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jeudi 30 mai 2024

Mafia turque et équipe nationale Suisse, histoire d'une affaire folle

 

Outre Ertan Y., les deux personnes arrêtées sont également des amis de Kemal Z.*, 
un criminel présumé spécialisé dans les jeux de hasard
Sur ce selfie, Ertan Y. se trouve à l'extrêmité droite de la photo et Kemal Z. au centre

Armes, drogues, meurtres, immigration illégale et activités terroristes sont de la partie. Pourtant, l'information de mercredi dernier n'a pas suscité beaucoup d'attention: une task force commune des autorités de poursuite pénale italiennes et d'Interpol a arrêté 19 suspects, dont 17 Turcs. De nombreuses armes ont été saisies dans le cadre d'un raid transnational contre une organisation criminelle turque. Selon le Ministère public de la Confédération, les autorités suisses ont également pris part à l'opération.

Deux arrestations ont eu lieu en Suisse: l'une dans le canton de Zurich, l'autre dans le canton d'Argovie. Les deux suspects se trouvent dès lors en détention en vue de leur extradition. Blick a mené l'enquête pour comprendre ce qu'il se cache derrière cette annonce anodine. Nos journalistes ont découvert l'existence de liens avec des personnalités internationales du crime – notamment avec Ertan Y.*, un ancien membre du groupe de motards Hells Angels. Ce dernier doit répondre depuis mi-mai de divers délits devant le tribunal pénal de Bâle.

Jusqu'à son arrestation à la mi-juin 2021, Ertan Y. menait une vie aussi plaisante que prospère. Il fréquente la moitié de l'équipe nationale suisse de football et des stars du rap germanophones entre autres. Pendant sa détention provisoire, il se serait offert des relations sexuelles et d'autres faveurs. Mais l'ex-Angel risque aujourd'hui la prison pour une longue période. Il est accusé d'escroquerie pour des montants de plusieurs millions d'euros, de blanchiment d'argent, de jeux d'argent illégaux ainsi que d'abus sur des enfants. Le ministère public requiert une peine d'emprisonnement de 16 ans au total. Le verdict est attendu ce jeudi 30 mai à 16 heures.

Les amis d'Ertan Y. et de Kemal Z. ont été condamnés

Le procès a mis en évidence les relations d'Ertan Y. avec certains grands criminels. Selon l'enquête de Blick, les deux hommes arrêtés en Suisse lors de l'énorme coup de filet – Mazlum A.*, de Zurich et Nazmi B.*, d'Argovie – font également partie de ses connaissances. Tous deux sont accusés de divers délits en Italie, notamment d'infractions à la loi sur les armes. Ils seraient également liés au gang de grands criminels qui gravite autour du mafieux turc Baris Boyun, qui avait séjourné en Suisse peu avant son arrestation en août 2022. L'homme a été libéré en avril 2023 et était assigné à résidence – jusqu'à la descente du 22 mai dernier.

Par ailleurs, les deux hommes arrêtés en Suisse sont des amis de Kemal Z.*, un criminel présumé spécialisé dans les jeux de hasard, qui a été arrêté à la mi-septembre 2023, selon un communiqué de la police cantonale de Zurich. Il est toujours en détention et attend son procès, comme l'a confirmé le responsable de la communication Erich Wenzinger du Ministère public zurichois à la demande de Blick. Les trois hommes apparaissent sur des photos communes, par exemple lors du mariage de Nazmi B., où Kemal Z. était témoin.

Kemal Z. est soupçonné d'être le gérant de sites de jeux de hasard illégaux comme solobet.com et d'avoir blanchi de l'argent à grande échelle. Une carte de paiement douteuse aurait même été spécialement conçue pour les matches, comme l'a montré l'enquête du magazine «Reflekt» et de la chaîne publique alémanique SRF. 

Mazlum A., arrêté lors de la descente, aurait également participé à l'opération. Lors de l'arrestation d'Ertan Y., les enquêteurs ont d'ailleurs trouvé ces fameuses cartes de paiement. Ces dernières sont listées parmi les objets saisis dans l'acte d'accusation de 52 pages. Ertan Y. mentionne même les deux suspects arrêtés en Suisse dans une story Instagram datant de fin décembre 2019.

Des montres de luxe, un ancien Hells-Angels et... Murat Yakin

Le cas d'Ertan Y. a fait des vagues avant même le début du procès: selon l'accusation, il a notamment fait établir de faux certificats Covid pour la star de la Nati Breel Embolo. Un selfie de l'entraîneur de la Nati, Murat Yakin, publié par l'accusé début janvier 2020 sur Instagram, a également suscité des spéculations. Les deux criminels présumés Ertan Y. et Kemal Z. y apparaissent aux côtés de Murat Yakin, qui était alors encore entraîneur du FC Schaffhouse.

Confronté à ce selfie, Murat Yakin a indiqué fin avril ne connaître que vaguement Ertan Y.: «Je connais cette personne d'une époque antérieure, la photo date de 2020», a déclaré le coach de la nati au journal «Schweiz am Wochenende». A l'époque, Ertan Y. aurait activement cherché à entrer en contact avec les joueurs et les entraîneurs, d'où l'existence de cette photo. 

Entre-temps, les faits ont démontré que Murat Yakin avait bel et bien fait affaire avec Ertan Y. Cela a été découvert de manière tout à fait inattendue le premier jour du procès, lorsque l'avocat de «Muri» a réclamé devant le tribunal pénal de Bâle des montres qui avaient également été confisquées lors de l'arrestation d'Ertan Y. dans l'appartement de sa mère.

Dans une interview accordée à la «NZZ» samedi dernier, Murat Yakin se présente comme un lésé qui ne se doute de rien. Il explique avoir remis six montres de luxe à l'accusé en 2020, afin que celui-ci les revende. Ertan Y. en aurait déjà vendu deux d'entre elles, d'une valeur d'environ 150'000 francs – argent qui devrait revenir à Murat Yakin. Le sélectionneur suisse affirme de son côté n'avoir rien à faire avec les infractions reprochées au principal accusé – ni avec les Hells Angels.

Breel Embolo a-t-il acheté de faux certificats Covid?

Mi-mai, le patron présumé de la branche rhénane des Hells Angels comparaîtra devant le tribunal pénal de Bâle pour divers délits contre le patrimoine. Il aurait notamment gagné de l'argent grâce à des activités illégales, comme la vente de faux certificats Covid.

Selon «20 Minuten», l'acte d'accusation fait apparaître un nom éminent parmi les acheteurs de ces certificats: Breel Embolo (27 ans). Début février 2021, une complice laborantine du représentant des Hells Angels aurait établi deux certificats de voyage avec les données du footballeur.

L'accusé aurait ensuite transmis les formulaires par Whatsapp à l'attaquant, alors encore sous contrat avec le Borussia Mönchengladbach, club de Bundesliga. Le résultat négatif proviendrait de ladite laborantine, qui l'aurait prélevé chez elle. Selon le rapport, elle fait l'objet d'une accusation séparée pour falsification de documents.

Cet état de fait pourrait également être fatal à Embolo, car l'utilisation de certificats falsifiés est également punissable. Cela pourrait entraîner une amende ou une peine de prison. L'avocat d'Embolo n'a pas encore répondu à une demande du Blick.

Fête pendant la pandémie?

Quelques semaines avant la prétendue délivrance des certificats en février 2021, Embolo avait fait l'objet de remous parce qu'il aurait participé à une fête alors illégale en raison de la pandémie. Peu après, le joueur de l'équipe nationale s'est exprimé lui-même et a déclaré: «Dans la nuit de samedi à dimanche, au retour du match à Stuttgart, je suis allé à Essen avec un ami pour regarder du basket chez un ami. C'était une erreur dans le contexte actuel. C'était stupide de ma part et je m'en excuse auprès de mes coéquipiers, du club et surtout auprès des fans. Il n'est cependant pas vrai que j'ai participé à une fête. C'est une fausse affirmation.»

Le footballeur de l'équipe nationale avait en outre été condamné en juin dernier par le tribunal pénal de Bâle-Ville à une peine pécuniaire avec sursis pour avoir proféré des menaces lors d'une sortie nocturne en mai 2018. Actuellement, Embolo, qui est absent depuis début août en raison d'une rupture des ligaments croisés, planifie son retour. Si tout se passe comme prévu, il sera de nouveau sur le terrain avec Monaco en avril.

Pourquoi cet ex-Hells Angel détient-il les montres de Murat Yakin?

Lundi, Ertan Y.* (36 ans), ex-membre des Hells Angel, comparaît devant le tribunal pénal de Bâle. Le Ministère public est convaincu qu'il a participé à une vaste escroquerie internationale liée à des placements financiers. Il aurait notamment obtenu de l'argent en falsifiant des documents.

Fin mars, le nom de l'attaquant de la Nati Breel Embolo, qui aurait acheté de faux certificats Covid au Bâlois d'origine turque, est apparu dans l'acte d'accusation. De manière générale, Ertan Y. aurait été en contact avec diverses personnes du milieu du football, dont Ragip Xhaka, le père des frères Granit et Taulant. Lors du procès, il cite encore un autre nom: «Monsieur Yakin».

Ce nom est évoqué lorsqu'il est question des objets saisis lors de l'arrestation d'Ertan Y.. Ainsi, 15'000 francs ont été trouvés chez lui personnellement et 320'000 autres francs dans un coffre-fort chez sa mère, où il a été arrêté.

Murat Yakin impliqué en tant que partie civile

Comme l'a déclaré l'accusé, il s'agissait d'argent légal provenant de la vente de montres. Les clients: Breel Embolo et «Monsieur Yakin». Ce dernier l'aurait également soutenu dans son travail, raison pour laquelle une partie de l'argent lui appartient.

Il doit s'agir de l'entraîneur de l'équipe nationale Murat Yakin. Tobias Treyer, l'avocat de l'entraîneur de l'équipe nationale, qui ne souhaite pas être nommé dans l'acte d'accusation, s'est constitué partie civile lundi matin. Il demande la restitution de montres qui ont été saisies chez l'accusé, mais qui appartiendraient à son client. Selon les informations de Blick, Murat Yakin a remis les montres à Ertan Y. en 2020 afin que ce dernier puisse les vendre.

Contacté par l'Association suisse de football, Murat Yakin n'a pas souhaité s'exprimer auprès de Blick, car il s'agit d'une procédure en cours.

Concernant sa relation avec l'accusé Ertan Y. et le selfie qu'il a pris avec lui (voir photo), Murat Yakin a fait savoir fin avril à la «Schweiz am Wochenende»: «Je connais cette personne pour l'avoir rencontrée dans le passé, la photo date de 2020». A l'époque, l'accusé avait activement recherché le contact avec les joueurs et les entraîneurs, et c'est ainsi que cette photo avait été prise.

Ertan Y. est accusé par le tribunal pénal de Bâle-Ville d'escroquerie au placement, de blanchiment d'argent à hauteur de plusieurs millions, d'escroquerie au leasing, de jeux d'argent illégaux, de faux certificats Covid, de divers événements survenus en prison préventive, de viol et d'actes sexuels avec des enfants. Il bénéficie de la présomption d'innocence. Le procès doit durer douze jours, le verdict est attendu le 30 mai.

Murat Yakin révèle de nouveaux détails sur l'affaire des Hells Angels

Dans le cadre d'une procédure au tribunal pénal de Bâle contre l'ancien membre des Hells Angels Ertan Y.*, à qui l'on reproche divers délits graves, le nom de Murat Yakin est soudainement apparu voilà quelques jours.

Le monde médiatique s'est alors emballé. Lors du procès, le sélectionneur national a été présenté en tant que victime d'Ertan Y. Murat Yakin aurait remis à ce dernier des montres de sa propre collection en vue de les revendre - et aurait apparemment été escroqué.

Dans une interview accordée à la «NZZ», Murat Yakin évoque publiquement l'affaire, en précisant certains détails. «Je suis un lésé qui, en tant que personne privée, réclame la restitution de son bien».

Six montres remises

A l'origine, il a été rapporté que Murat Yakin se portait partie civile dans l'affaire Ertan Y.. Mais ce n'est pas vrai, explique le coach de la Nati: «Je ne suis pas partie civile, j'ai simplement demandé au tribunal pénal de Bâle-Ville que mes six montres me soient rendues».

Ces montres, il les aurait remises au Hells Angel il y a quatre ans. «Le principal accusé avait activement cherché à me contacter fin 2020, car il savait que je possédais une petite collection de montres», explique Murat Yakin.

«Il m'a proposé de m'aider à vendre certaines montres, car il avait l'expérience et les contacts nécessaires». Mais ce faisant, Murat Yakin s'est apparemment fait avoir: «Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas récupéré les montres qui m'ont été remises, c'est pourquoi j'ai demandé à mon avocat de me restituer mes biens».

«Je ne pouvais pas savoir à qui je remettais les montres»

Mais au-delà de cela, Murat Yakin précise qu'il n'a pas entretenu de relations d'affaires avec Y. De plus, le contact remonte à quatre ans. «Le principal accusé a été arrêté en 2021. A l'époque, je ne pouvais pas savoir à qui je remettais les montres. Si je l'avais su, je ne l'aurais pas fait».

Murat Yakin précise en outre qu'il n'a jamais donné ou prêté d'argent à Y.. Et souligne qu'aucun chef d'accusation n'est retenu contre lui: «Je n'ai rien eu à voir avec les fautes reprochées au principal accusé, ni avec les Hells Angels».

* Nom modifié

Qendresa Llugiqi 

Christian Finkbeiner

Emanuel Staub

blick.ch