves israéliens sont considérés comme des civils lors qu’ils ne servent pas. De même, le fait d’avoir viser des combattants du Hezbollah lors qu’ils ne servent pas, en font des civils d’autant plus que ces derniers se trouvaient dans des zones civiles, supermarchés, voire même chez eux, mutilants des quidams qui avaient le simple tord d’être seulement à côté. Cela est constitutif d’une qualification de crime de guerre.
Et le Hezbollah l’a bien compris. Pourquoi donc prendre un tel risque côté israélien ? Les frappes récentes, bien qu’attribuées à Israël, semblent faire partie d’une stratégie plus large, qui combine action militaire et manipulation technologique qui font que le gain de l’opération dépasse à priori le coût des accusations de crime de guerre et cela mène à penser qu’il s’agit pour Tel Aviv de provoquer pour obtenir la guerre.
Un certain déni
Chacun en fait s’employait à trouver toutes les bonnes raisons de ne pas croire à la généralisation du conflit: les risques de pertes humaines considérables pour Tsahal dans l’hypothèse d’une attaque terrestre, les divisions communautaires du pays du Cèdre, l’attentisme des Iraniens, la non utilisation par le Hezbollah de ses missiles les plus performants qui peuvent atteindre le cœur du territoire israélien. Les déclarations d’Hassan Nasrallah allaient aussi dans le sens d’un certain apaisement. Le chef du Hezbollah qui doit parler ce jeudi dans l’après midi réclamait à longueur d’interventions un cessez le feu à Gaza qui permettrait de déposer les armes.
On n’en est plus là. La violation du territoire libanais et les des explosions meurtrières, ouvrent une nouvelle phase dans le conflit, sans doute programmée depuis longtemps par Benjamin Netanyahu. Le centre de gravité du conflit moyen oriental se déplace vers le Nord, pour reprendre les termes du ministre de la Défense israélien qui passe pourtant pour le seul « modéré » du cabinet de guerre de tel Aviv. Et le même d’ajouter: « Nous sommes dans une nouvelle phase du conflit ». Et d’un conflit sans fin !
La fuite en avant
« Nous avons l’impression au Liban d’un conflit qui ne finira jamais », déclarait sur France Inter ce jeudi matin, Anthony Samrani, le directeur du journal libanais « l’Orient le Jour ». L’impasse stratégique est totale pour l’ensemble des acteurs, qu’ils soient libanais, israéliens ou palestiniens. Le Hezbollah possède certes une force de nuisance, mais certainement pas les moyens de faire jeu égal avec l’armée israélienne. Une invasion terrestre pourrait transformer le Liban Sud, voire une partie de Beyrouth, en un champ de ruines, mais sans apporter une sécurisation du Nord du territoire israélien que des milliers d’habitants ont du quitter depuis le 7 octobre. Les deux Premiers ministres israéliens qui ont envahi le Liban en 1982, puis en 2006, ont totalement échoué dans leur tentative de pacification.
Seuls les Américains, adossés à leurs alliés du Golfe et forts de leurs livraisons militaires aux Israéliens, peuvent tenter de remettre le droit international au centre du jeu. Rien n’indique que Benjamin Netanyahu, enfermé dans le rêve d’un Moyen Orient débarrassé du Hamas et du Hezbollah, et d’une grande partie des Palestiniens traités comme des citoyens de seconde zone, soit décidé à modérer ses ardeurs guerrières. Du moins jusqu’à l’élection présidentielle de novembre où le scénario d’une victoire de Donald Trump, le partisan d’un combat sans merci contre le programme nucléaire iranien, serait pour lui une divine surprise et une catastrophe pour l’équilibre régional.
Israël, sous la direction de Benjamin Netanyahou, a multiplié les actions hostiles afin de garantir sa survie politique même si cela contredit les intérêts d’Israël qui n’a pas les moyens militaires ou économiques de mener un conflit sans soutien américain. Parmi elles, l’attaque contre la banlieue sud de Beyrouth, un fief du Hezbollah, et l’incident diplomatique impliquant le consulat iranien.
Ce jeu dangereux semble avoir une finalité plus immédiate : déclencher un conflit avant les élections présidentielles américaines de 2024. Le calendrier ne paraît pas être un hasard. En effet, en provoquant une guerre, Netanyahou pourrait espérer influencer les positions américaines, en misant sur un changement de cap après les élections. De plus, dans le contexte politique israélien, où Netanyahou est en difficulté, une guerre pourrait lui permettre de rallier une partie de la population autour d’une menace extérieure et de s’assurer un soutien plus large.
À cela s’ajoute une opération symboliquement forte à Téhéran visant Haniyeh, qui, sans surprise, a encore intensifié les tensions régionales. Chaque incident semble faire partie d’une stratégie plus large qui vise à provoquer une réponse violente de l’Iran ou du Hezbollah. En déclenchant une réaction, Israël pourrait alors se positionner en victime aux yeux de la communauté internationale, ce qui pourrait lui offrir une légitimité pour une offensive plus vaste et garantir ce soutien américain qu’il recherche. Cela Le Hezbollah et l’Iran l’ont à priori déjà compris.
Toute la question qui demeure maintenant est de savoir si finalement, vu la dernière opération, le Hezbollah ne pourra que répondre et quelle sera sa réponse qui se doit d’être tout aussi inédite que l’attaque terroriste israélienne tout en évitant de paraitre comme étant à l’initiative d’un nouveau conflit et en laissant cette responsabilité à Netanyahu lui-même.
De son côté, le Hezbollah ne reste pas inactif. Son secrétaire général, Saïd Hassan Nasrallah, doit s’exprimer à 17h aujourd’hui. Ce discours est attendu avec impatience, car il pourrait bien déterminer la réponse de l’organisation et la trajectoire future du Liban dans ce bras de fer avec Israël. Le Hezbollah, bien conscient des pièges du passé, est désormais sur ses gardes, prêt à réagir avec une intensité qui pourrait bien entraîner tout le pays dans une nouvelle spirale de violence.
Nicolas Beau