En novembre 2021, la Russie fut accusée d’avoir mis en danger la Station spatiale internationale [ISS] en procédant à l’essai d’un missile antisatellite à ascension directe [ASAT], lequel s’était conclu par la destruction de Cosmos-1408, un satellite dédié au renseignement électromagnétique qui évoluait à une altitude d’environ 485 km depuis 1982.
La Russie est « prête à mettre en péril l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique par toutes les nations par son comportement imprudent et irresponsable », avait alors réagi Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine. Et pour cause : l’essai russe avait créé environ 1500 débris qui, répartis entre 200 et 1000 km d’altitude, étaient susceptibles de mettre en danger d’autres satellites.
Depuis, la question est de savoir si Moscou a l’intention d’aller plus loin… Le 14 février, Michael Turner, le président de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants, évoqua des « informations relatives à une grave menace pour la sécurité nationale », sans donner plus de détails.
Peu après, des responsables américains confièrent, sous le sceau de l’anonymat, que la Russie était en train de développer un système d’armes spatiales nucléaires susceptibles de désactiver, voire de détruire, des satellites… Ce qui est interdit par le Traité de l’Espace [article 4] entré en vigueur en octobre 1967.
Cependant, deux jours plus tard, John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, affirma qu’il ne s’agissait par d’une « menace immédiate », même si les éléments avancés au sujet de cette arme antisatellite russe étaient « inquiétants ». Et d’ajouter : « On ne parle pas là d’une arme qui peut être utilisée pour attaquer des êtres humains ou provoquer des destructions sur la Terre ».
De son côté, Moscou qualifia les « informations en provenance des États-Unis » de « malveillantes », avant d’y voir une manœuvre de l’administration américaine visant à convaincre les élus du Congrès à voter l’aide militaire de 61 milliards de dollars promise à l’Ukraine.
Reste que certains experts des affaires spatiales ne cachèrent pas leur scepticisme. « Les effets d’une explosion nucléaire sont encore plus imprécis, touchant tous les satellites des environs, causant des pannes électriques à des milliers de kilomètres à la ronde […] Or les Russes sont eux-mêmes très dépendants des satellites ! », commentacommenta Bleddyn Bowen, spécialiste de la géopolitique de l’espace à l’université de Leicester.
« L’hypothèse d’une charge nucléaire est fantaisiste », avançaavança le général [2S] Michel Friedling, ancien « patron » du Commandement de l’Espace, rejoint par Paul Wohrer, chercheur spécialisé dans les questions spatiales à l’Institut français des relations internationales [IFRI]. « L’histoire nous apprend que placer une arme nucléaire dans l’espace, ça ne sert à rien. Des tests nucléaires menés dans les années 1960 n’ont pas indiqué une efficacité importante de ce type d’armes, en particulier quand il y a un grand nombre de satellites à atteindre », rappela-t-ilrappela-t-il dans les pages d’Usbek & Rica.
Quoi qu’il en soit, début mai, deux responsables américains ont de nouveau évoqué cette arme nucléaire antisatellite présumée.
« Ce qui nous préoccupe est l’intention de la Russie d’envoyer une arme nucléaire dans l’espace. […] Ce serait une arme aveugle [qui] n’aurait pas de frontières nationales [et] qui ne ferait pas la distinction entre les satellites militaires, les satellites civils et les satellites commerciaux », a en effet déclaré John Plumb, secrétaire adjoint à la défense chargé de la politique spatiale, lors d’une audition parlementaire.
Lors d’un évènement organisé à Washington par le Center for Strategic and International Studies [CSIS], le 3 mai, la secrétaire d’État adjointe à la maîtrise des armements, Mallory Stewart, a avancé que, « sur la base d’informations que nous jugeons crédibles », la Russie aurait l’intention « d’intégrer des armes nucléaires dans ses programmes de lutte dans l’espace ». Et d’ajouter que « quelque chose » se trouvait actuellement en orbite dans le cadre du développement de cette arme nucléaire antisatellite.
Ce « quelque chose » serait le satellite Cosmos-2553 qui, lancé le 5 février 2022, aurait une vocation scientifique. Or, selon les experts américains, il évolue sur une orbite inhabituelle, fréquentée par aucun autre engin spatial. En outre, elle se trouverait à une altitude trop importante pour mener les expériences évoquées par les autorités russes.
Aussi, d’après les informations recueillies par le Wall Street JournalWall Street Journal auprès de responsables anonymes de l’administration Biden, Cosmos-2553 ferait justement partie du programme russe d’arme nucléaire antisatellite.
Ce satellite « ne porte pas d’arme nucléaire. Mais les responsables américains affirment qu’il est est lié au programme d’arme nucléaire antisatellite russe, qui suscite une préoccupation croissante […]. L’arme, si elle était déployée, donnerait à Moscou la capacité de détruire des centaines de satellites en orbite terrestre basse avec une explosion nucléaire », avance le quotidien économique.
Actuellement, les États-Unis disposent de 6700 satellites évoluant en orbite basse… tandis que la Chine en possède 780 et la Russie 149.
Par ailleurs, en avril, les États-Unis et le Japon ont échoué à faire adopter, par le Conseil de sécurité des Nations unies, une résolution appelant tous les États, et en particulier ceux dotés de capacités spatiales importantes, à empêcher une course aux armements dans l’espace.
« Les États parties au Traité sur l’espace extra-atmosphérique s’engagent à s’y conformer pleinement, notamment à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique », affirmait ce texte.
Et de souligner les « graves conséquences pour les intérêts de tous les États membres que pourraient entraîner l’explosion d’une arme nucléaire ou l’utilisation de tout autre type d’arme de destruction massive dans l’espace ». Aussi, invitait-il « à ne pas mettre au point d’armes nucléaires ou d’autres types d’armes de destruction massive spécifiquement conçues pour être mises sur orbite autour de la Terre, installées sur des corps célestes ou placées, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique ».
Seulement, sur les quinze membres du Conseil de sécurité, seule la Russie a mis son veto à ce projet de résolution, la Chine s’étant quant à elle abstenue.