Jusqu’aux années 2000, Israël et la Turquie entretenaient de très bonnes relations, les deux pays étant par exemple liés par des accords de défense [signés en 1996] et commerciaux. Seulement, celles-ci commencèrent à se détériorer sérieusement à partir de 2008, quand Tsahal lança l’opération « Plomb durci » contre le Hamas, dans la bande de Gaza. Puis, le point de rupture fut atteint en mai 2010, après l’assaut donné par les commandos israéliens contre le Mavi Marmara, navire amiral d’une flottille censée acheminer de l’aide humanitaire à la population gazaouie.
Il fallut ensuite attendre 2016 pour voir l’État hébreu et la Turquie reprendre leurs relations diplomatiques. Mais pas pour longtemps car, deux ans plus tard, suite aux sérieux incidents ayant opposé l’armée israélienne au Hamas lors de la « marche du retour », le gouvernement turc décida de renvoyer l’ambassadeur d’Israël en Turquie. La brouille dura pendant quatre ans.
En effet, en 2022, les deux pays annoncèrent à nouveau le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Cette année-là, le président israélien, Isaac Herzog, effectua une visite d’État en Turquie [la première depuis quatorze ans] tandis que son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan insista sur l’importance de la « coopération en matière de sécurité et de sécurité énergétique » avec Israël. Israël qui apporta son aide à la Turquie après le séisme survenu dans la région de Gaziantep, en 2023.
Seulement, l’attaque terroriste lancée par le Hamas le 7 octobre et l’intervention de Tsahal dans la bande de Gaza changèrent une nouvelle fois la donne… Le Parti de la justice et du développement [AKP] au pouvoir en Turquie étant proche idéologiquement des Frères musulmans [dont est issu le Hamas], M. Erdogan a enchaîné les diatribes à l’endroit d’Israël, en laissant par exemple entendre que l’État hébreu pourrait « jeter tôt ou tard son dévolu sur l’Anatolie ». Et d’assurer, dans un discours prononcé au Parlement turc, en mai dernier, qu’Ankara « continuerait à soutenir le Hamas, qui se bat pour l’indépendance de son propre pays ».
Jusqu’où pourrait aller ce soutien ? Le 28 juillet, lors d’une réunion de l’AKP à Rize, sur les bords de la mer Noire, M. Erdogan a adressé des menaces à peine voilées à Israël, après avoir salué les progrès réalisés par l’industrie turque de l’armement.
« Nous devons être très forts pour qu’Israël ne puisse pas faire ces choses ridicules à la Palestine. Tout comme nous sommes entrés au Karabakh, tout comme nous sommes entrés en Libye, nous pourrions faire la même chose », a en effet déclaré le président turc. « Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le faire… Nous devons être forts pour pouvoir prendre ces mesures », a-t-il insisté, sans plus de précisions.
Dans l’esprit de M. Erdogan, il ne s’agit pas d’envoyer les forces turques dans la bande de Gaza. La référence à la Libye et à l’Azerbaïdjan suggère qu’Ankara pourrait mobiliser des mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens pro-turcs, via la société militaire privée [SMP] Sadat. Deux de ces formations syriennes, à savoir la Brigade Suleiman Shah et la Division Hamza, ont fait l’objet de sanctions de la part des États-Unis, en raison de leur implication dans de » graves atteintes aux droits humains » contre la population kurde du canton d’Afrin [Syrie].
Pour rappel, en novembre 2019, après avoir signé un protocole d’accord avec le gouvernement d’union nationale libyen [GNA] afin de redéfinir ses frontières maritimes, la Turquie avait envoyé des conseillers militaires et, surtout, des mercenaires syriens à Tripoli. Ce qui permit, d’ailleurs, de mettre en échec l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar. Puis, un an plus tard, Ankara en fit de même pour appuyer les forces azerbaïdjanaises dans leur conquête du Haut-Karabakh.
« Une ligne rouge est franchie. Je dis que c’est inacceptable, et j’invite l’ensemble des partenaires de l’Otan à regarder simplement en face ce qu’est un comportement de membre de l’Otan : je ne pense pas que ça en relève », s’était insurgé le président Macron, lors d’un sommet de l’Union européenne [UE], à Bruxelles, le 2 octobre 2020. Selon lui, la Turquie avait envoyé « 300 combattants de groupes jihadistes » en Azerbaïdjan. « D’autres contingents se préparent, à peu près de la même taille […] Une ligne rouge est franchie […] c’est inacceptable », avait-il insisté.
Alors qu’Israël pourrait intervenir militairement dans le sud du Liban contre le Hezbollah, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, a mis en garde M. Erdogan en l’assimilant à l’ex-président irakien Saddam Hussein, exécuté en 2006.
« Erdogan suit les traces de Saddam Hussein et menace d’attaquer Israël. Il devrait se rappeler ce qui s’est passé là-bas et comment cela s’est terminé », a-t-il lancé sur X [anciennement Twitter].