Nouvelle loi chinoise sur le pouvoir des gardes-côtes en mers de Chine, incursion incessantes dans le détroit de Taïwan, activités en zone grise… La République populaire poursuit sa stratégie de provocation pour imposer sa domination maritime. À n’importe quel prix ?
En cette entame d’été capricieuse et incertaine, sur les marges orientales du Vieux continent comme dans de trop nombreuses autres régions de la planète dont le Moyen-Orient, il n’est tout simplement pas avisé de se tourner vers l’Asie-Pacifique pour tenter de trouver quelque motif d’apaisement. Voire simplement reprendre son souffle et espérer des lendemains moins sombres. Au contraire.
Voilà des semaines sinon des mois que l’actualité asiatique bruisse quasi quotidiennement du son de la provocation et du canon dans la péninsule coréenne, des joutes verbales acerbes répétées jusqu’à l’ONU à des lieues de toute mesure diplomatique, du bruit assourdissant des appareils à réaction pénétrant parfois par dizaines dans l’espace aérien du voisin dans le détroit de Taïwan, ou encore de la corne de brume et des mégaphones de bâtiments divers intimant – avant action … de plus en plus souvent résolument violente – aux vaisseaux « étrangers » de faire demi-tour sur le champ et d’aller croiser plus loin, en mer de Chine du Sud. Et, tout désespéré pourrait-on légitimement être par cette configuration tragique autant qu’inquiétante, il ne s’agit même pas d’orienter le regard vers les hauts plateaux tibétains ou les crêtes himalayennes pour espérer là encore recouvrer quelque sérénité toute relative. Ni même en direction des plages ensoleillées de la baie du Bengale dans l’océan Indien, jusqu’alors épargnées par la violence des hommes. La lecture de quelques articles récents de la presse spécialisée balaie effectivement toute velléité d’optimisme à ce propos.
Mercredi 3 juillet, veille de la fête de l’indépendance outre-Atlantique mais jour de grande tension entre Pékin et Taipei dans l’archipel taïwanais des Pescadores, la défiante et polymorphe armada maritime chinoise – ses navires de guerre, ses garde-côtes, sa milice maritime ou ses chalutiers – cinglant dans le détroit de Taïwan donnait encore la pleine mesure de la défiance animant la Chine dans son rapport conflictuel croissant avec la démocratique « île rebelle ». Seulement 24 heures après avoir intercepté un bateau de pêche taïwanais au large des îles Kinmen, après avoir arrêté son maigre équipage taxé de pêche illégale et remorqué le navire dans un port chinois, provoquant l’émotion et l’ire que l’on devine dans la capitale taïwanaise, les garde-côtes chinois (CCG) réitéraient leur désormais routinière « grey zone tactics » ou « activités en zone grise » en intimant à un autre chalutier taiwanais de quitter les lieux immédiatement, le contraignant à appeler en renfort les garde-côtes de Taipei.
Le président Xi Jinping s’est-il tant ému du récent sommet Poutine–Kim Jong-un le 19 juin pour reporter son courroux si rudement sur Taiwan ? Dans l’austère capitale nord-coréenne le 19 juin dernier, le président russe et le dirigeant de Pyongyang ont signé un traité élevant les relations entre la Corée du Nord et la Russie au rang de « partenariat stratégique global ». Par ailleurs, les manœuvres militaires trilatérales organisées fin juin par les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud en mer de Chine de l’Est, signe de l’inquiétude face aux libertés prises par la dictature nord-coréenne, ont-elles pareillement courroucé le maître de Pékin au point de forcer la mesure, en retour, sur d’autres théâtres asiatiques objets de contentieux ?
Il est vrai qu’à peine deux jours plus tard, le 21 juin, les médias d’État chinois révélaient les nouvelles directives de Pékin prévoyant de lourdes sanctions judiciaires à l’encontre des « irréductibles partisans de l’indépendance de Taïwan » pour incitation à la sécession, la peine de mort pouvant être infligée aux « meneurs » sécessionnistes, des peines d’emprisonnement de 10 ans à la perpétuité étant également au menu de cet arsenal répressif dénoncé aussitôt par les autorités taïwanaises, le président Lai Ching-te soulignant à juste titre l’incongruité autant que l’illégalité de cette douteuse initiative pékinoise : « Les tribunaux chinois n’ont aucune compétence à Taïwan. On ne voit pas clairement comment la Chine pourrait chercher à faire exécuter des jugements en dehors de ses frontières. »
Pour autant, on ne dissuade pas Pékin si facilement. Tout sauf une surprise. Le 25 juin, au lendemain de cette sortie du nouveau chef de l’État taïwanais, un nouvel épisode de tension entre garde-côtes taïwanais et chinois survenait au large des îles Kinmen. Pendant deux heures, quatre navires chinois pénétraient dans l’espace maritime taïwanais, faisant face à trois patrouilleurs taïwanais à seulement cinq milles nautiques de Kinmen, l’avant-poste de défense de « l’île rebelle ».
Cela ne consolera guère Taipei de rappeler qu’en ce début d’été 2024, elle n’est pas la seule capitale d’Asie orientale à subir les foudres diplomatiques pékinoises quasi quotidiennes et les assauts répétés de la marine de l’Armée populaire de libération chinoise, de plus en plus hardie sinon résolument agressive, sans plus se cacher désormais. Les Philippines, sous la présidence de Ferdinand Marcos Jr. depuis juin 2022, sont parallèlement revenus en grâce du côté de Washington. Cela tombe bien pour une alliée stratégique de longue date des États-Unis en Asie-Pacifique, d’autant que les rapports sino-philippins connaissent des jours particulièrement sombres au fil des incidents qui se multiplient en mer de Chine du Sud, sur une série de récifs notamment (Second Thomas, Scarborough, Sabina), dont Pékin et Manille se disputent âprement la souveraineté. Et ce, encore tout dernièrement. Voyez plutôt.
Le 17 juin, alors que la marine et les garde-côtes philippins s’activaient au ravitaillement de leurs troupes présentes sur leur poste-avancé à bord d’un ancien bâtiment échoué du haut-fond Second Thomas, les garde-côtes chinois éperonnaient les bateaux philippins, montaient à bord, attaquaient physiquement leurs marins, faisant plusieurs blessés. Le premier incident sino-philippin du genre depuis l’entrée en vigueur le 15 juin d’une nouvelle loi chinoise autorisant notamment ses garde-côtes à saisir des navires étrangers et à détenir les équipages « coupables » d’intrusion pendant 60 jours sans procès. Deux jours plus tard, au surlendemain de ces incidents, quatre navires de la marine chinoise, dont deux destroyers, croisaient au large de ce périmètre sensible, prêts selon les observateurs à durcir leurs tactiques agressives et à tester la détermination de Manille et de son allié américain. Si le chef de l’État philippin a peu après les faits décoré les marins ayant affronté à mains nues avec leurs homologues chinois armés pour certains, Manille entend ces tous derniers jours privilégier la voie de l’apaisement et engager Pékin dans cette veine moins belliqueuse. Ce que semble a priori accepter à cette heure l’ombrageuse République populaire. Pour rappel, Pékin revendique 90 % des 3,5 millions km² de la mer de Chine du Sud, au mépris du droit international et des revendications légitimes des six autres nations riveraines de cet espace maritime stratégique à plus d’un titre.
Pour terminer cette tribune sur une note plus optimiste, on aimerait à penser que le gouvernement chinois, tant à l’égard de Manille que de Taipei, va bien finir par se ranger aux arguments de celles et ceux prêchant une désescalade nécessaire, dans le détroit de Taïwan comme sur les si sensibles et disputés hauts-fonds de mer de Chine du Sud. Pourtant, les augures du jour ne semblent pas si favorables à pareil projet. Ce vendredi 5 juillet, le ministère taïwanais de la Défense nationale signalait la présence à proximité immédiate de l’île de pas moins de 36 appareils chinois et de 6 navires. Ce, alors même qu’au nord de Taïwan, près de l’estuaire du fleuve Qiantang, les forces chinoises achevaient sur leur sol trois jours de manœuvres militaires très suggestives.
Quant aux efforts de décrispation censés prévaloir entre Pékin et Manille, on peine à leur accorder quelque crédit, quelque chance de s’étirer au-delà de ces prochains jours. Il serait fort étonnant qu’autour des hauts-fonds Second Thomas ou Sabina dans l’archipel des Spratleys, et à Scarborough (220 km à l’ouest de l’île philippine de Luzon) ne survienne pas un nouvel accrochage anodin entre bâtiments philippins et navires chinois. On serait hélas moins surpris qu’un incident plus grave, faisant victimes et dégâts matériels, ne survienne un jour prochain. Mais ne serait-ce pas là après tout ce que recherche la République populaire ?
Olivier Guillard